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Publié le 18 août 2010 Mis à jour le 18 août 2010

Idéologie à la plage : sous le web 2.0, les intérêts privés


Si vous n'avez pas eu le temps d'emporter avec vous le podcast de l'émission « Place de la toile » du 9 juillet dernier sur France Culture, il est encore temps de l'écouter en ligne. Les invités de cette émission sur le web collaboratif, Philippe Bouquillion et Jacob Thomas Matthews sont  chercheurs en sciences de  l'information et de la communication en France. L'ouvrage qu'ils présentent, « Le web collaboratif », loin de rejoindre la cohorte de publications en vogue sur la question, analyse les mutations des industries de la culture et de la communication à partir d'enquêtes menées auprès d'acteurs des réseaux et du web 2.0 dans un perspective critique et assez peu consensuelle.


Le Web 2.0 comme un espace de neutralisation des conflits


Aux yeux des responsables managériaux, des différents intervenants de cette nouvelle culture participative, particulièrement américains, le réseau apparaît comme l'avènement d'un nouvel être et d'une société meilleure.

Ceci autorise peut-être Tim O’Reilly –magnat de l’édition, orga­ni­sa­teur de conférences et vision­naire respecté-  à  dire qu’il est temps de revoir nos cer­ti­tudes concer­nant les infor­ma­tions per­son­nelles et leur utilisation, le PDG de Google et celui de Facebook à faire des déclarations dans le même ordre d'idées.

Ces croyances, partagées par un nombre croissant d'individus, s'appuient sur la certitude que de nouvelles formes d'organisation vont émerger de façon spontanée et que les régulations auparavant assurées par les états et les institutions (écoles, industries culturelles du contenu) vont laisser la place à une sorte de marché où la disponibilité de l'information créerait naturellement les échanges. Toute la question est alors de savoir si ces échanges créeront (ou créent déjà) de la valeur, économique, culturelle et sociale, transposable en revenus  -mais pour qui ?

Le web 2.0 et ses réalités économiques


L'analyse de  Philippe Bouquillion et Jacob Thomas Matthews révèle les ressorts d'un véritable combat économique pour le contrôle des usagers entre les industriels de la communication (le web) et les industriels du contenu (industries culturelles). Ils montrent par exemple que la naissance du Web 2.0 fait suite  à l'éclatement de la bulle spéculative de 2003 et qu'elle représente une tentative de restaurer l'image du web et de ses entreprises aux yeux des investisseurs, des banques ( tentative dont la viabilité économique reste encore à démontrer d'ailleurs) plus qu'un mouvement culturel et social de fond.
Ils s'attaquent au mythe de la production et de la création « assistées par l'usager » et mettent en avant la profonde contradiction des discours : tout en niant avec force leur dimension marchande, les industries de la communication en ont besoin pour être crédibles auprès des financiers.


Selon l'OCDE, 5 principales sources de revenus caractériseraient le champ du web collaboratif :
- Les donations bénévoles;
- Le paiement par l'usager (sur le modèle éditorial ou sur le modèle du club);
- Les revenus publicitaires;
- Les revenus provenant des droits;
- La vente directe de services annexes aux usagers.
A cela s'ajouterait selon les auteurs de nouveaux revenus pour les différents acteurs de « l'intermédiation » qui travailleraient comme des courtiers : droits de copies et de diffusion obtenus à partir du contenu générés par les utilisateurs,  et bien sûr, collectes de données, notamment des profils d'utilisateurs.

Sur ce dernier point d'ailleurs, c'est une des faiblesses de l'ouvrage que de ne pas développer cet aspect qui n'était peut-être pas encore si important au moment des enquêtes et des etudes réalisées,  mais qui risque de faire polémique en cette rentrée 2010-2011.

Le web 2.0, c'est démocratique. Vraiment ?

Plus grave paraît être le danger porté à la liberté des chercheurs en sciences humaines qui ne consentiraient pas à faire preuve d'enthousiasme vis à vis de cet élan vers la culture collaborative. Tout discours critique serait contre-productif et assimilé à un ressentiment vis à vis du nouvel esprit du capitalisme, inspiré par les vieilles institutions exsangues ou les industriels du contenu dépassés.
« Il y a un discours tenu par de nombreux chercheurs qui fait l'adéquation entre cette mise au centre de l'usager et un surplus de démocratie ».
Il y aurait ainsi une injonction appuyée à s'intéresser au web collaboratif et au monde virtuel pour fournir notamment les profils psychologiques des usages dont les grandes entreprises ont besoin. La pression est nette, prétendent-ils, pour que les chercheurs perdent moins de temps avec la théorie et se lancent dans des actions concrètes pour « changer le monde » et aller enfin dans « le sens de l'histoire ».

Il y a un aspect inquiétant dans cette conception du chercheur « passeur » et « croyant » et c'est dans le recul scientifique qu'il faut apprécier le travail salutaire de  Philippe Bouquillion et Jacob Thomas Matthews.

Nombre de travaux relatifs au web collaboratif constituent des « vecteurs idéologiques », des discours créateurs de vérités étroitement associés aux projets industriels ou publics.  Ceci se vérife dans les deux sens : dans l'idolâtrie comme dans le dénigrement et il convient peut-être de faire preuve de la plus élémentaire prudence si on est journaliste, enseignant, blogueur et tout simplement citoyen.


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