Les sociétés arabe et africaine ont ceci de commun : elles sont adossées à un fabuleux patrimoine oral. Certes, l’écrit a eu très tôt sa place, surtout dans la culture arabe comme en témoigne le remarquable essai de Houari Touati sur la question, mais l’oralité demeure un mode puissant de transmission et de formation. La phrase d’ Amadou Hampaté Bâ « en Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » est sans doute celle qui traduit le mieux cette particularité du Continent Noir.
La parole contribue donc puissamment à transmettre le savoir, mais aussi à créer le lien social, en multipliant avatars et modes d’expression. Au coeur du continent, le conte et le chant perpétuent avec bonheur une ancestrale tradition des griots, autre manière de transmettre les règles sociales.
Au Maroc aussi le chant a longtemps constitué la voie privilégiée pour communiquer entre les tribus. Comme en témoigne encore le riche patrimoine d’ Al Aïta. La persistance - à dose homéopathique il est vrai - de certains métiers de communication : diseuses de bonne aventure, crieurs publics (appelés «berrah», ils ont la charge d’annoncer les nouvelles en parcourant les venelles de la médina), et autres «rekkas», ce service public ancêtre de la poste, montre à quel point la société moderne est redevable des pratiques d’autrefois.
Il y eut aussi le théâtre avec très vite et avant que la télévision ne vienne tout emporter, la tradition des feuilletons radiophoniques. Une tradition qui a été également vivace en Amérique du sud comme l’a décrit avec finesse et humour Mario Vargas Llosa dans un de ses romans. On a d’ailleurs quelque peine à imaginer l’engouement que suscitait la radio autrefois. Le célèbre canular martien d’Orson Welles donne une idée de ce qu’était ce pouvoir !
Puis, puis, ce fut la déferlante de l’image. Avec le cinéma et surtout la télévision à la fin des années soixante.
Dans cette histoire des médias, qui n’est forcément ni simple ni linéaire, le son semble alors devoir s’effacer devant la prégnance des photos et vidéos qui défilent. Avant que les TIC ne viennent de nouveau brouiller les pistes et créer une palette infinie d’usages sociaux. L’Internet remet l’écrit en selle avec le courriel et les blogs. Mais bien entendu, la technologie n’allait pas en rester là et voici les messageries instantanées, les succédanés du téléphone et les podcasts. C’est-à-dire autant d’occasions de donner de la voix ! De multiples innovations techniques donc qui favorisent tantôt l’individualisme - pour ne pas dire l’autisme technologique quand on pense à nos adolescents rivés à leurs baladeurs comme à des bouées de survie - tantôt l’éclosion de communautés et de réseaux solidaires, à travers le chat notamment.
Que peut-on conclure de tout cela ? Que ce mimétisme fascinant par lequel les hommes veulent recréer la complexité du réel a encore de beaux jours devant lui.
Pour communiquer et reproduire la richesse des messages humains, il est toujours nécessaire de mobiliser tous les moyens dont nous disposons. Demain, d’autres sens - l’odorat ? le toucher ? - pourraient investir le net. On ne sait pas comment cela sera possible mais il est à craindre - ou à espérer - que les TIC ne seront jamais en mesure de restituer l’empathie d’une réunion autour de l’arbre à palabres ou d’une halka, Place Jamaa El Fna à Marrakech.
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