Patrick, Elie, Violette... Trois figures parisiennes qui sont brusquement devenues familières à des centaines de milliers d'internautes, grâce au talent d'Oliver Lambert (journaliste) et Thomas Salva (photographe), qui ont investi le domaine du webdocumentaire. Un soir glacial de janvier, nous les avons rencontrés à Paris, du côté des Gobelins, sur le territoire de leurs nouveaux héros.
Thomas, Olivier, vous êtes les créateurs de Brèves de Trottoirs, qui est tout à la fois un site web et une série documentaire sur les héros ordinaires de Paris. Comment avez-vous eu l'idée de filmer ces personnes ?
Olivier : Je venais de terminer ma formation de journaliste...
Thomas : Et moi, je suis photographe, diplômé de l'école des Gobelins...
Olivier : Nous nous sommes rencontrés par hasard en juillet 2009, et nous avons constaté que nous partagions le même intérêt pour les sujets sociaux, humanistes. Nous étions aussi très attirés par le webdocumentaire.
Thomas : Il faut dire que le webdocumentaire représente actuellement une voie intéressante, notamment pour les photographes de presse, qui ont de plus en plus de mal à vivre de leur métier, à cause de la crise de la presse papier.
Olivier : Très vite, on a eu l'idée de travailler ensemble. En septembre, le projet Brèves de Trottoirs était né.
Qu'avez-vous voulu faire, avec Brèves de Trottoirs ?
Olivier : Nous avons voulu présenter un portrait différent de Paris, traduire ce que nous observions lors de nos déambulations. Nous proposons sur le site des portraits de Parisiens, qui mêlent la vidéo, la photo et le son. Chaque portrait fait entre 3 et 10 minutes.
Thomas : Et nous ajoutons des contenus complémentaires : d'autres photos et sons, des articles sur une thématique dont témoigne le portrait : l'isolement des personnes âgées, l'accueil des SDF en hiver...
Olivier : Nous avons aussi un blog, sur lequel nous donnons des infos sur la genèse des portraits, les avancées du projet.
Bref, il s'agit d'un produit complet, réellement multimédia. Mais vous traitez de sujets un peu sombres, avez-vous rencontré votre public ?
Thomas : Totalement ! Nos portraits sont visibles à la fois sur le site et sur Dailymotion. Le premier reportage diffusé, «Elie», a été visionné près de 40 000 fois !
(Note: l'engouement ne faiblit pas. Le troisième portrait réalisé par Olivier et Thomas, a déjà été visionné 13 000 fois sur Dailymotion, une semaine après sa mise en ligne...)
Olivier : Les commentaires qu'on a reçus ne portaient pas sur les aspects techniques, mais sur le fond. Ce qui montre que nos sujets intéressent les spectateurs.
Comment avez-vous assuré votre promotion ?
Olivier : À l'ouverture du site, nous avons fait un mailing en direction des personnes dont nous savions qu'elles étaient intéressées par le webdocumentaire. Et surtout, nous utilisons beaucoup les réseaux sociaux.
Thomas : Nous avons un compte Twitter, une page sur Facebook. Ca a fait fonctionner le bouche à oreille.
Et du côté des professionnels, quel a été le retour ?
Olivier : Plutôt bon. On nous a encouragés au début. Et maintenant, la presse s'intéresse à nous. Nous avons eu des papiers dans 20 minutes, Le Monde radio-télé,... Ca donne confiance pour continuer.
Vous touchez des subventions pour faire vos reportages ?
Olivier : Aucune ! Nous payons tout de notre poche. Nous avons acheté le matériel sur nos fonds propres, et nous ne nous payons pas. Nous avons décidé de fonctionner un an au maximum de cette façon, et de réaliser de 20 à 40 portraits.
Mais ça doit vous prendre un temps fou !
Thomas : C'est un emploi à temps plein... Que nous assurons en plus de ce qui nous fait vivre. Nous travaillons 5 à 7 heures par jour sur le projet.
Olivier : Nous faisons tout tout seuls : les reportages bien sûr, le montage, le site internet, l'animation sur les réseaux sociaux... Le site internet nous prend 70 % de notre temps, car nous ne sommes pas des professionnels, nous n'allons pas vite.
Thomas : On voudrait arriver à un rythme d'une à deux semaines par sujet.
Quelle sera l'étape suivante, pour vous ?
Olivier : Nous aimerions vendre ce format de portrait, avoir des commandes institutionnelles qui financeraient notre projet personnel.
Thomas : Le principe du portrait est duplicable à n'importe quelle échelle, c'est ce que nous défendons. Si nous ne trouvons pas de commandes, nous arrêterons...
Internet semble être un nouvel eldorado pour les journalistes et photographes...
Olivier : Plusieurs journaux se sont lancés dans le webdocumentaire, effectivement.
Olivier Lambert et Thomas Salva
Vous avez des exemples ?
Thomas : Il y a Mediastorm, du Washington Post, One in 8 million, du New York Times...
Olivier : Et Flyp Media, qui représente à mon avis le support le plus abouti, avec des centaines de sujets différents. Mais nous n'avons pas les moyens de ces grosses entreprises, nous ne nous inscrivons pas dans la même logique.
Thomas : Nous sommes plutôt dans une logique communautaire. Le webdocumentaire peut être réalisé avec peu de moyens financiers et techniques. C'est un formidable espace de décision sans contrainte. On peut produire ce qu'on veut et le poster sur Internet, qui est une vitrine.
Olivier : Bientôt, notre site accueillera une plateforme sur laquelle tous les créateurs de webdocumentaires pourront poster leurs créations.
Justement, les jeunes sont de grands utilisateurs de vidéo, et ils postent beaucoup sur le web !
Olivier : Oui, nous avons eu pas mal de messages de la part de jeunes qui nous demandent des conseils.
C'est le moment idéal pour leur donner vos tuyaux !
Thomas : Le plus important à notre avis, c'est d'être sûr de son sujet. La technique, c'est secondaire. Il faut creuser son sujet, faire un gros travail de scénario.
Olivier : Il faut être curieux, aller voir ce qui se fait ailleurs, prendre des idées. Dans cette perspective, c'est intéressant d'être membre d'une communauté, via les réseaux sociaux, trouver des gens qui ont les mêmes intérêts que vous. Il faut aiguiser son regard, être patient...
Thomas : Il ne faut pas hésiter à montrer ce qu'on fait, ne pas avoir peur des critiques. Quand on a commencé, on a envoyé nos réalisations à des professionnels, ils ont tous été sympas avec nous, ils nous ont encouragés.
Olivier : C'est très important d'aller jusqu'au bout de son projet. L'argent, ce n'est jamais un problème. On peut faire des webdocus avec un téléphone portable, monter et sonoriser avec des logiciels gratuits.
Vous avez envie de poursuivre dans la voie du webdocumentaire ?
Olivier : Oui. Nous avons surtout envie d'être maîtres de nos réalisations. Vous savez, pendant mes études, j'ai fait pas mal de stages dans des sociétés de production, des journaux... Franchement, je n'ai pas envie d'y travailler.
Thomas : On croit à ce qu'on fait.
Alors, le webdocumentaire pour tous ? Suivez les conseils d'Olivier et Thomas, aiguisez votre regard et soyez patients... Surtout, courez sur le site Brèves de Trottoirs et faites la connaissance d'Elie, Violette, Patrick, et de tous ceux qui les rejoindront. Personnellement, c'est Violette que je préfère, elle a une pêche d'enfer et rien ne peut l'abattre !
Brèves de Trottoirs
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Comment réaliser un webdocumentaire sans se ruiner
Un magnifique reportage multimédia en espagnol : Cali, une industria salsera, tout en musique !
William and the Windmill, tourné au Malawi. On apprécie le texte anglais en surimpression, qui facilite la compréhension.
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