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Publié le 17 novembre 2009 Mis à jour le 17 novembre 2009

Delphine Nana : "La promotion féminine passe par les TIC"

Madame Delphine Nana, qui êtes-vous ?

Je m'appelle Delphine Nana Mekounte, et je suis camerounaise. Je vis entre le Cameroun et la France, puisque mes enfants habitent ce pays.

J'ai une double formation initiale de sociologue et d'analyste programmeur. J'ai également été formée au journalisme citoyen. Depuis de longues années, je suis très investie dans les domaines de la promotion féminine d'une part, de l'utilisation des TIC pour le développement d'autre part. Ces deux sujets ont d'ailleurs vocation à se rencontrer.

Quelles sont donc vos activités ?

Elles sont si nombreuses que je ne vais citer que celles qui me paraissent les plus significatives du croisement que j'évoquais plus haut.

Je suis directrice générale du Centre Féminin pour la Promotion du Développement (CEFEPROD). Il s'agit d'une ONG camerounaise, qui vise à promouvoir les femmes par le biais de la qualification et de l'emploi. Nous avons par exemple des accords avec des organismes de formation aux métiers de l'informatique, encore trop souvent réservés aux hommes. Notre site vous fournira de plus amples détails sur notre activité. Le CEFEPROD dispose du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies.

Je suis également membre fondateur et Présidente élue du réseau panafricain ACSIS (Africain Civil Society for the Information Society), et membre de plusieurs autres organisations internationales chargées de promouvoir la société de l'information. Au niveau national, je suis présidente de la Plate-forme des Associations de Défense des Droits des Consommateurs des Produits et Services des Télécommunications et TIC au Cameroun (PLADCOTIC).

Je participe à de très nombreuses réunions et conférences internationales en m'efforçant de faire entendre, avec mes collègues, la voix de l'Afrique et du désir immense de ses populations d'entrer de plain-pied dans la société numérique.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur l'ACSIS ?

ACSIS est une plate-forme par laquelle la société civile africaine peut influencer les politiques et s'assurer que les stratégies et programmes qui permettent la promotion et le développement des TIC vont bien dans le sens du développement et de ses composantes majeures : réduction de la pauvreté, participation des communautés dans les politiques et stratégies mises en oeuvre, accroissement du niveau d'éducation...

Nous effectuons constamment le llien entre les communautés et les décideurs, en faisant circuler l'information et en faisant remonter les besoins. Notre préoccupation majeure est de renforcer les partenariats équitables, de manière à ce que les communautés se fassent entendre au moment où se décident les politiques nationales et internationales.

Y a t-il des exemples de revendications ou des sujets sur lesquels l'ACSIS a attiré l'attention, et qui ont été pris en compte au plus haut niveau ?

Nous avons beaucoup milité pour le Fonds de solidarité numérique dont la Fondation, malheureusement, est en voie de liquidation. C'est un coup dur pour l'Afrique et tous les pays en voie de développement.

Heureusement, nous connaissons plus de succès avec certains sujets très concrets. L'éducation et l'utilisation des TICE font partie de nos priorités.

Comment travaillez-vous ? Avez-vous une activité de terrain ?

Nous n'avons pas d'activité directe auprès des groupes, car nous ne voulons pas interférer avec les politiques nationales. Nous intervenons au niveau de la coordination et de la mise en place de partenariats entre les différents groupes d'intérêt. Nous organisons des campagnes de sensibilisation, des actions de plaidoyer. ACSIS dispose de représentations sous-régionales et nationales.

Actuellement, sur quels sujets portent les demandes prioritaires, dans la société civile ?

L'accès aux technologies mobiles est un sujet brûlant. Le taux d'équipement en téléphones cellulaires croît très rapidement, il faut que cet équipement se généralise, à des coûts supportables pour tous.

Le domaine éducatif est aussi au centre des préoccupations de la société civile. Les demandes prioritaires sont axées sur les infrastructures (équipement des écoles) et la formation des enseignants, y compris dans les universités.

Parlons maintenant des femmes. Vous semblent-elles défavorisées, en matière d'accès aux TIC ?

Le sujet est bien plus vaste que cela. Malgré toutes les conférences mondiales, les plans d’action adoptés, les conventions ratifiées, la mobilisation constante des militantes des droits des femmes, nous constatons encore aujourd’hui, en ce début de XXI ème siècle, que l’égalité entre les hommes et les femmes est loin d’être atteinte. Les chiffres sont là pour prouver que les femmes n’ont pas atteint les scores d’égalité souhaités. Elles sont encore les pauvres des pauvres, les analphabètes des analphabètes, les exclues des exclus malgré toutes les mesures prises.

Parlant des TIC, on pourrait dire que les femmes sont les premières victimes du fossé numérique car elles ont moins accès que les hommes aux TIC. Elles ont une attitude ambiguë envers les technologies et les machines, pour avoir de tout temps été socialisées dans la croyance que les machines et la technologie sont le domaine des hommes et non des femmes et des filles, ce qui crée un préjugé sexiste dans les attitudes devant l’étude ou l’utilisation de la technologie de l’Information.

Sitôt arrivées à l’école, les filles sont détournées des filières scientifiques et techniques, consciemment ou non, par les préjugés des parents et des enseignants. Dans certains pays d’Afrique, les filles sont incitées à se marier ou à trouver un emploi plutôt qu’à poursuivre leurs études. La décision des parents d’investir dans l’éducation des garçons se fait souvent au détriment des filles, à qui on demande de participer aux tâches domestiques. Leur participation à la Société de l’information se heurte à tous ces nombreux  obstacles socio-culturels et institutionnels qui fondent et pérennisent les disparités entre hommes et femmes face aux TIC. Nous avons cité le faible niveau de formation, la faible participation des filles dans les filières scientifiques et techniques, les nombreuses tâches traditionnelles quotidiennes, la situation économiques défavorisées, (manque d’accès au crédit) la faible mobilité et le manque de temps.

Enfin, et ce n'est pas accessoire, il faut bien avoir présent à l'esprit que l'intégration aux métiers des TIC passe par la pratique de plusieurs langues vivantes étrangères. Les femmes, même quand elles ne sont pas complètement analphabètes, ne maîtrisent pas les langues qui font accéder aux TIC (français, anglais, allemand, japonais ou chinois).

Vous êtes très critique sur le sujet ! Que faudrait-il faire, pour que les femmes aient toutes leurs chances d'appropriation des TIC ?

La liste serait immense... Je me contente donc de citer les points qui me semblent essentiels :

  • Mettre en place des politiques de discrimination positive à tous niveaux, c'est à dire renverser totalement le réflexe habituel qui consiste à penser, devant une candidature féminine à une cycle d'études techniques ou un emploi dans les TIC : "Ah... Mais c'est une femme, alors je ne prends pas". Il faut au contraire encourager les responsables à penser "Une femme ! Quelle chance !"
  • Intégrer la problématique genre, de manière systématique et transversale à toutes les politiques de développement. Ne pas se contenter de l'écrire, mais le faire !
  • Assurer l'équité de genre dans l'éducation. C'est particulièrement important en Afrique pour l'éducation de base, mais le sujet est sensible pour tous les pays du monde au niveau de l'enseignement supérieur; il faut encourager les femmes à faire des études scientifiques et techniques.
  • Intégrer les femmes dans les sphères de prise de décision, notamment dans la définition des politiques.
  • Intégrer, de manière systématique, les TIC aux actions de promotion féminine.
  • Et transformer les TIC, de l'intérieur : traduire les contenus en langues locales; développer des contenus intéressant spécifiquement les femmes. C'est aux femmes elles-mêmes de faire cela. Si on leur ouvre la porte, elles vont s'engouffrer dans le domaine, j'en suis sûre.

 

 

 



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