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Publié le 13 mai 2009 Mis à jour le 13 mai 2009

Une réflexion fondamentale sur les pratiques de plagiat à l'Université

Quelle université, quelle institution de formation n’est pas aujourd’hui confrontée à la question du plagiat, pratique facilitée par la présence d’énormes quantités d’informations et de connaissances librement accessibles sur Internet ?

Internet peut être comparé à un énorme sac de bonbons dans lequel il n’y a qu’à plonger la main pour se bâfrer. Dans le cadre de la formation universitaire, le fait de se servir gratuitement et sans le dire de toutes les ressources mises à disposition sur la toile heurte de plein fouet la conception de ce que doit être la lente et patiente élaboration d’un savoir scientifique.

Cela fait-il des étudiants pratiquant le copier-coller des voyous sans foi ni loi, n’accordant aucune valeur aux résultats de leur processus d’apprentissage, et à ce processus lui-même ? La réponse à cette question est moins évidente que voudraient nous le faire croire ceux qui transforment tous les « téléchargeurs » en voleurs, pour des raisons économiques évidentes.

Car l’Université ne se situe pas sur ce terrain-là, et c’est sa grandeur. C’est l’immense mérite des auteurs du rapport intitulé « La relation éthique-plagiat dans la réalisation des travaux personnels par les étudiants » que d’avoir déplacé le débat autour du plagiat sur le terrain de la mission et des valeurs de l’Université, en regard des perceptions, pratiques et conditions de vie des étudiants. Ces six auteurs (parmi lesquels figure Daniel Peraya, qui a récemment présenté le rapport à l’Université de Montréal) proposent un document qui fera date.

Le métier d’étudiant aujourd’hui

La première section du rapport, à notre sens la plus intéressante, s’intéresse à « un contexte en mutation ». Sous l’influence des TIC, présentes à l’extérieur aussi bien qu’à l’intérieur de l’Université, la conception dominante de la connaissance et du savoir a changé : les étudiants manipulent et construisent avec aisance un savoir « narratif », qui acquiert sa légitimité de manière bien différente du savoir « scientifique » promu à l’Université. Il y aurait donc là confusion entre deux types de savoirs : « L’université, lieu traditionnel de développement, de transfert et de partage des connaissances et de la compétence scientifique, se trouverait dès lors dans l’obligation de faire coexister deux logiques difficilement compatibles, dont celle de ces savoirs narratifs qui, loin de condamner le plagiat, fait de l’appropriation du dire d’autrui son mode de fonctionnement caractéristique. Le plagiat n’y a aucune place, car il n’y existe tout simplement pas ».

L’Université voit ses frontières ébranlées de bien d’autres façons : les auteurs constatent en particulier que les limites entre vie étudiante et vie professionnelle deviennent floues : de plus en plus d’étudiants travaillent, de plus en plus de travailleurs étudient. D’où la nécessité pour eux d’être « efficaces », de gérer leur temps et leurs efforts, quitte à prendre des raccourcis peu glorieux pour rédiger leurs travaux personnels… Les TIC leur offrent là de grandes facilités. Elles leur fournissent également de nouveaux modèles de construction de la connaissance, essentiellement collectifs. Or, l’Université promeut toujours l’évaluation individuelle. En cela, il y a contradiction au sein même des pratiques des professeurs qui, en tant que chercheurs, investissent largement ces pratiques collectives et en tant qu’enseignants, reviennent à une conception individuelle de l’apprentissage et de l’évaluation.

De la pratique ponctuelle à l’usage systématique du plagiat

Si 80 % des étudiants disent avoir utilisé une source externe sans la citer dans l’un de leurs travaux écrits, tous n’utilisent pas cette facilité avec la même intensité. Le chapitre consacré aux « comportements et compétences des étudiant-es » dresse une typologie des comportements. On recense les « non-plagieurs », qui n’approuvent pas la pratique et l’ont utilisée très rarement ; les «bricoleurs » qui font du patchwork à partir de ce qu’ils trouvent sur Internet et estiment souvent que c’est cela que leur demandent les enseignants ; les « tricheurs », qui se justifient en disant que tout le monde en fait autant, et ne pratiquent le plagiat que lorsqu’ils ne trouvent pas d’autres solutions ; les « manipulateurs », qui jouent avec les valeurs et les normes, défendent l’idée d’une morale élastique ; les « fraudeurs » enfin, qui trichent comme ils respirent pour obtenir LA note, sans aucune culpabilité, et en tirent même une certaine réputation de « bad boys » qui les valorise.

Le rapport souligne que la relation enseignant – étudiant est un bon indicateur de l’attitude des étudiants face au plagiat : plus l’enseignant est disponible pour ses étudiants, plus ces derniers le sollicitent, moins ils auront envie de tricher. Les assistants jouent eux aussi un rôle fondamental, dans la mesure où ils sont proches des étudiants lorsqu’ils élaborent leurs mémoires et thèses. La relation interpersonnelle s’avère un bon pare-feu contre les pratiques de plagiat.

Le rapport se poursuit par une partie sur la bibliothèque de demain (compilation de citations, par ailleurs fort bien identifiées…) et la nécessaire formation à la compétence informationnelle des étudiants. Il aborde ensuite la question cruciale des valeurs, normes et règles en usage dans l’Université. L’auteur de cette partie affirme avec force que les valeurs d’un établissement d’enseignement doivent être explicites bien avant que ne tombe la sanction. Les normes d’évaluation doivent également être annoncées et respectées. Les règles découlent de ces valeurs et normes. Il importe donc d’engager une réflexion approfondie sur les valeurs et normes en usage dans un établissement avant d’édicter des règles, plutôt que de bricoler des règlement anciens et déconnectés de l’actuel contexte de production des savoirs.

Le rapport s’achève sur des aspects opérationnels : comment qualifier la faute (copier, tricher, plagier, frauder…) et quelles sont les solutions des enseignants pour ne pas y encourager leurs étudiants ; quelles procédures systématiques de vérification des documents, à partager au niveau national et international ; quels outils de détection de plagiat (ou plutôt, de détection des similarités entre textes), et leurs limites ; quel système global d’information pour intégrer de manière cohérente la question du plagiat dans les principes et tâches de chaque établissement.

La conclusion du rapport rappelle trois points essentiels : parler du plagiat, c’est poser la question de l’authenticité attendue des étudiants et, partant, de celle qu’on leur propose en exemple. C’est être conscient de la productivité accrue des étudiants, générée par la semestrialisation des enseignements et la concentration des cours sur une courte période. C’est enfin être conscient du fait que l’outil modifie la manière de penser, sans toutefois se contenter des pratiques communes, qui privilégient la compilation d’éléments épars en guise de savoir, celui-ci étant oublié aussitôt que construit.

Ce rapport est accessible sur le site Fraude et déontologie selon les acteurs universitaires, où il peut également être téléchargé. Le lecteur a la possibilité de laisser des commentaires à la fin de chaque chapitre.

On appréciera sa lecture facilitée par un découpage serré des parties, un langage accessible aux non-spécialistes et de nombreux témoignages d’étudiants et d’enseignants.


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