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Publié le 28 janvier 2011 Mis à jour le 28 janvier 2011

La chimie verte face aux peurs bleues

La première des stratégies pour séduire peut passer par une opération de promotion massive, comme celle de l'année mondiale de la chimie organisée par l'UNESCO. L'analyse de cette campagne nous permet de cerner les limites d'un certain angélisme publicitaire qui néglige les enjeux politiques et industriels et dans une certaine mesure, méprise le public, jeune ou moins jeune.

Verte, durable

Un premier procédé rhétorique est l'euphémisme et on sait tous comment de sombres réalités peuvent être masquées par une terminologie enjolivante : le développement économique de l’industrie chimique protège l’environnement, la science « pure » dessine un avenir radieux à l'humanité à condition de faire confiance aux experts qui se placent tous dans une démarche de préservation des équilibres écologiques et... la chimie devient verte.  Certes l'euphémisme donne la direction du changement, et reconnaît implicitement la valeur de la préservation de notre écosystème et la nécessité de réfléchir à long terme mais il cherche également à cacher. Hérvé Le Crosnier dans un article récent du « Monde diplomatique » s'insurge contre cet angélisme qu'il  qualifie de « rêve bleu ».

« Dès les premiers pas, il s’agit donc d’éviter les mots qui fâchent, de retourner les idées comme les cartes d’un jeu biseauté : il n’existe pas de produits toxiques et éco-toxiques, aucun de ces cancers environnementaux et maladies chroniques n’encombrent l’horizon, il n’y a jamais eu ni armes, ni accidents chimiques. »

Une bonne communication ne sous-estime pas les réalités et la capacité du grand public à se poser des questions. Verte et durable, la chimie a du mal à faire oublier les cadavres dans les placards de ses labos et ce n'est pas seulement la faute de cette imagerie de savant fou à la Docteur Jekyll qui lui colle à la peau.

Il ne suffit pas de dire que l'on va désormais remplacer les produits néfastes pour l'environnement par de nouveaux produits, il faut aussi rassurer sur les procédures et les mesures qui sont mises en œuvre concrètement pour arriver à ces résultats. Hervé le Crosnier déplore que le site officiel ne mette pas assez en avant les processus de régulation comme les protocoles collectifs du modèle REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals qui signifie enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques) mis au point par l’Union Européenne.  Il est vrai que la campagne 2011 fait assez peu référence à cette directive européenne qui impose aux fabricants et importateurs de prouver l’innocuité de leurs produits sur la santé et l’environnement avant leur mise sur le marché. REACH doit permettre d’obtenir, à terme, des informations sur les risques de plus de 30 000 substances en onze ans.  

Les icones et le storytelling

Une autre stratégie bien connue pour attirer les vocations est celle de la personnification : une discipline, une idée, un concept, une démarche se perçoivent mieux lorsqu'ils sont incarnés. LOREAL vend ses produits de beauté tout en  promouvant la science à travers ses portraits de femmes chercheurs par exemple.

La chimie trouve en Marie Curie le symbole d'une recherche désintéressée, brillante, exceptionnelle et ce qui ne gâche rien, romanesque. Hervé Le Crosnier, toujours persifleur ajoute :

« Les icônes, c’est tout naturel, font consensus, ce qui est bien pratique pour éviter les débats. »

Il se trouve que certaines icones sont difficiles à phagocyter, et que l'évocation de la vie de Marie Curie peut donner lieu à des débats encore bien vivaces pour peu qu'on veuille s'en donner la peine ! Marie Curie s'est battue pour obtenir les moyens dont ses recherches avaient le plus grand besoin à une époque où on tenait la recherche fondamentale dans le plus grand mépris et cette époque est loin d'être révolue ! Pierre et Marie Curie ont refusé de déposer un brevet qui aurait pu les mettre à l'abri financièrement, afin de permettre à tout scientifique, français ou étranger, de trouver des applications à leur découverte, la radioactivité. Marie Curie enfin, s'est vue refuser l'entrée à l'Académie des sciences parce qu'elle était polonaise et... femme !

Ce n'est donc pas le procédé lui-même qui est à rejeter comme en témoigne cette démarche très réussie  qu'est "Chemical World Tour" organisé par les les acteurs français du secteur chimique, la Fondation internationale de la Maison de le chimie avec le concours de journalistes. Quatre étudiants en chimie et une étudiante en journalisme sont partis en reportage autour d'innovations et de recherches dans le domaine de la "chimie verte" dans diverses régions du monde : USA, Chine, Allemagne, Brésil. Les internautes ont été appelés à voter pour leur favori, jusqu'au 17 décembre 2010.

Une chimie des échanges humains

Le secret de la réussite de cette opération de communication réside dans le ton qu'elle a su trouver entre le reportage télévision classique (il y a forcément une très forte scénarisation) et la confiance et la liberté laissées à la curiosité scientique et humaine des participants.

La vidéo réalisée à partir des principales étapes de l'aventure est passionnante et suffirait à attirer le lycéen le plus désabusé !
Cela commence par un canevas de recette culinaire, parce que la chimie, cela a forcément quelque chose à voir avec l'amour de la cuisine et se poursuit par une formation aux techniques du reportage. Les apprentis reporters sont ainsi incités à beaucoup d'obstination dans leurs futurs questionnements :  « Soyez exigeants, dites : cela ne me suffit pas ! ».

Ce qui frappe dans cet angle de présentation, c'est la place laissée aux contextes géographiques, aux environnements humains.

La jeune étudiante en journalisme faisant partie de l'équipe des étudiants sélectionnés confie : "Je pensais que les chimistes s'ennuyaient dans leurs labos, et bien c'est un petit peu le contraire !"

On peut suivre les aventures de ces cinq passionnés à travers leur blog et retrouver l'aventure sur un DVD que  l'Education nationale mettra à la disposition des lycées pour servir de support aux professeurs de chimie.Si on peut juste rêver en tant que pédagogue de donner autant d'outils et de moyens à nos étudiants, reste la démarche d'accompagnement autour de projets qui, forcément plus modeste, reste la même pour aboutir à une réalisation, à une publication accessible aux autres.

Pour ceux que le sujet intéresse, le CNRS a organisé le mardi 1er février 2011 une journée "La chimie face aux défis de la communication" qui donnera la parole à différentes approches : celle de la recherche, de l’industrie, mais aussi des acteurs de la société civile ou du monde des décideurs politiques. Vous pouvez retrouver les tables-rondes en vidéo de cette journée.

 

Photo haut de page : jef safi, Flickr, licence CC.

 

 


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