Un proverbe marocain dit à peu près ceci : « Avec
de la patience on parvient à tout ingurgiter, y compris les aubergines. »
Je ne sais pas pourquoi ce délicieux légume a chez mes compatriotes la
réputation d’être indigeste mais le fait est que cet adage, mis à toutes les
sauces si j’ose dire, sert surtout à montrer qu’il n’existe pas de tâche qui
puisse résister à l’usure du temps[1]. Ce
dicton populaire est invoqué à tout bout de champ. Une matière difficile à
transmettre ? « Avec de la patience on parvient… » Une tête de mule
réfractaire à toute morale ? « Avec de la patience… » Une règle
de conduite difficile à tenir ? « Avec… »[2]
Soit. Mais ce rythme "lent" (on peut dire aussi
"réfléchi" ou "apaisé") est-il réellement de mise dans les
écoles marocaines ? Enseigne-t-on en prenant le temps justement de bien
expliquer les notions ? Et, de la même manière, laisse-t-on aux élèves le
temps d’assimiler ces notions ? Pour tous ceux qui connaissent les
programmes surchargés de l’école marocaine, publique et privée, rien n’est
moins sûr. Les conditions ne s’y prêtent en tout cas pas. En effet, l’un des
principaux griefs fait au système éducatif est une surcharge de matières,
dédoublées de surcroit puisqu’enseignées en français et arabe. L’exigence de
boucler un programme très lourd devient alors une hantise pour nombre
d’enseignants. Des enseignants confrontés au dilemme classique du rythme
d’enseignement. Faut-il aller vite au risque de n’intéresser que les élèves
brillants, ceux qui assimilent tout très vite ? Ou, à l’inverse, se
soucier du niveau moyen de la classe, forcément plus bas, quitte à lasser ces
mêmes brillants élèves, qui du coup s’ennuient car ils comprennent tout bien
avant les autres ? Cela revient à définir comment employer le temps. Ici,
comme pour de nombreuses autres problématiques de l’éducation, les nouvelles
technologies ont changé la donne. Essayons de voir comment et pourquoi.
Comment employer le temps pédagogique
Il est peut-être finalement vain de vouloir opposer à tout
prix rythme accéléré d’enseignement et rythme prétendument lent de
l’apprentissage. Les deux cohabitent souvent. Les enseignants, en particulier
ceux ayant du métier, accélèrent ou ralentissent en fonction de la complexité
du passage traité ou de l’état de disponibilité de l’auditoire. La scansion
entre la compréhension immédiate et l’assimilation à long terme est
véritablement la clé pour comprendre ce qu’est le temps pédagogique. Le
professeur joue continuellement entre ces deux rythmes, ces deux tempos.
Cette faculté disparaitrait-elle lorsque l’enseignement se
fait à distance ? Certes pas. Ne serait-ce que parce qu’il existe souvent
des délais à respecter pour les évaluations. Mais, contrairement à ce qui se
passe en enseignement présentiel, l’apprenant "livré" à son
ordinateur est en principe libre d’adapter son rythme de croisière. Ce choix
laissé à l’appréciation de l’apprenant est d’ailleurs une source d’angoisse
potentielle. « Ne suis-je pas en retard sur le programme ? » Les
autres sont-ils au même niveau d’avancement ? Oui mais voilà, les autres
ne sont pas assis à la table d’à côté ! La création des communautés
d’étudiants est une des réponses à cette nécessité de se situer, de comparer
son rythme d’apprentissage et son niveau d’avancement à ceux des autres
apprenants.
Une autre réponse pour les enseignants qui doivent faire
face à des niveaux hétérogènes en classe, voire à des classes multi-niveaux,
consiste à adopter une pédagogie de
l’intégration. Un dispositif de formation à distance nommé « Collab » créé par le Centre national des
innovations pédagogiques et de l’expérimentation du ministère marocain de
l’éducation offre de nombreuses ressources.
Mais la gestion du temps constitue aussi un facteur
déterminant pour réussir l’intégration cette fois des nouvelles technologies.
Savoir gérer les temps de l’innovation et de la réforme
Les difficultés que rencontre la mise en œuvre de
l’ambitieux programme Génie,
qui vise à terme la généralisation des TICE à l’ensemble du système éducatif
marocain, montrent parfaitement cela. Après une évaluation à mi-parcours, les
responsables du programme ont ainsi mis en place un moratoire destiné à corriger
le tir, notamment au niveau des décalages constatés entre les plannings
d’équipement, ceux de la formation des différents acteurs impliqués et du
développement des contenus pédagogiques.
Il s’agit en réalité d’un nouveau mode de gouvernance du
programme qui est établi. Il instaure dans le cadre d’un plan d’action
s’étalant sur la période 2009-2013 des paliers d’équipement en fonction des
niveaux d’enseignement et des disciplines. Il introduit également la notion de
« développement
des usages » avec l’objectif avoué de valoriser les bonnes pratiques,
en particulier en matière d’échanges des informations. Dans le même ordre
d’idées, des communautés de pratiques ont été créées sur l’ensemble du
territoire, moyen efficace de mobiliser les différents acteurs éducatifs mais
aussi de les faire adhérer à une dynamique de changement de cette ampleur.
Car ce qui est valable pour Génie l’est a fortiori de
l’ensemble de la réforme du système éducatif marocain dans lequel il s’inscrit
au demeurant. Le ministre de l’éducation nationale a rappelé ces contraintes
dans une longue interview
donnée récemment à un quotidien local. Il insiste sur le décalage qui existe
entre le temps politique et le temps, nécessairement plus lent, pour faire
bouger des procédures et des pratiques ancrées depuis de nombreuses
générations. Bref, il faut donner du temps au temps, selon un adage bien connu.
Tout en conservant à l’esprit la nécessité d’afficher des résultats et de
rassurer l’opinion publique sur le bien fondé de la démarche ! On l’aura
compris, réformer n’est pas une sinécure et ce, quel que soit le domaine.
[1] Car à la
patience il faut adjoindre la « longueur de temps » de Jean de La
Fontaine qui en tire la même leçon dans une de ses fables.
[2] De toute
façon, enseigner demande de la patience. Un coach en créativité, qui se définit
comme une maman
à la maison, l’exprime d’une manière originale et tout en poésie. Je ne
résiste pas à la tentation de partager cette approche.
Photo : rayparnova, Flickr, licence CC.
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