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Publié le 03 février 2010 Mis à jour le 03 février 2010

Écoles de journalisme : demandez le programme

Les écoles de journalisme ont-elles opéré leur mue numérique ?

Les métiers du journalisme font rêver les jeunes, qui sont nombreux à s'informer sur les filières de formation. Mais, comme on peut le lire sur le site de L'Etudiant, il y a dans ce secteur plus de formations que de postes ! Et l'emploi à la sortie n'est pas garanti...

Un monde en complet bouleversement

Le monde de la presse change. La faute à qui ? A Internet, bien sûr, et à ses outils d'édition si accessibles, qui permettent à n'importe qui de devenir journaliste d'un soir. Mais l'accusation est un peu trop simple. Car Internet profite aussi aux journalistes, qui y trouvent une liberté de ton inconnue dans les grandes rédactions, des niches d'audience très spécialisées, et une nouvelle relation à leur lectorat. C'est notamment ce qu'explique Vincent Truffy, journaliste appartenant à l'équipe de Médiapart. Médiapart est ce que l'on apelle un "pure player", c'est-à-dire un organe de presse qui n'existe qu'en ligne. Vincent Truffy, qui a longtemps travaillé pour Le Monde avant de suivre Edwy Plenel, son ancien rédacteur en chef, dans l'aventure de Médiapart, fait dans cette entrevue la comparaison entre la pratique du métier dans les deux catégories de rédaction. 

On retiendra que les rédactions de sites d'information sont plus petites, que les journalistes y sont plus autonomes et polyvalents, ont des liens plus étroits et personnalisés avec leur lectorat. On notera également que le passage au journalisme multimédia "change à peu près toutes les formes d'expression du journalisme". Ayant accès à la vidéo, au son, à la photo, le journaliste jongle entre ces différents médias et son écriture se modifie.

Mais les journalistes de la presse reconnue, souvent grâce à une forte présence sur support papier, doivent faire face à la concurrence des blogueurs et autres spécialistes des réseaux sociaux, qui leur mangent la laine sur le dos : ils annoncent les nouvelles parfois plusieurs heures avant les organes de presse, ils publient des analyses brillantes, au point que l'on se demande alors à quoi sert un journaliste ! Selon Fabrice Mazoir, interrogé par RFI, qui est responsable éditorial du site Régions job, le journaliste devient animateur de communauté, point de repère et source de confiance dans le flux continu des informations qui circulent sur Internet.

Mais quel modèle économique se profile derrière ces nouvelles façons de travailler ? A l'heure du tout gratuit, comment les journalistes sont-ils rémunérés ? Médiapart a fait le choix de l'abonnement payant, mais V. Truffy reconnaît volontiers qu'il est encore trop tôt pour dire si le modèle est viable. Il insiste sur le fait que la gratuité pour l'utilisateur final fait perdre en crédibilité. De plus, la publicité et quelques services payants ne suffisent pas à financer le travail de la rédaction et des techniciens. C'est sans doute pour cela que le New York est désormais passé à un modèle payant.

Quelles représentations du journalisme, dans les filières de formation spécialisées ?

Les écoles de journalisme et autres filières universitaires spécialisées ont-elles mesuré l'ampleur des changements en cours dans ce secteur d'actvité ? Ce n'est pas certain; du moins, pas partout. Mais elles réfléchissent, c'est sûr. Et elles expérimentent : les universités anglo-saxonnes ont bouleversé leurs programmes d'enseignement pour offrir des perspectives plus larges à leurs étudiants.

Seth Lewis, ancien journaliste et désormais enseignant en école de journalisme aux USA, a rencontré plusieurs directeurs de ces écoles et souligne que tous cherchent à mettre en place les contenus les mieux adaptés. Le journalisme n'est plus le seul métier du "media work". Dans ce secteur, les emplois sont désormais individualisés, temporaires, précaires. Selon S. Lewis, l'adaptabilité est la compétence principale à acquérir dans le cadre de ses études. En conséquence, les curriculums doivent être flexibles, pour s'adapter aux tendances technologiques et culturelles de la société. 

Les initiatives anglo-saxonnes

S. Lewis mentionne différentes initiatives allant dans ce sens.

Une première voie à explorer est celle du renforcement de la culture des étudiants, de la diversification de leur recrutement et du niveau d'exigence qui leur est demandé. Le Programme Carnegie-Knight pour l'avenir de la formation en journalisme, très richement financé sur fonds privés, a ainsi fédéré les douze principaux instituts de journalisme des universités américaines, dans l'optique de renforcer l'intégration de ces instituts à la vie des campus, de repérer les talents dans toutes les disciplines enseignées, et de réaliser des reportages tout au long de l'année sur des sujets d'intérêt général, pour lesquels les journalistes en exercice disposent rarement du temps nécessaire. 

La deuxième voie est celle qui vise à intégrer à la formation des étudiants un enseignement spécifique sur la réalité économique et managériale de la pratique du métier de journaliste. Pour faire court, le journaliste aujourd'hui doit se débrouiller tout seul pour vendre ses productions. De nombreuses universités américaines et britaniques ont donc ajouté un enseignement économique à leurs curriculums. Certaines proposent même un double cursus communication de masse et économie, qui était jusqu'à présent réservé aux étudiants en publicité et en relations publiques, mais qui s'ouvre aux étudiants journalistes.

Une troisième voie, radicalement différente, consiste à plonger le plus vite possible les étudiants en journalisme dans la réalité de ce qu'est aujourd'hui la presse en ligne. C'est le pari réalisé par le programme Studio 20 de l'institut de journalisme de l'Université de New York, qui a bâti son cursus sur la pédagogie de projet. Les étudiants sont mis en relation avec des partenaires issus du monde de la presse en ligne, et y acquièrent des compétences éditoriales (celles qu'acquiert tout étudiant journaliste) aussi bien qu'en gestion globale de site. Le recrutement des étudiants (qui sortent d'un premier cursus d'études ou ont une expérience professionnelle) est on ne peut plus diversifié : rédacteurs, éditeurs, vidéastes, journalistes audio, programmeurs, designers, producteurs web... L'intérêt résidant dans le croisement, la complémentarité et le partage des savoir-faire : "Nous attendons des étudiants qu'ils soient flexibles, curieux, généreux dans le partage de leurs habiletés, enthousiastes face à de nouveaux apprentissages et volontaires face aux adaptations qu'exigera leur projet". 

La quatrième voie enfin dont nous traiterons ici est celle de la formation en cours d'emploi. La National University de San Diego, exclusivement dédiée à la formation des adultes, propose un Master de journalisme numérique en ligne. A raison d'un cours par mois, l'étudiant acquiert, seon le programme qui est présenté, des compétences lui permettant tout à la fois de créer du contenu multimédia, de comprendre les mutations de la presse et de ses métiers, de développer un site de presse. Une mise à jour bienvenue pour les journalistes traditionnels.

En France...

Les quelques programmes d'écoles de journalisme accessibles sur Internet montrent que la réflexion n'en est pas au même stade dans les filières spécialisées françaises. Certes, le multimédia est présent, mais essentiellement dans sa dimension technique ou dans la recherche. La fameuse Ecole Supérieure de Journalisme de Lille a ouvert un programme de recherche sur le journalisme 2.0 mais ne semble pas encore prête à l'enseigner aux étudiants. C'est pourtant dans cet espace résolument multimédia que se développent les formes les plus originales de journalisme, comme en témoigne le webdocumentaire qui a tant de succès aujourd'hui. 

D'autres écoles, comme le CFPJ par exemple, semblent plus ouvertes au multimédia. Mais on cherchera en vain dans ces programmes le lien fort (en dehors des périodes de stage) avec la presse nouvelle telle qu'elle s'invente chaque jour, et la prise en compte du fait qu'aujourd'hui, chacun peut devenir journaliste, ce qui implique de posséder certaines compétences.

Alors, tous journalistes ?

D'où la tentation, qui peut être une voie de sortie pour les écoles, d'intégrer un enseignement de journalisme aux autres disciplines. C'est la voie qu'indique Jay Rosen, directeur du Studio 20 mentionné plus haut : "Dans l'avenir, chacun pourra être un journaliste, et les personnes qui seront les meilleures dans ce domaine seront celles qui posséderont une expertise dans des domaines hors du journalisme. Cela signifie, pour moi, que tout le monde devrait suivre un cours de base en journalisme, de la même façon qu'il est intéressant de suivre un semestre de maths, de littérature anglaise, de chimie ou de physique". Car, ajoute t-il plus loin : "L'écoute est un art qui a toujours été valorisé. Et si le journalisme est quelque chose, c'est bien l'art de l'écoute, et ensuite l'art d'être écouté". 

 

 

Photos :

Mfophotos, sur Flickr, licence CC (titre)

Fatcontroller, sur Flickr, licence CC (studio radio)

Samikki, sur Flickr, licence CC (studio TV)


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