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Publié le 05 octobre 2010 Mis à jour le 05 octobre 2010

Dys moi : le réseau social qui brise l'isolement

Les troubles "dys" (dysphasie, dysorthographie, dyslexie, dyspraxie, dysgraphie) perturbent sérieusement les apprentissages sociaux et scolaires des enfants qui les subissent. Même s'ils sont de mieux en mieux repérés à un âge toujours plus précoce, leur prise en charge demeure un véritable parcours du combattant pour des parents souvent incompris et peu familiers des procédures administratives complexes. Pour briser l'isolement, mettre en commun les informations et les expériences, pour créer une chaîne de solidarité entre parents, une maman directement concernée par le problème a créé le groupe Dys moi... sur Facebook. Nous nous sommes entretenus avec elle.

Corine Lalanne, qui êtes-vous ?

Je suis la maman de trois enfants : Léa, qui a neuf ans et demi, Mathias et Romain, jumeaux, qui vont avoir huit ans. Je vis avec mon mari et mes enfants à Tarbes, dans le sud-ouest de la France, aux pieds des Pyrennées. 

Pourquoi avez-vous créé le groupe Dys moi... sur Facebook ?

Parce que je suis directement concernée par les questions et les problèmes que posent la prise en charge d'enfants porteurs de troubles "dys". Nos garçons sont en effet atteints de dysphasie sévère pour l'un, très sévère pour l'autre. La dysphasie est un trouble permanent (pas un simple retard) de l'acquisition du langage, qui s'accompagne souvent de troubles associés : troubles de la lecture, de la graphie, comportements impulsifs résultant du haut niveau de frustration vécu par l'enfant qui a le désir de communiquer mais n'est pas compris. Notre fille est également dyslexique, mais à un niveau bien moindre que celui de la dysphasie qui touche nos garçons.

Vous avez donc voulu partager votre vécu avec d'autres parents d'enfants porteurs de troubles "dys" ?

Oui, car nous nous battons au quotidien pour faire reconnaitre le handicap de nos garçons, de manière à ce qu'ils puissent bénéficier des aides prévues pour les enfants handicapés, notamment à l'école. Je vous assure que ce n'est pas facile. C'est même un véritable parcours du combattant ! Lorsque la dysphasie des garçons a été diagnostiquée, nous nous sommes retrouvés très seuls face à l'administration. La dysphasie n'était alors pas reconnue come handicap par les autorités départementales concernées. Je suis allée très loin pour faire changer la situation, et j'ai réussi. Ces combats sont maintenant derrière moi, mais un autre vient de commencer : l'intégration scolaire des enfants "dys".

Il existe pourtant des textes qui officialisent la reconnaisance des différents handicaps et encadrent l'accès à du personnel spécialisé, les Assistants de vie scolaire (AVS) par exemple...

C'est vrai, mais du texte aux situations réelles, il y a un gouffre. Chaque situation est particulière, et c'est à l'école de s'adapter aux enfants, pas l'inverse ! Par exemple, Mathias et Romain suivent un programme de rééducation avec une orthophoniste, le programme Makaton qui associe, pour l'acquisition du langage, des pictogrammes, la langue des signes et l'oral. L'an dernier, lorsqu'ils sont entrés au cours préparatoire, il s'est avéré impossible de les faire accompagner par une AVS à temps plein sachant signer couramment (pratiquer la langue des signes). L'année a été désastreuse pour eux. Cette année, il refont leur CP dans une nouvelle école où ils bénéficient depuis peu d'une AVS à temps plein qui pratique couramment la langue des signes. Un ordinateur diposant de l'application Makaton va également être installé dans la classe. Le changement est spectaculaire : Mathias et Romain sont beaucoup plus épanouis et progressent vite dans leurs apprentissages. Mais le combat est à renouveler chaque année !

Pourquoi avoir choisi de partager ce combat sur Facebook plutôt que dans une association locale ?

Parce que je me suis dit que nous devions être très nombreux à vivre ce genre de situation, dans la France entière (et au-delà, puisque nous avons des membres de Belgique dans le groupe Dys moi). De plus, la reconnaissance et l'amélioration de la prise en charge des enfants présentant un trouble "dys" est un combat qui mérite d'être porté au niveau national. Comme on entendait beaucoup parler de Facebook, de son succès, je me suis dit que c'était le bon endroit pour démarrer quelque chose de grande ampleur.

Quand avez-vous ouvert le groupe ? Et quelle a été la réponse des parents concernés ?

J'ai ouvert le groupe en avril 2010. Je me disais que si j'arrivais à rassembler une centaine de personnes, ce serait déjà bien. Mais ce nombre a très vite été dépassé : six mois après l'ouverture du groupe, nous en sommes à plus de 1 600 membres ! Parmi eux, il y a évidemment une forte majorité de parents d'enfants à troubles "dys", mais pas seulement. Il y a beaucoup de gens qui sont là en observateurs, parce qu'ils sont enseignants par exemple, ou simplement parce qu'ils s'intéressent à la question.

J'ai vu sur la page du groupe que vous n'étiez plus seule à l'animer ?

Effectivement, nous sommes cinq co-animatrices, toutes mamans d'enfants porteurs de troubles "dys". Nous nous sommes rencontrées dans le groupe, nous ne nous connaissions pas auparavant, et nous ne nous sommes même jamais rencontrées "en vrai". Mais ça va venir !

Comment se passe cette co-animation à distance ?

Elle se passe merveilleusement bien. J'ai découvert avec surprise que l'amitié pouvait naître en ligne ! Nous sommes très complémentaires, nous nous comprenons, nous sommes solidaires les unes des autres. Quand l'une n'est pas disponible pour le groupe, l'autre prend la relève. Ca se fait naturellement. C'est une expérience humaine essentielle pour moi. 

En quoi consistent vos tâches d'animation du groupe ?

Nous lançons des informations, des sujets de discussion. Nous sommes assez actives, car il faut que le groupe vive, que le dynamisme et la détermination dont nous faisons preuve au quotidien transparaissent dans le groupe. Nous recevons beaucoup de messages privés de la part des membres qui apprécient particuièrement ce dynamisme. D'ailleurs, les membres adhèrent à cette dynamique; ils postent de nombreux messages, les discussions vivent sans nous, et c'est très bien comme ça.

Avez-vous tenté de monter des actions collectives ?

Oui, nous sommes à l'origine d'une pétition qui tourne sur Internet, demandant la réalisation d'une émission télévisée dans la série C'est pas sorcier, qu'on aimerait voir diffuser le 10-10-2010, journée nationale des "dys". Je ne sais pas si cela va se faire, mais nous avons déjà recueilli plus de 3 000 signatures (la pétition est ici). Nous relayons aussi la pétition (qu'on peut signer ici) pour le maintien des emplois d'AVS, actuellement bien menacés par les restrictions budgétaires à l'Education nationale. Nous diffusons de nombreuses informations à ce sujet, car nos membres sont répartis dans toute la France, ce qui permet d'appréhender les situations locales. 

Y a t-il d'autres groupes consacrés aux problématiques "dys" sur Facebook ?

Oui, il y a d'autres groupes, nés principalement à l'initiative des institutions et associations. Mais on me dit que le nôtre est celui qui compte le plus grand nombre de membres. Je sais qu'il y a aussi un site et un blogue qui portent le même nom que notre groupe. C'est un hasard, même si évidemment le sujet est sensiblement le même.

D'où vient le succès du groupe Dys moi..., à votre avis ?

Du fait que les parent ont souvent le sentiment de ne pas être entendus, face aux problématiques de leurs enfants. Nous sommes pourtant les premiers concernés, et les plus impliqués pour que nos enfants bénéficient du soutien dont ils ont besoin, et d'une scolarité normale ! Dans notre groupe, les parents s'expriment librement. Nous partageons les moments difficiles comme les bonheurs du quotidien et les victoires, petites et grandes. Il y a un fort sentiment de solidarité entre nous, nous nous épaulons. Cela nous permet notamment de mieux accepter la réalité des troubles dont souffrent nos enfants.

Ce groupe a t-il permis de mieux faire connaître les problématiques "dys" ?

Oui, même si ce n'est pas son objectif principal. Des journalistes de la presse locale et de la télévision nationale m'ont contactée à travers le groupe, il y a eu des articles, une émission dans la série Allô Docteurs de France 5. Mais nous restons très concentrées sur l'information et la solidarité entre parents, c'est essentiel.

Coment le groupe va t-il évoluer, si le nombre de membres continue d'augmenter ?

Je n'en ai aucune idée ! Je suis sûre qu'une d'entre nous trouvera la bonne idée le moment venu, en parlera aux autres et que nous déciderons ensemble, comme nous le faisons depuis le démarrage. 

Finalement, quel message souhaitez-vous faire passer aux lecteurs de Thot Cursus, au sujet des enfants porteurs de troubles "dys" ?

Qu'il faut être fier de sa différence. Que les enfants "dys" ne doivent pas uniquement être qualifiés par des manques, des difficultés, des troubles, mais aussi par ce qu'ils réussissent mieux que les autres. Mathias et Romain connaîtront la langue des signes. Ce n'est pas donné à tout le monde et ils peuvent en être fiers. De plus, les membres du groupe Dys moi... nous montrent au quotidien que la vie est faite de bonheurs et de victoires autant que de soucis. Sachons partager ces bonheurs.

Merci Corine de cet entretien, et longue vie au groupe Dys moi !

***

Le groupe Dys moi... sur Facebook.

Un article de la presse candienne sur une famille qui compte deux petites filles atteintes de dysphasie sévère, le même trouble que celui qui touche Mathias et Romain : Le défi de vivre avec deux enfants dysphasiques. L'écho du Nord, 29 septembre 2010. Où l'on constate notament que la prise en charge scolaire diffère sensiblement de celle qui est proposée en France.


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