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Publié le 18 mai 2010 Mis à jour le 02 février 2022

L'écosystème éducatif en transition

Les écosysèmes naturels constituent de bonnes sources d'inspiration pour améliorer la gestion de nos villes... et de nos systèmes éducatifs

Le mouvement "Villes en transition", tel qu'il nous est présenté sur le site Brest ouvert, regroupe des collectivités locales qui se sont engagées dans une démarche environnementale globale, pour anticiper sur la hausse du coût et la raréfaction du pétrole. Il s'agit de projets qui touchent à la fois aux transports, à l'habitat, aux relations sociales, à l'éducation... Oui, à l'éducation aussi. En d'autres termes, il s'agit d'imaginer de nouveaux types d'écosystèmes sociaux, moins dépendants des ressources naturelles non-renouvelables, et valorisant davantage les potentiels locaux.

Le mouvement est né dans une université irlandaise et s'est ensuite diffusé dans le pays, puis en Grande-Bretagne, et enfin dans le reste du monde. La démarche Ville en transition est portée par des collectifs de citoyens, qui travaillent en étroite collaboration avec les élus locaux, leur fournissent inspiration, coordination, et fédèrent les différentes initiatives allant dans le sens de l'émergence de sociétés plus humaines et moins énergivores.

La démarche s'inspire directement du fonctionnement des écosystèmes naturels : "L’idée centrale des villes en transition, la résilience, est directement inspirée des écosystèmes naturels. En effet, ces derniers ont la propriété d’être stables, diversifiés, de consommer un minimum d’énergie, d’être autonomes (cycles fermés) et de ne pas produire de pollution (grâce à la forte interconnexion de ses éléments : les déchets d’un système sont utilisés par d’autres systèmes)".

Il s'agit donc d'une démarche sophistiquée inspirée par le biomimétisme (dont il a été question dans cet article), qui lui-même se fonde sur le constat que la vie est favorable à la vie et sait tirer parti de toutes ses composantes, avec un remarquable sens de l'économie.

L'économie, parlons-en. La démarche "Villes en transition" prend le contre-pied de celle qui a été adopté par des villes, des pays, qui sont aujourd'hui au bord de la banqueroute, celle du "toujours plus d'argent", argent perçu comme moteur exclusif du développement, argent qu'on s'empresse d'emprunter sans être sûr de pouvoir le rendre un jour.

A l'inverse, Jaime Lerner, le maire de Curitiba, ville brésilienne d'1,8 millions d'habitants qui figure parmi les plus avancées des Villes en transition, affirme : "Le manque de revenus dont souffre notre municipalité n’est pas un handicap, bien au contraire, c’est un avantage ! Prenez le budget d’une ville et supprimez un zéro, commence alors l’ingéniosité ; coupez encore un zéro et naît la créativité". 

Des systèmes éducatifs en transition

A Curitiba, la question de l'éducation a été prise en compte, ce qui est rarement le cas dans les exemples de villes en transition dont nous avons connaissance. des "phares du savoir" ont été construits à partir de matériaux recyclés et donnent accès aux jeunes des quartiers défavorisés à des ressources numériques et documentaires. On pourra ici faire le rapprochement avec les Idea Stores de Londres.

Mais on peut aller beaucoup plus loin dans l'intégration des systèmes et dispositifs éducatifs au mouvement Villes en transition. On peut même considérer le modèle et les modus operandi de ce mouvement comme de puissantes sources d'inspiration pour les systèmes éducatifs, perçus alors comme des écosystèmes.

L'écosystème éducatif se doit d'être stable et diversifié. Stable parce que diversifié. Et stable parce que dynamique. La stabilité n'est pas l'immobilisme, mais la recherche perpétuelle d'un équilibre entre différentes forces. Aussi les systèmes éducatifs devraient-ils accueillir l'innovation comme des sources dynamique d'équilibre, plutôt que comme des perturbation menaçant l'immobilité du colosse.

Des systèmes peu économes et polluants

L'écosystème naturel consomme un minimum d'énergie. Il est économe. Alors là... Il y a du chemin à faire, à la fois dans les pratiques et les mentalités des acteurs du système éducatif. En France en 2010, la Cour des Comptes a publié un rapport dans lequel elle pointe la tendance au gaspillage de l'argent public en matière d'éducation. Options rares bénéficiant d'enseignants rémunérés à taux plein, multiplication des redoublements ruineux et inefficaces, saupoudrage de moyens dans les zones d'éducation prioritaire, absence d'autonomie des établissement dans la construction de leur budget... Nous sommes loin du modèle du vivant. Et une large part des syndicats enseignants et du grand public continue de demander "plus de moyens", tout en sachant très bien que jamais la quantité n'a remplacé la qualité. Il est temps de faire appel aux ressources peu coûteuses, telles que les personnes ressources locales, l'apprentissage à distance (tel que l'a mis par exemple en place un établissement en région Lorraine) pour les options rares, les ouvrages numériques faciles à mettre à jour sans obligation d'achat des manuels papier... Aux Etats-Unis, pays de l'ultra-marchandisation, restrictions budgétaires aidant, les établissements se tournent désormais vers des solutions technologiques gratuites qui, ô miracle, fonctionnent aussi bien que ce qu'ils payaient jusque là à prix d'or. Et l'Inde poursuit sans relâche sa recherche de l'ordinateur à 15 ou 20 euros...

Un écosystème naturel ne produit pas de pollution, puisque ce qui est rejeté par les uns est consommé par les autres avant d'enrichir le substrat au profit de tous. L'écosystème éducatif produit beaucoup de déchets. Ce sont tous les exclus du savoir, ceux qu'il rejette faute d'avoir pu les transformer. Constat accablant, que celui de ces centaines de milliers de jeunes qui décrochent et sortent du système sans diplôme, sans formation ni estime d'eux-mêmes. Ils coûteront cher au niveau supérieur de l'écosystème global, celui de la société. Se pourrait-il que l'écosystème éducatif soit plus performant, produise moins d'exclus, et que certaines de ses composantes parviennent à recycler ce que rejettent les autres ? c'est le rôle qui est attribué, en France du moins, à la formation professionnelle, avec une désinvolture désarmante de la part des tenants de l'enseignement long généraliste. Mais tous les exclus n'en profitent pas, ou pire, croient trouver une voie qui leur permettra de se maintenir comme composantes actives du système social global, avant de déchanter devant l'obsolescence de leurs connaissances, l'illisibilité de leurs compétences et la radieuse ignorance des enseignants devant le monde du travail.

Les TICE, carburant abondant pour l'écosystème éducatif

Seules la créativité et la mutualisation des forces tendues vers la stabilité dynamique d'un système commun permettront au système éducatif de sortir de l'ornière. Certaines des voies sont déjà largement ouvertes et peuvent voir croître leur fréquentation sans risque d'embouteillage. C'est le cas de la participation, par exemple. Sachons accueillir et reconnaitre la participation de tous. Que les enseignants cessent de "convoquer" les parents et les félicitent aussi des progrès réalisés par leurs enfants. Que ces mêmes enfants prennent en charge certains pans de l'apprentissage collectif. Que leur soit reconnu le droit légitime aux chemins de traverse, à l'apprentissage personnalisé, notamment par le biais des TICE.

Car les TICE, il faut bien en parler, et revenir à l'excellent billet de Bruno Devauchelle, fort inspiré une fois de plus lorsqu'il publiait "Pour un véritable métissage" dont nous reprenons la conclusion "Si l’on veut passer de l’intégration au métissage, il ne suffit pas de mesures souvent externes au monde scolaire (équipement, formation, ressources, le refrain traditionnel), il est nécessaire d’entamer une véritable interrogation sur l’ingénierie scolaire qui se fasse dans un cadre systématique. Au risque, si cela ne se fait pas, de n’ajouter aux problèmes existants de l’école que de nouvelles difficultés qui, au lieu de faciliter la tâche des enseignants les mettrait encore plus en difficulté… Les enseignants ont aussi besoin de pouvoir s’acculturer, mais pas sans leur institution…."

Regardez donc la chance qu'a le système éducatif : alors que les systèmes économiques et sociaux sont confrontés à la raréfaction d'une ressource clé, le pétrole, et doivent inventer de nouveaux modes de fonctionnement, le système éducatif est, lui, placé devant une abondance de carburant, porteur de connaissances, de parcours différenciés potentiels, d'autonomie grandissante des apprenants, par les TICE ! Il se trouvera toujours quelques esprits chagrins pour dire que l'abondance de biens nuit, mais ignorer ce flux abondant de ressource ne pourrait se faire qu'au mépris le plus total du besoin global d'éducation permanente de nos sociétés. 

Oui, l'écosystème éducatif doit se modifier en profondeur, notamment sous l'influence des TICE qui en redessinent toutes les composantes. Cette souplesse est le garant de sa survie. Le modèle naturel n'a pas fini de nous inspirer.

Crédits photos : Rafa from BrazilozjimbobCh'guss, Flickr, licences CC.


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