Cory Doctorow, écrivain canadien né en 1970, est encore peu connu en France, sauf des amateurs de science-fiction et des militants de l'Internet libre. Un seul de ses romans a été à ce jour traduit en français, sous le titre « Dans la dèche au Royaume Enchanté », publié chez Folio SF. Mais heureusement, on trouve certaines de ses nouvelles en ligne, comme Quand les sysadmins dirigeaient la Terre ou Crime d'impression. En lisant ces nouvelles, on constate déjà l'énorme source d'inspiration que le web et la culture numérique en général constituent pour Doctorow. Une autre nouvelle, écrite en 2007, est encore plus significative à ce niveau. Il s'agit de Engooglés (Scroogled), qui a joui d'un beau succès d'estime dès qu'elle a commencé à circuler sur le net. Doctorow y met en effet en scène un ancien employé de Google victime de « googlisation » et qui finira après bien des mésaventures par devenir complice du nettoyage des profils numériques de quelques personnes aux activités douteuses. Cette nouvelle constitue sans doute l'une des premières oeuvres de fiction sur Google, l'e-réputation et la protection des données personnelles.
Activiste de l'internet libre
L'autre face de Doctorow, c'est celle du journalisme et du chroniqueur, nourrie de son activisme en faveur de l'Internet libre. Doctorow tient une chronique sur les nouvelles technologies dans le Guardian, dans laquelle il est souvent question de la protection des données personnelles et du contrôle des oeuvres sous copyright sur la toile. Il publie régulièrement sur le blogue collectif BoingBoing des textes qui se promènent ensuite dans le monde entier, traduits par des bénévoles de la grande famille de l'Internet libre.
L'un de ses textes les plus remarqués ces dernières années est celui qui s'intitule Why I won't buy an iPad (and think you shouldn't, either) traduit en français et publié sur Framablog sous le titre Pourquoi je n'achèterai pas un iPad (et pense que vous ne devriez pas non plus). Doctorow y dénonce très clairement la stratégie de verrouillage mise en place par les fournisseurs de contenus :
« Prenez par exemple l’application Marvel dédiée à l’iPad (jetez juste un coup d’œil, pas plus). Enfant, j’étais fan de comics, et je le suis resté. Ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était de les échanger. Il n’existait pas de medium reposant davantage sur les échanges entre gamins pour constituer son public. » (…) Qu’ont-ils fait chez Marvel pour « améliorer » leurs bandes dessinées ? Ils vous interdisent de donner, vendre ou louer les vôtres. Bravo l’amélioration. Voilà comment ils ont transformé une expérience de partage exaltante et qui crée du lien, en une activité passive et solitaire, qui isole au lieu de réunir."
La société Apple qui a conçu l'objet :
« Considérons ensuite l’appareil lui-même : à l’évidence, on s’est creusé la tête pour le concevoir, mais on ressent aussi un grand mépris pour l’utilisateur. (…) avec l’iPad, il semblerait que pour Apple le client type soit la maman technophobe et simplette, celle-là même dont on parle si souvent dans l’expression « c’est trop compliqué pour ma mère » »
Et qui vend les applications à travers son iStore :
« Le verrouillage de l’iStore ne rend pas meilleure la vie des clients ou des développeurs d’applications . En tant qu’adulte, je veux être capable de choisir ce que j’achète et à qui je fais confiance pour l’évaluer. (…) Et en tant que créateur et détenteur de copyright, je ne veux pas d’un unique canal de diffusion contrôlant l’accès à mon public et dictant quel contenu est acceptable. (…) Les empires d’hier pensent faire quelque chose de sacré, vital et surtout mature, et ce sont ces adultes qui veulent nous extraire de ce bac à sable qu’est le Web, plein de contenus amateurs sans circuits de distribution, afin d’y conclure des accords d’exclusivité. Et nous retournerons alors dans le jardin clôturé qui apporte tant de valeur actionariale à des investisseurs dont le portefeuille n’a pas évolué avec le commerce en ligne. »
Le premier roman publié sous licence Creative Commons
Tenant de l'internet libre, Doctorow a publié son premier roman sous licence Creative Commons, simultanément à sa parution en librairie. Il s'agissait de "Down ant Out in the Magic Kingdom", celui précisément qui a été traduit en français, est publié chez Folio et dont nous ne connaissons pas de version électronique française qui permettrait de conserver l'esprit CC de la publication initiale. Nombre de ses nouvelles sont également en téléchargement libre et gratuit, sous licence CC. C'est le cas par exemple des nouvelles qui composent le recueil "Overclocked", chacune étant accessible en une multitude de formats. Dans la présentation de Doctorow sur le site Le cafard cosmique (spécialisé en SF), on lit cette citation : « J'ai commencé à donner mes livres gratis depuis la parution de mon premier roman. Et ça m'a rapporté un sacré tas d'argent ! »
Sur le site dédié à Overclocked, on comprend à quel point cette stratégie de libre diffusion a porté ses fruits. Non seulement les nouvelles ont-elles été spontanément traduites dans plusieurs langues, élargissant leur audience, mais un dialogue s'est instauré entre l'auteur et ses lecteurs internautes, qui a sans doute fait du bien aux ventes des livres papiers. Doctorow intretient volontiers le dialogue et raconte dans un billet publié sur le site d'Overclocked que des enseignants lui ont envoyé le matériel pédagogique élaboré pour leurs élèves à l'occasion de l'étude d'un de ses romans. « venant d'une famille d'enseignants (à la fois mes parents et mon frère) et investi actuellement dans deux universités (Open University, GB et University of Waterloo, Canada), je suis toujours profondément satisfait quand des éducateurs utilisent mon matériel avec leurs étudiants ».
Nourri de comics, de science-fiction et de l'engagement politique de ses parents dans le Toronto des années 80 et 90, peu attiré par l'univers académique (il ne possède pas de diplôme universitaire, ce qui ne l'empêche pas de donner des cours dans les établissements cités plus haut), ayant débuté dans la vie comme programmeur et totalement fondu de nouvelles technologies, Doctorow est un vrai représentant des écrivains 2.0. Proches de ses lecteurs, homme de réseaux, utilisant son e-réputation pour refonder la notion de propriété intellectuelle et le droit d'auteur, il inspire nombre de jeunes créatifs qui ne trouvent plus leur énergie productive dans une société rigide fondée sur l'autorité des anciens modèles.
Bio de Cory Doctorow, sur le site Le Cafard Cosmique
Engooglés – Nouvelle, sur le site de C&F éditions
Pourquoi je n'achèterai pas un iPad (et pense que vous ne devriez pas non plus), Framablog.
Overlocked. Site dédié au recueil de nouvelles du même nom.
Craphound, blogue de Cory Doctorow.
Illustration : d.Construct - cory doctorow 2 / Patrick Lauke / CC BY-SA 2.0
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