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Publié le 02 avril 2000 Mis à jour le 02 avril 2000

Fesse, cimetière et formation à distance -

Depuis les États Généraux sur l’éducation (1995-1996), il y a dans l’air une politique de la formation continue pour le Québec. En 1997, un projet de politique était déposé. En juin 1998, paraissait un document de consultation : Vers une politique de la formation continue. Puis, des audiences ont eu lieu durant l’année suivante; des dizaines d’organismes y ont présenté des mémoires. Monsieur Paul Inchauspé fut chargé de faire l’intégration de ces mémoires. Il remettait son rapport final au ministre de l’Éducation en juillet 1999. En décembre dernier, le rapport était rendu public. Dans ce document de 85 pages intitulé Vers une politique de formation continue, Monsieur Paul Inchauspé fait une synthèse de la consultation menée sur le projet initial et y va de plusieurs commentaires. Il propose également les jalons de la politique attendue.

Nous donnerons ici un aperçu sommaire de ce rapport final et nous en reproduirons les extraits qui concernent plus particulièrement la formation et l’enseignement à distance (l’auteur utilise indifféremment les deux expressions). C’est nous qui soulignons en gras.

Dans son rapport final, l’auteur établit, d’entrée de jeu, que la future politique québécoise de la formation continue doit être une politique gouvernementale : au moins six ministères sont en effet impliqués dans des activités de formation et le temps de la concertation est venu. Vingt-cinq pages sont ensuite consacrées à un survol historique fort éclairant de l’éducation des adultes au Québec. Puis, quatre principes sont mis de l’avant, qui devraient cimenter la future politique :

  1. L’accès au savoir pour tous et le partage des savoirs sont des facteurs d’épanouissement des personnes, de développement économique et de cohésion sociale. Aussi la formation initiale et la formation continue sont les deux jalons d’un même processus d’apprentissage qui s’échelonne tout au long de la vie des individus.
  2. L’affirmation du droit à l’éducation doit se traduire par des conditions d’exercice de ce droit qui permettent d’assurer la possibilité d’un apprentissage permanent.
  3. Tout en misant sur la concertation et le partenariat, l’État doit assumer une responsabilité centrale dans la formation continue.
  4. L’État, les organismes et les réseaux ne sont pas les seuls responsables de la mise en oeuvre de l’éducation des adultes. Les personnes qui en bénéficient, leurs formateurs, les associations professionnelles et socioéconomiques, les entreprises et plus généralement l’ensemble des citoyens et citoyennes le sont aussi.

Monsieur Paul Inchauspé propose ensuite des voies d’action pour chaque type de formation : éducation populaire, formation de base, formation dans le cadre du développement de la main-d’oeuvre, formation parrainée par des employeurs, formation individualisée et formation adaptée à des situations et à des clientèles particulières. Une mosaïque complexe.

Les vingt dernières pages de son rapport sont consacrées aux éléments qui devraient constituer un système de formation continue au seuil du XXIe siècle et à ses conditions de réalisation et de réussite. C’est dans cette partie (pages 65 et 66) que l’auteur présente la problématique actuelle de la formation à distance en faisant ressortir les avantages et les contraintes liés à ce mode d’enseignement.

Un problème de relance

L’enseignement à distance, contrairement à ce que beaucoup de personnes croient, est de moins en moins utilisé pour régler des difficultés de distance des individus par rapport aux services. Il sert surtout à solutionner des problèmes de l’organisation du temps, difficultés caractéristiques du monde moderne. La possibilité de l’individualisation et de l’abolition instantanée de la distance, que permettent les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le domaine du travail et de la communication, donne de plus à ce type de formation un regain d’intérêt qui n’est pas prêt de s’essouffler.

L’enseignement à distance présente par ailleurs cinq avantages :

  • il est moins coûteux que le mode traditionnel d’enseignement;
  • son développement permet de répondre à la demande individuelle de formation. Et à une demande nombreuse mais très dispersée dans l’espace, donc peu nombreuse à chaque endroit. Cette situation rend difficile l’organisation de la formation selon un mode de présentation conventionnel. Il est particulièrement efficace pour s’adresser à des clientèles en grappe;
  • il est accessible en tout temps. Les entrées et les sorties se font de façon continue;
  • de conception modulaire, il peut jouer un rôle difficilement remplaçable pour régler les problèmes de formation manquante posés par la reconnaissance des formations;
  • il présente le banc d’essai idéal pour utiliser, dans l’enseignement, les technologies de l’information et de la communication. Les produits multimédias peuvent ensuite être utilisés pour des enseignements plus conventionnels.
Par contre, cet enseignement a des contraintes propres :
  • le coût de production des cours demande que le marché ne soit pas fragmenté. La concentration permet le développement de produits de qualité et donc plus coûteux. Aussi, la production et la diffusion des cours demandent à être concentrées dans la même instance et entre les mains d’un seul maître-d’oeuvre. C’est le cas au collégial. Ce n’est pas le cas dans les universités : la Télé-université a un mandat de formation à distance, mais il n’est pas exclusif; d’autres universités offrent aussi des formations à distance. La pire des situations est vécue au secondaire : la production de documents est centralisée, mais les inscriptions et le suivi des élèves sont décentralisés dans les commissions scolaires qui ne sont pas incitées à faire la promotion d’une forme d’enseignement différente de celle qu’elles organisent massivement.
  • l’enseignement à distance est un enseignement individualisé. Il réclame beaucoup de détermination et d’engagement de la part de ceux qui s’y inscrivent. Les technologies de la communication actuelles facilitent le suivi par les tuteurs : élèves et tuteurs peuvent communiquer en ligne.
  • maintenir des services d’enseignement à distance, c’est s’engager à les moderniser. Les produits comme le papier et le crayon devront faire place à des produits multimédias et les services de la Reine à la messagerie électronique. Cette transformation demandera des ressources (produire un cours multimédia peut coûter 200 000 $) et de la concertation avec le ministère de la Culture et des Communications et avec Télé-Québec.
Le projet de politique propose laconiquement, pour la formation à distance, un réexamen de l’organisation et une modernisation. Ces orientations sont pertinentes. Mais dites ainsi, sans déployer la problématique sous-jacente à la relance de la formation à distance, elles risquent de se retrouver dans le cimetière des bonnes intentions.

[...]

Ce qui est dit sur l’enseignement à distance ne me paraît pas, étant donné l’importance stratégique de ce mode d’intervention, assez engageant. C’est comme si on y allait, "mais d’une seule fesse", comme dirait Montaigne*.

Il est aussi fait mention de la formation à distance dans la conclusion du rapport :

Une politique de formation continue doit de plus renforcer les éléments qui contribuent à établir un système de formation continue. [...] la conjoncture demande que deux d’entre eux retiennent plus particulièrement l’attention. Ce sont la formation à distance et la reconnaissance des acquis des formations parrainées par l’employeur. Le développement des technologies de l’information et de la communication augmente les possibilités d’intervention de la formation à distance et suscite un regain d’intérêt pour ce mode différent de formation.

Il est difficile de rendre justice à ce rapport dans le cadre de cet article. Il faut le lire et le relire pour mieux saisir les défis auxquels font face ceux et celles qui préparent cette politique gouvernementale de la formation continue.

Une chose apparaît assez clairement, cependant : le développement phénoménal que connaît la formation à distance aux États-Unis et dans d’autres pays du monde -- Thot en témoigne chaque semaine -- n’est pas encore possible au Québec. Et il ne faut pas attendre de cette politique sur la formation continue qu’elle lui donne l’élan (et les moyens) dont elle a besoin. Les contraintes énumérées dans le rapport et citées précédemment sont renforcées par des préjugés tenaces dans les milieux officiels de l’éducation : coûts de production, fragmentation du marché, dispersion des instances, exigences de détermination et d’engagement de la part de ceux qui s’y inscrivent, manque de ressources pour moderniser les services d’enseignement à distance... Les termes imagés utilisés par Monsieur Paul Inchauspé ont le mérite d’être clairs et de laisser peu d’illusion sur le sort qui attend la formation à distance dans la politique en cours de rédaction.

À l’heure de la mondialisation (lire l’américanisation) de la formation par l’inforoute, les enjeux d’une politique de formation continue pour l’avenir des Québécoises et des Québécois sont pourtant immensurables.

Vers une politique de formation continue (Rapport final) - Version PDF Vers une politique de la formation continue (Document de consultation)

* Pour mieux comprendre la citation de Montaigne : Michel de Montaigne, Essais.



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