Autrefois,
ne pouvait se prévaloir du titre de savant – alem en langue arabe – que
celui qui maîtrisait le savoir dans plusieurs disciplines. Et de fait, les grands penseurs
étaient à la fois philosophes, mathématiciens, astronomes et, souvent aussi,
poètes. Tout autour de la Méditerranée, ce savoir encyclopédique a été la marque
de noms aussi célèbres qu’Ibn
Rochd (Averroès), Leonardo Da Vinci
ou encore Maimonide.
Ce qui unissait ces savants ayant vécu dans des sphères culturelles et des
siècles différents est sans doute leur souci de transmettre la connaissance, de
rayonner au-delà de leur cercle d’adeptes. Et sont ainsi nés des foyers de
culture et d’enseignement : Fès et ses célèbres médersas, notamment Al Quaraouiyine créée en
857 par la mécène Fatima Al Fihria ; Florence ou encore Cordoue. Des liens
étroits[1],
préfigurant les réseaux actuels, existaient entre ces cités ; avec les limites physiques que connaissait la
communication alors.
La
liberté par la connaissance
Mais
cette volonté de diffusion des connaissances se heurtait à des
barrières de classe sociales et ethniques; des barrières internes, souvent
plus difficiles à faire tomber que les barrières géographiques. Et ce n’est pas tout à fait un hasard si les
grands courants pédagogiques qu’ont connus la fin du XIXe siècle et le début du XXe
ont été marqués du sceau de la libération des peuples. Que ce soit Paulo Freire
au Brésil et sa « pédagogie
de la libération », Célestin Freinet
en France et le vaste mouvement créé autour de ses idées ou Maria Montessori
en Italie et sa pédagogie révolutionnaire, le maître mot est de changer la
société par l’instruction pour tous. Il s’agit d’utiliser la connaissance comme
un outil de remise en cause de l’ordre établi, d’en faire un formidable moyen
de libération des énergies créatrices. L’idée sans être nouvelle – en leurs
temps la maïeutique socratique ou l’abbaye utopique de Rabelais étaient tout
aussi subversives – introduit une évidente modernité que nos systèmes actuels
ont repris à leur compte, comme en témoigne le désormais universel droit à l'éducation.
Internet et Web 2.0
Une autre
lecture de l’histoire de la pédagogie, dont on trouve une intéressante
description sur le site
de Philippe Meirieu, nous mène d’une phase initiale d’accumulation du savoir
à l’étape actuelle sinon de partage solidaire du moins de diffusion tous
azimuts. Une évolution observée mutatis mutandis pour l’innovation
majeure de la fin du siècle dernier : l’Internet. En effet, né pour
répondre à des besoins militaires puis scientifiques, le réseau est très vite
devenu un outil "populaire et démocratique". Des communautés de
savoirs se sont approprié l’outil pour en faire un espace d’échange d’idées et
de formation.
Aujourd’hui, avec le développement des réseaux sociaux et des
plateformes d’information contributives, l’implication des usagers n’a jamais
été aussi grande. Le renouveau introduit par le Web 2.0, terme qui ne fait pas
l’unanimité, se situe en définitive au niveau de l’importance donnée à l’utilisateur,
qui passe du statut de consommateur de l’information à celui d’acteur à part
entière de la construction du savoir. Résultat, les pédagogues disposent de nos
jours de technologies aussi puissantes que souples leur permettant de varier
les approches et, encore plus important, de les personnaliser en fonction du
profil de l’élève. Ce qui donne par exemple la possibilité de passer sans discontinuer d’un
tutorat à une séance de restitution en vue de construire une compréhension
collective.
Notre
époque présente la particularité, sans doute très exceptionnelle dans l’histoire, d’une connivence entre l’être humain et les techniques qu’il a créées. Revenu d’une
conception positiviste et naïve du progrès scientifique, il pourrait demain les
enrôler pour faire reculer l'ignorance ou, tout simplement résoudre les redoutables problèmes de survie qui pointent déjà. A voir le nombre et l'ampleur des crises et guerres de ce début de siècle il s'agit sans doute hélas d'une naïveté supplémentaire. Ou bien d'une utopie... En elles-mêmes, les technologies ne sont porteuses ni de mot, ni de bonheur; c'est bien l'usage que nous ferons des réseaux de communication qui nous permettront d'approcher de la cité idéale de la connaissance, ou de nous en détourner.
[1] Qu’un
récent bel ouvrage collectif évoque sous le titre : Fès
et Florence en quête d’absolu.
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