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Publié le 03 mars 2009 Mis à jour le 03 mars 2009

Intégration des TICE : il ne faut pas adapter la matière enseignée à l'outil, mais le contraire

Qui est Mokhtar Ben Henda ?

Tunisien de nationalité, Maître de Conférences-HDR à l’Université La Manouba, Tunisie, détaché à l’ISIC, Université Michel de Montaigne Bodeaux3, France. Membre du laboratoire GRESIC (Groupe de Recherche Expérimentale sur les Systèmes informatisés de Communication) à Bordeaux3 et membre des réseaux de recherche RESATICE et TICER en collaboration avec l’AUF. Egalement président de l’Association Internationale des Ecoles des Sciences de l’Information (AIESI) et président de la délégation AUF auprès du Sous Comité 36 de l’ISO-CEI/JTC1 chargé de normaliser les technologies éducatives au niveau mondial.

Pourriez-vous décrire brièvement votre parcours professionnel et notamment vos domaines d’expertise ?

Enseignant des TIC à l’ISD de Tunis, université La Manouba depuis 1991 puis à l’ISIC, Université de Bordeaux3 depuis 2005, mes actions d’enseignement et de recherche ont porté sur des axes relatifs aux systèmes et réseaux numériques d’information et de communication (interfaces homme-machine, métadonnées et standards d’interopérabilité), au multilinguisme numérique (normes de codage des langues), aux normes et standards pédagogique et TICE (i.e. Scorm, IMS). Mes travaux en cours portent sur les vocabulaires, l'ontologie et les réseaux sémantiques.

Pour de plus amples détails

Quel est l’apport des NT et de la FAD dans vos pratiques pédagogiques ?

Un apport essentiel surtout quand on enseigne les TIC et la FAD par les TIC et la FAD elles-mêmes. Membre fondateur du Master Uticef à l’Ulp de Strasbourg (1999), la pratique FAD devient depuis lors permanente dans mes pratiques pédagogiques pour le développement des contenus, le tutorat et la formation des formateurs, particulièrement les ateliers Transfer de l’AUF. Le bureau virtuel et l’ENT de l’université de Bordeaux 3 sont actuellement mes outils de travail pédagogique courants. Depuis 3 ans, je participe, par des cours en ligne, au Master Professionnel multiculturel : AIGEME de l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3 avec un module sur les normes et standards pédagogiques.

La normalisation, phase ultime de l'intégration des TICE

En Tunisie, les choix politiques portent sur l’intégration pédagogique des TIC dans le système éducatif. Quelles seraient d’après vous, les axes stratégiques d’une telle intégration ?

Je ne suis pas d’accord avec la politique tunisienne sur ce point. J’ai toujours exprimé mon point de vue sur cette question par une vision globale intégrée en trois phases qui peuvent ensuite être déclinées en plans d’actions sectorielles aux 3 niveaux d’enseignement supérieur, secondaire et primaire.

La première phase est une phase de sensibilisation et de formation de formateur qui viserait les savoirs faires et les compétences de terrain atour des TIC et des TICE. J’estime que cette phase est largement accomplie en Tunisie. La deuxième phase serait celle d’un développement de ressources pédagogiques conformes aux spécificités d’un enseignement par les TICE : scénarisation, granularité, construction/déconstruction des contenus, mutualisation, portabilité et interopérabilité. Cette phase a été largement accomplie en Tunisie, entre autres par l’UVT, mais à mon sens, elle manque de rigueur technique dans la conception et de visibilité dans les usages et la mutualisation. Ce qui conduit à la troisième phase que la Tunisie peine encore à franchir, celle de la normalisation internationale pour s’inscrire dans des politiques de mutualisation de large envergure. L’Algérie vient de rejoindre le SC36 du JTC1 à l’ISO alors que la Tunisie, qui devançait l’Algérie et le Maroc dans son ouverture sur la FAD, n’arrive pas à franchir ce dernier pas. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec des personnes proches des cercles de décision dans le milieu normatif, et la raison à cette stagnation mérite réflexion : la FAD n’est pas encore à un stade de priorité tel pour y investir en frais de délégation ISO pour participer aux réunions du SC36 et en coûts de mises à jours normative des dispositifs et des contenus en place. Entre l’authenticité de l’argument matériel et l’ignorance des vrais enjeux d’un tel investissement, je ne saurais réellement trancher.


Dans les milieux universitaires où vous avez évolué, quels sont les écueils récurrents au déploiement des NT et de la FAD ?

J’ai évolué dans deux contextes universitaires très différents, avec des caractéristiques et des réalités très contrastés (j’y reviendrai), mais avec, toutefois, des points de similitudes. L’écueil majeur commun est sans doute la formation des enseignants non pas à la manipulation des outils uniquement, mais aussi aux modalités de leurs intégrations dans des scénarios pédagogiques conformes avec leurs domaines de spécialités. On voit souvent des ateliers de formation organisés par les universités au profit du corps enseignant pour s’approprier tel ou tel outil. On a souvent vu des enseignants des TIC accepter la présence de leurs collègues débutants à leurs cours portant sur l’apprentissage d’outils spécifiques, mais je ne pense pas qu’une manière ou l’autre puisse aboutir à une bonne appréhension de la dimension pédagogique réelle d’un outil ou d’un autre. L’erreur récurrente à mon sens est celle de vouloir adapter la matière enseignée à l’outil et non le contraire. L’autre similitude concerne la rigidité encore forte par rapport à la notion de collaboration. Au lieu d’ouvrir les comportements à la collaboration pédagogique, les TICs ont l’air d’engendrer plus de cloisonnement suite à un manque considérable dans la sensibilisation aux nouvelles approches de la pédagogie universitaire du constructivisme et de la mutualisation des ressources.

La qualité de l'infrastructure ne dit rien sur l'usage des outils

Selon vous, quels indicateurs pourraient nous permettre d’évaluer l’impact des TIC sur les pratiques pédagogiques ?

Plusieurs indicateurs permettent de le faire. Certains sont tributaires d’une étude des dispositifs pédagogiques en place, d’autres sont plutôt de l’ordre de l’analyse de comportement des utilisateurs. Sur un plan institutionnel, je crois que le déploiement d’une infrastructure informatique dans une structure d’enseignement n’est plus synonyme d’un état de modernisation des méthodes pédagogiques. L’accès aux machines est presque universel aujourd’hui. C’est désormais dans la nature des dispositifs mis en place qu’une évaluation pédagogique pourrait être envisagée pour savoir le taux d’intégration des TIC dans les pratiques d’enseignement. Je cite à tire d’exemple les environnements numériques de travail, les bureaux virtuels, les plates-formes FAD, les LCMS etc. Ceci ne veut pas dire non plus qu’une infrastructure avancée conduit à une appropriation systématique par les enseignants et les apprenants. L’analyse des comportements des utilisateurs dans des conditions neutres pourrait dénoter s’il y a un impact ou non à travers ces outils. Ceci devrait se faire en dehors des mécanismes où l’apprenant est « obligé » par l’enseignant de faire usage d’une technologie quelconque. L’appropriation doit être volontaire et consentie. Les études de cas sur ce sujet abondent.

Pouvez-vous établir une comparaison entre vos pratiques liées aux NT dans le contexte de pays en développement (arabes, d'Afrique francophone, etc.) et le contexte français ?

La comparaison est simple car elle ne va pas se faire uniquement sur des critères subjectifs reliés aux individus, mais plutôt sur des indicateurs de milieu et d’environnement général : politique, économique, technologique, culturel et social. Ce serait long à développer ici mais chacun de ces facteurs exerce une forme de contrainte ou de stimulant qui ralentit ou accélère un processus d’intégration et d’appropriation des TIC.

En France, plusieurs politiques nationales reliées à la généralisation des TIC ont permis des avancées considérables. Entre le fameux rapport Nora-Minc de 1977 pour l’informatisation de la société française et la loi du 5 mars 2007 du tout numérique en France, on ne peut pas comparer les acquis technologiques en France avec l’état d’avancement des TIC dans les pays en développement. La conjoncture économique, technologique et régionale y joue énormément. L’Europe est une force mobilisatrice énorme de moyens et de ressources et aussi un cadre idéal pour la concurrence et l’innovation technologique. Cela ne peut pas se comparer avec les pays en développement qui agissent encore en consommateurs des TIC, pour qui la recherche scientifique dans ces domaines ne s’inscrit pas encore dans les priorités politiques des gouvernements.

Pour ramener tout cela à une question de pratiques personnelles, les différences se manifestent particulièrement sur le plan des coûts d’accès à la technologie et sur le plan des débits d’accès aux réseaux, car l’accès au savoir passe inéluctablement par l’accès aux réservoirs mondiaux de la connaissance sur Internet. On dira, à juste titre, que le processus est long et que des améliorations sont en train de prendre forme, mais je dirais comme l’ont démontré beaucoup d’études, que le problème des TIC avec le développement n’est plus dans l’accès aux machines, mais plutôt dans les politiques d’accès aux réseaux et là j’inclus sans hésitation les faibles débits et la censure.

Formation de formateurs en manipulation et usage des TICE : mission accomplie dans les pays francophones

Vous avez assumé plusieurs responsabilités dans des actions de l’AUF, pourriez-vous décrire le fil directeur de vos interventions et leurs retombées sur la promotion des NT et de la FAD?

J’interviens dans le cadre des actions de l’AUF à plus d’un titre, plus précisément dans le cadre de la formation de formateurs et de la recherche. Depuis le début des années 1990, suite à un premier atelier Transfer que j’ai suivi à Tunis sur l’accès à l’information dans les banques et bases de données scientifiques internationales, j’ai pris la relève à partir de 1996 en tant que formateur principal dans presque tous les ateliers des axes 2 et 3 relatifs aux systèmes d’information et aux technologies éducatives.

L’objectif de ces ateliers est de former des compétences locales dans les pays francophones du Sud pour la manipulation et l’usage des technologies de l’information et le développement de l’enseignement et de la recherche. A en juger par l’état actuel de ces ateliers, je peux affirmer que la mission était bien remplie. Mon indicateur est simple. Pendant la période de fin des années 90, j’étais sollicité pour animer des ateliers un peu partout en Afrique et au Moyen-Orient. Il m’est arrivé plus d'une fois de rentrer d’un atelier dans un pays et de repartir le même jour pour en animer un autre dans un autre pays. Aujourd’hui, une population importante de formateurs locaux assure ces formations sur place. Je participe toutefois à la création de nouveaux ateliers ou à la mise à jours de certains, comme ceux autour des technologies éducatives. Je fais d’ailleurs de cet axe de formation sur les technologies éducatives un point de jonction avec une de mes activités de recherche avec l’AUF. Je dirige la délégation AUF auprès du sous comité 36 de l’ISO-IEC/JTC1 pour la mise en place des normes des TICE et du e-Learning. C’est un chantier multi-facettes dans lequel nous travaillons sur l’aspect de la diversité culturelle et linguistique des normes TICE à venir. C’est l’un des axes d’intérêt de l’AUF en général que nous essayons de défendre en imposant la vision francophone pour la diversité des langues et des cultures dans les pays en développement. Nous avons pu imposer une liaison technique avec le groupe de travail WG1 (terminologie) du SC36 pour développer des vocabulaires multilingues normalisés en e-Leanring autre qu’en anglais et en français. Il est même prévu qu’on prenne la présidence de ce groupe de travail WG1.

Sur un autre plan de recherche, je participe aux activités du réseau de recherche Resatice de l’AUF, avec un comité d’experts internationaux pour la promotion et l’appui à la recherche en TICE dans les pays francophones du Sud. Après moins de 4 ans d’existence (novembre 2005), le réseau Resatice a eu un impact important sur la recherche au Sud, à l’Est et au Nord de la francophonie par le soutien et la diffusion de la recherche et l’animation scientifique dans le domaine des TICE. Je n’oublierais pas non plus ma contribution au réseau Ticer dans la même optique d’actions pour promouvoir les TIC et les TICE en Afrique par l’aide à la recherche et à la publication, le développement des synergies, la mutualisation et la capitalisation du savoir. Enfin, le réseau AIESI de l’AUF est un cadre institutionnel dans lequel je contribue avec des enseignants-chercheurs du domaine de l’information et de la communication pour réfléchir sur les mutations que connaît ce domaine à l’ère du numérique et les contraintes que les TIC sont en train d’imposer aux instituions du Sud pour relever les défis de l’accès à la société du savoir par l’accès aux réseaux d’information, la migration au LMD et l’éducation pour tous.

Quels sont vos projets en cours ?

Deux projets essentiels sont en chantier : un projet de recherche/action dans le cadre de mes contributions au sein du SC36 pour monter une unité francophone de construction terminologique multilingue normalisée TMF (Terminological Markup Framework) afin de répondre aux exigences multilingues des normes e-Leanring. On a déjà produit des corpus multilingues en arabe et en coréen sur la base de corpus normalisés en anglais et français. Notre objectif est de valider ces acquis par des instances linguistiques nationales. C’est fait par les Coréens, mais malheureusement on n’a reçu aucune réponse du bureau de coordination de la langue arabe de l’Alecso. Mon souhait est de lancer une dynamique arabe (ALECSO) et tunisienne particulièrement (INNORPI et UVT) pour s’inscrire dans cette mouvance internationale de normalisation de la FAD qui risque de nous imposer ses règles. J’espère ne pas être voué au désespoir sur ce point.

J'ai également un projet de rédaction dans lequel je combine mes deux spécialités en langues et en TIC pour traiter la question de l’interopérabilité des systèmes d’information et de communication dans les milieux de la recherche et de l’éducation. Cela couvrirait entre autre le chapitre transversal des normes et standards en rapport avec les flux des données et la complexité des métamodèles de description des ressources dans une optique ontologique et sémantique.

Pour vous quels seraient les apports de Thot pour la promotion du travail à distance ?

Thot est un nom très connu dans le monde de la FAD. On n’a pas besoin de faire sa promotion. Il se défend par lui même grâce à la diversité des ressources qui parvient à fidéliser de très nombreux lecteurs. Pour répondre à la question, je dirais que Thot fournit un canal de communication francophone pour réduire un tant soit peu, la grand déséquilibre du volume d’information sur la FAD diffusé sur les serveurs anglo-saxons. Je trouve que c’est un vivier d’expériences de tout genre dans lesquelles chacun peut trouver son compte.


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