Jean de La Fontaine
est dans notre esprit inséparable de la faune qui peuple ses fables. Maître
Renard et son corbeau, les rats des champs et des villes ou encore la
grenouille se prenant pour un bœuf, nos mémoires enfantines sont emplies de
tous ces récits. Et leurs nécessaires morales résonnent sans doute encore dans
de nombreuses salles de classes. Mais qui d’entre nous sait que Jean de La
Fontaine a puisé nombre de ses récits de Kalila wa Dimna,
œuvre du grand naturaliste persan Ibn
al-Muqaffa ? Peu importe la source d’inspiration en vérité. Le Kalila
wa Dimna est à son tour une adaptation d’une œuvre brahmanique indienne, librement
traduite d’abord en arabe donc, puis en français en 1644 soit une vingtaine
d’années avant la publication du premier recueil des fables.
La lettre et l’esprit
Ces emprunts étaient aussi
fréquents que compris. À une époque où les moyens de transmission étaient
incertains, faire voyager les connaissances était faire œuvre utile. Les
penseurs arabes ont excellé dans ce rôle de relayeurs des savoirs, entre les
cultures grecque, persane, indienne et occidentale notamment. Ils n’ont pas été
que cela bien sûr. Ils ont contribué à construire un corpus universel par des
œuvres propres mais aussi en facilitant donc l’accès à des œuvres anciennes,
souvent ardues.
Les auteurs arabes, ces "passeurs
de sciences", traduisaient l’esprit plus que la lettre. De Kalila wa
Dimna, La Fontaine retiendra la fonction de critique sociale. À travers les
animaux, le fabuliste s’avançait prudemment masqué et croquait les… travers de
ses contemporains.
Dialogue par dessus les siècles
La meilleure réponse au
racisme imbécile est peut-être de faire dialoguer les œuvres de deux auteurs du
gabarit de Jean de La Fontaine et d’Ibn al-Muqaffa. Et de proposer au moins
deux exercices intéressants :
- Retrouver la filiation
entre Kalila
wa Dimna et les fables de
La Fontaine (concepts changés et invariants)
- Reconstituer les morales
respectives des deux époques pour en repérer les valeurs.
L’objectif de l’exercice est finalement
d’initier les jeunes aux valeurs que doit posséder "l’honnête homme"
de notre temps à l’instar de celui
du siècle de La Fontaine. Et, accessoirement, de leur montrer comment des
auteurs ont risqué parfois leur vie – Ibn al-Muqaffa a été exécuté pour
irrévérence – pour faire triompher la liberté d’expression. Une liberté qui
parait aujourd’hui aller de soi et qui est pourtant si précieuse.
P.S. : Cet article est pour moi l'occasion de rendre hommage à un grand "passeur" de culture marocain décédé en fin de semaine dernière, Mustapha Al Kasri. Traducteur de Saint-Exupéry et de Baudelaire, le défunt était également un grand poète.
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