Une vision strictement comptable
On connaît les arguments classiques concernant les coût de la formation à distance : un investissement important compensé par des économies d’échelles, la différence entre les coûts fixes et les coûts flexibles dépendant du nombre d’inscrits. On en connaît aussi les coûts puisque de nombreux établissements de formation à distance bénéficient d’installations techniques, de locaux, de compétences dont les frais réels sont pris en charge par d’autres institutions. On sait, par exemple, que les correcteurs et les tuteurs payés à l’heure sont souvent des enseignants qui travaillent en heures supplémentaires. Leur coût salarial est donc moins élevé puisque certains frais, notamment d’assurance sociale, sont pris en charge par leur employeur principal. Bref, on connaît la difficulté à mesurer le coût réel de la formation à distance.
Récemment, j’assistais à Lugano, en Suisse, à une présentation du système de formation de la FIAT et de l’usage qui est y est fait, à l’interne, des nouvelles technologies. J’ai été surpris d’y voir encore présenté un graphique simple présentant, en fonction du nombre d’étudiants, les coûts relatifs de trois technologies, de trois modes de formation d’aujourd’hui : la leçon présentielle classique, la videoconférence et le
web based training.
Vous imaginez bien que, selon le nombre d’étudiants, le coût de la leçon traditionnelle croît très vite, la vidéoconférence devient vite moins chère et que c’est la dernière formule qui devient pour cette entreprise la solution la plus économique. Cette présentation sommaire m’a causé des soucis et fait surgir plus d’une questions.
Un surcoût certain, mais
Il est vrai aussi que les enseignants et les tuteurs comme les étudiants observent que dans les dispositifs de formation en voie d’hybridation, c’est-à-dire ceux qui se mettent progressivement à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, le temps consacré à la formation croît très rapidement. Chacun investit en général bien plus de temps que prévu; entre autres, le poste de tutorat enfle dramatiquement. Le risque serait alors d’
ajouter des coûts aux coûts.
L’expérience du projet
Learn Nett, déjà présentée ici, est de ce point de vue exemplaire et le rapport final le montre à loisir.
Pourtant, on pourrait penser autrement. On pourrait d’abord se persuader que ces technologies sont l’occasion d’une innovation pédagogique en même temps qu’une innovation technologique. Or, les économistes le savent aujourd’hui, une innovation technologique est aussi une innovation de service : elle change le produit et le rapport à la clientèle. Les TIC auraient donc pour premier effet de nous faire concevoir la formation et l’enseignement comme un service. Cette reconversion vient un peu tard si l’on se souvient que l’enseignement public a été de tous temps un
service public
et aurait dû toujours être considéré comme tel Il y a là un paradoxe qui fait sourire!
Quelques exemples
Cela étant dit, les choses deviennent alors différentes. Je vous ai parlé, il y a deux ans déjà, du projet Pangée et de l’ Exposition universelle de l’Ile Mosaica qui a été réalisée dans le courant de l’an 2000. Regardez le programme de cette manifestation dans le document réalisé à cette occasion par une étudiante en stage Ce qui apparaît tout d’abord, ce sont les thématiques traitées par les élèves, leur dynamisme, les compétences acquises au cours du projet, etc. Allez voir le site EMAI de cette autre petite école du canton de Neuchâtel, à Coffrane (Suisse). Lors d’une conférence récente, l’instituteur maître d’oeuvre de ce projet racontait en autres choses que dans son école de village (600 habitants), il avait été nécessaire de faire des campagnes de lutte contre la violence à l’école. Il disait aussi que dans le cadre des projets informatiques menés dans son établissement, les cloisonnements de niveau sont brisés et que les grands souvent aident les plus petits, qu’ayant pris ces derniers sur leurs genoux, ils guident leur main posée sur la souris... « Pensez-vous vraiment que les grands aient encore l’envie de piquer les tartines des plus petits dans la cour de récréation », demandait-il avec un grand sourire ému à son public. L’école est entrée en partenariat avec les entreprises de la région qui financent partiellement l’équipement mais qui l’utilisent pour leurs formations propres en dehors des heures scolaires. Avec un laboratoire universitaire, ils ont développé des tables ergonomiques adaptées à la taille des petits. Ce matériel est aujourd’hui commercialisé.
Il ya aussi ce projet Progetto Poschiavo qui rassemble les vallées de la Suisse italienne et celles de l’Italie voisine dans un projet de développement régional basé sur Internet. À l’origine, le projet était un projet de formation assez classique basé sur les technologies, mais les utilisateurs en ont décidé autrement. Et l’offre a suivi.
Quelles leçons pour la conception et le calcul des coûts?
Ce sont des exemples assez privilégiés, je vous l’accorde. La grande majorité de nos écoles, de nos universités ne pourraient figurer dans ce tableau. Mais, il y a là l’indice d’un vrai changement, un changement dont le calcul des coûts devra pouvoir rendre compte d’une manière ou d’une autre. Car l’intégration des nouvelles technologies réussie implique le réseau, la mutualisation, le partage des savoirs, la collaboration, etc. et bien d’autres comportements sociaux que l’école et la formation se devraient de valoriser. C’est aussi un nouveau rapport entre formation et entreprises, formation et développement économique.
De tels projets d’enseignement et de formation sont donc porteurs d’une énorme valeur ajoutée que ne prend pas en compte une vision
comptable
de la formation. Il est vrai que sans projet, les technologies ne sont rien et que l’essentiel d’un projet n’est pas dans la technologie. Mais quand un projet est bon, la valeur ajoutée par les technologies éducatives est énorme.
Je ne suis ni utopiste ni prosélyte et je sais combien la gestion des processus d’innovation est difficile, surtout que les petits projets d’innovation qui réussissent n’essaiment que rarement sous la forme de grands courants institutionnels et de projets à grande échelle. Mais les principaux enjeux sont sans doute là : changer notre conception de la formation et, en conséquence, la conception de l’économie de la formation.