Les qualités fondamentales d'un bon jeu sérieux
Dans le monde du jeu sérieux se côtoient le meilleur comme le pire. Deux chercheurs français ont identifié les principes fondamentaux sur lesquels s'appuie tout bon jeu sérieux.
Publié le 24 avril 2011 Mis à jour le 24 avril 2011
En quelques années, il y a eu une abondance de jeux électroniques destinés aux apprenants et aux citoyens. Jeux éducatifs, serious game, advergames, jeux massivement multijoueurs d’apprentissage (ex. : Thelème) et même des jeux plus sociétaux. Cette dernière catégorie se retrouve aussi sous le nom, anglicisé bien sûr, de « political games », car ils impliquent une notion ou un message à connotation politique.
Par exemple, un CyberBudget est une façon de familiariser les résidents du territoire français avec l’exercice délicat qu’exige la conception d’un budget. Une façon de constater qu'on ne fait pas toujours ce que l'on veut avec l'argent public ! D’autres jeux servent également à dénoncer des attitudes entrepreneuriales, environnementales face aux enjeux d’une société donnée ou plus globale. Dans ce récent entretien accordé à Knowtex, le spécialiste de la question Olivier Mauco brosse un bon portrait de cette tendance politico-sociale dans le jeu, et de l'avenir du serious game en général.
À cette catégorie peut se greffer un autre type de jeu : le newsgame ou le jeu basé sur l’actualité. Les premiers jeux de cette catégorie ne sont pas si récents, mais ils se sont multipliés ces dernières années.
Qu’est-ce qu’on entend par newsgame? À partir d’une situation internationale réelle (conflit, pauvreté, famine, désordre social, etc.), on développe une simulation qui place le joueur au cœur des événements afin qu’ils comprennent mieux ce qui se passe. Par exemple, dans Darfur is dying (qui n'est plus en ligne) dont nous vous avions parlé en septembre 2009, l'utilisateur doit gérer un camp de réfugiés. Dans certaines phases de jeu, il prend la place d'enfants qui doivent aller chercher de l’eau pour leur campement et qui risquent à tout moment de se faire tuer par les milices ennemies. Plus récemment, Yasmine Kasbi partageait la découverte d’un autre jeu sur le même terrible conflit. On the ground reporter, seulement en anglais et en néerlandais, nous place dans la peau d’un journaliste indépendant devant rapporter des informations sur cette guerre. Cette fois, contrairement au jeu précédent, l'utilisateur est immergé dans des décors hyper-réalistes réalisés à partir de photos et de vidéos. On se retrouve bel et bien dans un enfer où l’on risque sa vie. Usant de la vision subjective (via le regard de son avatar dans le jeu), l’expérience est troublante. Un peu à la manière du webdocumentaire Voyage au bout du charbon, on se croirait dans un documentaire interactif, mais avec des mécanismes ludiques plus important (argent, temps limites, etc.).
Un autre jeu, concernant cette fois la situation des pirates somaliens, a fait beaucoup parler de lui. Hébergé par le site du magazine Wired, Cutthroat Capitalism The Game nous met à la barre d’un bateau de pirate somalien du golfe d’Aden qui doit capturer des navires et négocier des rançons pour les otages. En jouant, on se rend vite compte que la plupart des essais d'accostage ne réussissent pas et que le marchandage est toujours très délicat selon le montant demandé. Et lorsque la tactique fonctionne, une grande partie du butin est redistribué aux Anciens, aux forces de sécurité somaliennes, aux membres d'équipage, etc. Pourtant, ces actes dangereux rapportent davantage à un pêcheur somalien que la légalité : 17 fois le salaire annuel moyen en cours dans le pays.
Pour les auteurs du livre Newgames – Journalism at play, Cutthroat Capitalism est un exemple parfait de newsgame. Il comprend à la fois énormément d’informations factuelles sur lesquelles se basent les mécanismes de jeu et parvient, grâce à une excellente jouabilité, à placer le joueur dans une situation morale délicate, à laquelle il est contraint d’adhérer. Car voilà un des paradoxes du newsgame : sous des aspects ludiques, il place le joueur dans un contexte critique où souvent il échoue. Le contraire des jeux commerciaux qui nous mettent dans la peau d’un héros ou d’une héroïne à qui tout réussit. Pourtant, ce « game over » aura cent fois plus d’impact pédagogique et émotionnel sur un joueur puisque dans les véritables conflits, on ne peut pas réapparaître après avoir reçu une balle.
Car oui, la catharsis atteint ses objectifs. Julien Llanas, chargé de mission dans l’académie de Créteil, a traduit un article sur son blogue « Éducation + Video games & 3D » d’un professeur du Wabash College, Michael Abbot. Celui-ci a testé le jeu auprès de ses étudiants après qu’ils aient fait une recherche sur la situation somalienne. Malgré des critiques sur l’aspect réducteur des pirates et sous la trop grande facilité à réussir une prise d’otages, les apprenants font directement les liens avec ce qu’ils ont lu et entendu auparavant dans les médias.
Il y a là un potentiel inouï pour alimenter la réflexion publique sur des sujets d’actualité, pour créer pratiquement des artefacts journalistiques utilisables par les jeunes et moins jeunes. Pour l’instant, nous n’en sommes qu’aux débuts. Il est encore difficile de transmettre la complexité de certaines situations géopolitiques. De plus, ces jeux sont généralement créés par des équipes anglophones et imposent l'anglais comme langue de jeu. Un constat malheureux quand on sait à quel point il serait important qu’ils atteignent un auditoire international et soient donc traduits (et conçus) dans de multiples langues.
« Un newsgame au banc d’essai : « Cutthroat Capitalism » », une traduction d’un article de Michael Abbot, Julien Llanas, 18 février 2011.
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