Nadine, comment vous est venu ce goût de la scénarisation pédagogique ?
Après une expérience significative au commercial, je me suis réorientée vers la formation et la communication pour harmoniser ma carrière avec mes aspirations et à mes valeurs. J’ai souhaité mettre mes compétences de « communicante » au service de la formation, avec un objectif précis : mettre l’apprenant au centre de l’apprentissage. Passionnée par les technologies de la communication, j’ai d’abord passé une licence en information communication, puis un master spécialisé en conception de formation à distance à l’université de Montpellier 3, tout en exerçant une fonction de tuteur pour les étudiants suivant des cours à distance. Puis je suis tournée vers la scénarisation pédagogique de produits de formation multimédias. Aujourd’hui, scénariste à EducExpert France, je conçois des contenus de formation destinés aux sapeurs-pompiers français.
En quoi consiste votre travail ?
La scénarisation pédagogique permet, à partir d’une expertise métier, de produire des contenus de formation attractifs et surtout interactifs, alternant des activités pédagogiques qui vont faciliter l’acquisition des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être nécessaires à une activité professionnelle.
Quels sont les autres métiers de la chaîne de fabrication des produits de formation à distance ?
Il y a 4 pôles bien distincts qui doivent se coordonner sous la houlette du chef de projet pour produire des formations multimédias de qualité : les experts métiers qui détiennent les savoirs à partager, les concepteurs pédagogiques (ingénieurs en charge du dispositif, scénaristes en charge du contenu), les infographistes (aujourd’hui souvent des flasheurs), les informaticiens (ingénieurs et développeurs). Tout ce petit monde a un seul objectif : la réussite de l’apprenant. Ce qui implique que toute la technique soit au service de la pédagogie et non l’inverse. Pour l’apprenant, peu importent les prouesses informatiques des développeurs ou des infographistes. Pour lui, le dispositif doit être limpide et opérationnel et les contenus doivent répondre à des objectifs pédagogiques précis et identifiés lui permettant d’acquérir durablement les connaissances.
La conception pédagogique avant tout
Le travail de scénario, c’est donc ce qui permet de transformer de la connaissance, de l’expertise, en contenus d’apprentissage. Quelle est votre manière de procéder, avec les experts de contenus ?
La méthodologie mise en place dépend surtout de l’expert (ou des experts) et des ressources existantes qui sont en sa possession. Il arrive fréquemment qu’un expert ou un collège d’experts soit désigné par le prestataire ou l’organisation dont il dépend, pour être responsable d’un module thématique.
D’une manière générale, après une prise de contact avec les experts qui permet de définir le public-cible et l’objectif pédagogique général de la formation, je procède à une analyse des ressources existantes. Lorsque les experts ont peu de ressources, nous travaillons ensemble à la rédaction d’une première ébauche de contenu qui sera enrichie de manière itérative.
À partir de cette première analyse, je propose à l’expert une structure du ou des modules. Lorsqu’il a validé cette trame, nous identifions souvent ensemble les objectifs pédagogiques spécifiques (par partie et sous-partie de module).
L’identification et la formulation des objectifs pédagogiques spécifiques permettent de sélectionner les connaissances à intégrer dans les différents modules, et même dans les parties ou sous-parties d’un module. En cas d’hésitation, je me pose la question « Est-ce que ce contenu est utile pour que l’apprenant atteigne l’objectif pédagogique fixé ? ». L’expert est tout de même là pour trancher en cas de problème.
Ensuite, viennent les différentes phases de rédaction des contenus, toujours inspirés des ressources analysées et des séances de travail avec l’expert. Ces différentes phases sont systématiquement ponctuées par une validation de l’expert car c’est lui et lui seul qui peut corriger un terme inexact, une illustration non-conforme, une activité pédagogique mal adaptée au public-cible, etc. Les séances de travail se font pour partie en présentiel, pour partie à distance.
Lors d’une séance de travail, je pose toujours les questions générées par l’analyse des ressources ou la rédaction du contenu. Par exemple, j’ai besoin d’un terme technique pour compéter une définition, d’une photo pour illustrer une bonne posture, d’un schéma pour comprendre un déplacement d’engin, d’informations complémentaires pour finaliser une animation… Je pars du principe qu’il n’y a aucune question idiote ! Il est important, pour moi, de connaître et de comprendre les éléments de connaissance qui paraissent tellement évidents aux professionnels qu’ils ne les évoquent plus.
Ce travail initial de structuration permet d’avoir un « squelette » de story-board qui va me servir de guide tout au long de la conception. Ensuite, je travaille à la page-écran car c’est l’élément le plus petit et le plus fin. Ma règle d’or, c’est une idée et une seule par page-écran. À moi de jouer pour redécouper en pop-up, boutons, info-bulles, animations, etc, les éléments relatifs à cette idée.
Quels sont les savoirs les plus difficiles à scénariser ?
Plus le savoir est abstrait et conceptuel, plus il est difficile à scénariser car notre penchant naturel nous pousse alors vers le texte brut. En revanche, les savoirs techniques qui paraissent particulièrement rébarbatifs à la lecture sont, pour moi, une source d’inspiration car je peux concevoir des illustrations et des animations efficaces. J’ai travaillé avec plaisir pour les infirmières, les chefs de chantier du terrassement et aujourd’hui les sapeurs-pompiers. Ces produits de formations présentent tous la caractéristique de dispenser des savoirs techniques qui conduisent à une modification des pratiques professionnelles et du comportement des apprenants.
J’ai par exemple travaillé sur un contenu particulièrement aride : le risque de légionellose en milieu hospitalier. Les ressources fournies par les différents experts étaient très techniques, particulièrement touffues et « jargonnantes ». Nous avons donc, avec les experts, désigné plusieurs cibles : le personnel soignant, le personnel de laboratoire, le personnel d’entretien et adapté les contenus à ces publics. J’ai ensuite, pour les personnels d’entretien, conçu de nombreuses animations permettant de visualiser la circulation de l’eau dans les tuyaux et d’expliquer la fonction des différents éléments de plomberie.
En plus des connaissances proprement dites, chaque unité d’apprentissage contient des activités pédagogiques. Quels rôles jouent-elles dans l’apprentissage ?
Leur rôle est primordial. Ce sont d’une part des facilitateurs d’acquisition : les activités pédagogiques (exercices, simulations, mise en situation, études de cas) permettent de mémoriser un certain nombre de connaissances, car l’apprenant interagit avec le produit. D’autre part, les activités pédagogiques sont aussi des régulateurs pour l’apprenant, elles lui permettent notamment de s’auto-évaluer sans risque, contrairement au présentiel. L’apprenant a le droit de se tromper et de recommencer, ça me paraît être un élément fondamental de l’apprentissage à distance (et de l’apprentissage en général).
Rigueur, créativité et implication
Quelles sont les qualités nécessaires pour être scénariste pédagogique ?
Pour moi, la rigueur vient en premier car le scénariste doit être capable de retrouver ses documents rapidement et croyez-moi, en fin de projet, ils sont nombreux ! De plus, sur un plan purement pédagogique, il est appelé à vérifier en permanence que ce qu’il rédige ou conçoit correspond effectivement à l’objectif pédagogique.
La créativité est fondamentale, sans elle, pas de produit attractif, ludique et efficace !
En effet, il n’est pas question d’être créatif pour exprimer son ressenti mais pour permettre à l’apprenant de comprendre et de mémoriser un concept, un geste, une procédure...
L’implication doit être totale. Le scénariste s’immerge dans les ressources, s’imprègne des contenus, en comprend chaque phrase, chaque mot pour pouvoir donner du sens à sa conception. De plus, il fait preuve d’empathie envers l’apprenant qu’il place au centre de ses travaux.
Selon vous, quelles sont les caractéristiques d’un « bon » produit d’apprentissage à distance ?
Une conception pédagogique efficace, un design attractif et une qualité technique irréprochable.
La conception pédagogique doit permettre à l’apprenant d’acquérir les connaissances nécessaires pour atteindre l’objectif pédagogique général. Encore faut-il que celui-ci corresponde aux véritables besoins de l’apprenant. Les prestataires en demande d’un produit mettent très souvent l’accent sur la qualité graphique et le côté innovant du produit : jeu, simulation, etc. C’est parfois au détriment d’une démarche pédagogique efficace et c’est dommage.
Sur l’aspect graphique, le produit doit être soigné et respectueux de la cible. On image mal un style graphique très enfantin pour une cible particulièrement technique, comme des sapeurs-pompiers. Cela nuirait au produit en le rendant peu crédible.
La qualité technique est primordiale. En effet, il n’est pas admissible qu’une page ne parvienne pas à s’afficher, que la plate-forme « plante », que l’apprenant se retrouve devant un écran noir, qu’il ne puisse pas réaliser une activité pédagogique pour des problèmes de manipulation. Tout doit fonctionner sur n’importe quel navigateur et l’apprenant doit pouvoir avoir recours à une assistance technique à tout moment.
Aujourd’hui, les produits de formation à distance ont évolué notamment parce qu’ils s’adressent à des professionnels ayant des besoins précis en termes d’apprentissage. Les entreprises (au moins les grands comptes) ont bien conscience des avantages de la formation médiée.
Exemple : Educexpert - Devenir pompier d’un jour. Démo jouable ici (entrez le login de votre choix).
On voit l’émergence des serious games qui sont particulièrement adaptés à une cible jeune et à l’aise avec le web, le jeu vidéo, le podcast, etc. Je trouve cette tendance intéressante et j’ai particulièrement aimé le produit mis en ligne par L’Oréal pour les coiffeurs. Démo jouable ici.
Un métier porteur
Est-ce que les organismes de formation du type universités ont conscience de la nécessité de scénariser leurs contenus de formation ?
Les organismes de formation partent du principe que plus le niveau de l’apprenant est élevé, moins on a besoin de scénariser le contenu. On se retrouve donc avec des contenus de formation très textuels dans les universités françaises alors que les entreprises proposent des contenus extrêmement attractifs pour des apprenants de niveau CAP. C’est une particularité française. Au Canada les universités francophones de Montréal, de Laval ou de Moncton par exemple, embauchent des scénaristes pédagogiques pour concevoir de véritables cours en ligne, et les enseignants deviennent des experts de contenu.
Conseillez-vous à un jeune attiré par la pédagogie et les nouvelles technologies de se tourner vers votre métier ? Comment doit-il s’y prendre ?
Les universités françaises préparent, avec plus ou moins de réussite, leurs étudiants à intégrer la fonction de scénariste, d’ingénieur pédagogique ou de chef de projet. Malgré la crise, je pense que les projets et les expérimentations de formation à distance vont se multiplier dans le pays, je suis donc persuadée que le marché est porteur pour les scénaristes. Par ailleurs, mon poste à EducExpert, dont la maison mère est à Québec, m’a permis de réaliser qu’il y a une pénurie énorme au Canada. Très peu de filières préparent les scénaristes ou ingénieurs pédagogiques ; les personnes occupant ces postes sont issues de la communication et sont souvent formées à la pédagogie par les entreprises elles-mêmes. Cela ouvre des perspectives pour nos diplômés français !
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