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Publié le 30 août 2010 Mis à jour le 30 août 2010

Pas de frontières pour la lecture !

Jérémy Lachal, qui êtes-vous ?

Je suis co-fondateur et directeur de Bibliothèques sans frontières (BSF), ONG créée en janvier 2007, sous l'impulsion de Patrick Weil, historien et politologue français, spécialiste des questions liées à l'immigration, que j'ai rencontré à Sciences-Po lorsque j'y étais étudiant.

Quelle est la mission de BSF ?

Il s'agit de faciliter la création, la gestion et la pérennisation de bibliothèques dans les pays du Sud, tant dans des cadres scolaires et universitaires que dans celui de la lecture pour tous, autrement dit des établissements de lecture publique.

Pourquoi avoir créé BSF ?

Face au manque criant de livres disponibles pour soutenir la lecture et l'étude dans les pays du Sud et en Afrique francophone en particulier, nous avons constaté qu'en France, il existait deux types d'initiatives :

  • Le don de livres, largement répandu, qui consiste à envoyer dans les pays africains des livres dont on ne veut plus dans sa bibliothèque (personnelle ou appartenant à un établissement). Le geste est sans doute généreux, mais souvent il ignore les besoins et les choix des destinataires.
  • Les programmes de grande ampleur, tels ceux qui sont ou furent développés pendant plusieurs années par le Ministère des Affaires Etrangères, qui soutiennent la création de bibliothèques dans les universités francophones d'Afrique.

Dans les deux cas, ce qui pose problème, c'est la pérennisation : on constate malheureusement que dans bien des cas, trois ans après l'arrêt d'un programme, il ne reste plus grand'chose : les bibliothèques sont vidées de leurs livres, il n'y a pas de politique d'acquisitions, et surtout pas de financement pour acheter les livres.

Encourager et soutenir la pérennisation des bibliothèques

Nous avons créé BSF pour apporter des éléments de réponse différents au problème du manque de livres, en privilégiant toujours la pérennité des établissements ainsi créés ou enrichis. Nous tentons également de considérer le livre et la bibliothèque dans leur ensemble social, économique et politique, inscrits dans des filières économiques.

Concrètement, comment se traduisent ce souci de pérennisation et de soutien aux filières locales du livre ?

Nous travaillons sur différents axes, qui s'entremêlent étroitement :

  • L'après don de livres. Le don de livres reste une activité importante, mais il est toujours accompagné d'une réflexion à deux niveaux :
    • Envoi de livres choisis par les bibliothécaires destinataires, à partir des catalogues des éditeurs ou des bibliothèques qui souhaitent se défaire d'une partie de leur collection;
    • Accompagnement dans la mise en place d'une stratégie économique pour les bibliothèques : plaidoyer auprès des gouvernements, municipalités, régions... pour la mise en place (et donc, la participation au financement) de politiques du livre, création de services complémentaires payants en direction de l'usager...
  • Le soutien aux filières locales du livre : accompagnement aux politiques d'acquisition des bibliothécaires, pour qu'ils privilégient les ouvrages édités localement.
  • La formation des bibliothécaires : formation à l'indexation, au catalogage, à l'acquisition, aux nouvelles technologies... Mais aussi au développement d'activités culturelles dans leurs bibliothèques, pour faire vivre les lieux.
  • Nous menons également des activités de valorisation du patrimoine local (soutien à l'édition de recueils de contes en langues locales par exemple), et au rapprochement des livres de leur public, par exemple en soutenant la création de bibliothèques dans des centres d'accueil pour enfants des rues, ou la mise en place de bibliothèques mobiles.

Haïti, Madagascar, Cameroun, Niger...

Quels sont vos programmes en cours ?

Nous avons un gros programme en Haïti, pays avec lequel nous travaillions avant le tremblement de terre : création de bibliothèques et mise en oeuvre d'activités culturelles dans les camps de déplacés, appui à la réouverture des bibliothèques de Port-au-Prince et notamment de la Bibliothèquee Nationale d'Haïti, création d'une bibliothèque numérique pour les étudiants de l'Université d'Etat d'Haïti et ouverture, à terme, d'une bibliothèque universitaire centrale à Port-au-Prince.

(ci-contre, classe de l'école nationale à Port-au-Prince)

Nous intervenons à Arlit, dans le nord du Niger, en soutien à une bibliothèque municipale, notamment sur le champ de l'animation culturelle (formation des quatre bibliothécaires).

Nous intervenons également à Madagascar, à Antananarivo, ou nous avons appuyé la création d'une bibliothèque dans un centre d'accueil d'enfants des rues.

Nous appuyons un centre culturel associatif (le CLAC) à Yaoundé, au Cameroun, là encore au niveau du développement des activités culturelles, et au niveau de la recherche de fonds pour pérenniser les très nombreuses activités qui s'y déroulent.

Vous trouverez sur notre site d'autres exemples des programmes que nous menons avec nos partenaires publics et privés.

Et le livre numérique ?

Face aux coûts importants que représente la création et l'animation d'une bibliothèque, face à la fragilité des financements, en l'absence de politiques publiques du livre, dans de nombreux pays, pensez-vous que le numérique puisse apporter des éléments de solution intéressants ?

Sans doute, mais en partie seulement. Car, pour l'instant, il faut des ordinateurs pour accéder aux contenus. Or, même si l'on résout la question du financement de l'achat du parc informatique (notamment via les opérations One laptop per child ou encore grâce aux mini-ordinateurs à 35 USD fabriqués par l'Inde), demeurent les coûts récurrents de la maintenance du matériel, qui posent toujours problème. Et la présence d'animateurs et bibliothécaires qualifiés, qui accompagnent notamment la navigation sur Internet, est toujours à financer, comme dans une bibliothèque physique. Donc, le numérique n'est pas LA solution unique, pour le moment.

De plus, les pays dans lesquels nous intervenons n'en sont pas tous au même point face aux outils numériques. Au Sénégal par exemple, il y a une forte politique d'incitation et les gens sont demandeurs. En Haïti également, sans doute à cause de l'omniprésence  dans ce pays de la culture nord-américaine très technophile. Mais au Congo Brazzaville, au Niger... la situation est très différente, et la demande est encore très orientée vers les livres physiques. Songez qu'à Brazzaville, capitale du Congo, on trouve si peu de livres que les étudiants en sont réduits à photocopier des chapitres, qu'ils apprennent ensuite par coeur, car ils n'auront jamais accès à l'ouvrage lui-même !

BSF ne promeut donc pas systématiquement la lecture numérique et l'utilisation des outils informatiques...

Disons que nous favorisons plutôt une approche complémentaire, livre papier plus contenus numériques. Déjà, les centres culturels et bibliothèques que nous soutenons disposent d'équipement informatique. Nous soutenons même la construction d'un campus numérique à Port au Prince, en Haïti. Car en l'absence de livres papier, l'accès aux contenus numériques devient vital.
Nous sommes par ailleurs convaincus que l'accès aux contenus numériques va rapidement évoluer, notamment en Afrique. L'accès via le téléphone portable et les tablettes du type iPad semble la voie le plus prometteuse. Nous travaillerons en ce sens.

Un réseau social pour les bibliothécaires francophones du monde

Pour la formation des bibliothécaires et documentalistes en revanche, vous avez déjà franchi le pas du numérique...

Vous voulez parler du réseau Savoir Solidaire. En effet, nous avons créé une communauté d'apprentissage virtuelle, via le portail Savoir Solidaire.net  qui a été inauguré en mars dernier. Le but est de faciliter la communication entre les bibliothécaires et documentalistes francophones, au Nord comme au Sud. Sur cette base, nous souhaitons voir se développer des dynamiques de mutualisation des informations et de partage des bonnes pratiques.

Quels sont les premiers retours des utilisateurs de ce réseau professionnel ?

Nous avons actuellement autour de 300 inscrits, dont la moitié se trouve au Sud. Ce n'est pas encore assez pour qu'il y ait une activité régulière sur la plateforme, mais des discussions sont déjà engagées, des groupes se sont constitués.

On peut donc encourager les lecteurs de Thot Cursus, professionnels de la bibliothèque et de la documentation, et toutes les personnes intéressées par le sujet de l'accès au livre, à s'inscrire sur savoir Solidaire ?

Tout à fait ! N'hésitez pas ! Nous souhaitons favoriser par tous les moyens la production de contenu par les utilisateurs. Si vous avez des idées pour encourager la lecture et la création d'espaces dédiés à la lecture, partagez vos idées avec les autres usagers !

Plus globalement, avec-vous un dernier message à faire passer aux lecteurs de Thot Cursus ?

Je dirais qu'il faut se méfier des gestes qui paraissent très généreux initialement, mais qui s'avèrent être des impasses et même créer des dépendances. C'est particulièrement vrai pour les dons de livres. Si vous souhaitez aider une école, une bibliothèque, une association... en lui envoyant des livres, privilégiez les ouvrages réellement utiles, demandés par les destinataires. Et surtout, pensez que le don de livres n'est que le début d'une histoire, qui doit permettre à votre correspondant de s'engager sur la voie de l'autonomie, toujours dans l'objectif de permettre au plus grand nombre de personnes d'avoir accès aux documents dont ils ont besoin et qu'ils auront plaisir à lire, quel que soit le support.

Le site de BSF

Témoignage de Fatima, bibliothécaire à Arlit, Niger, projet soutenu par BSF :

Photos : BSF


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