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Publié le 01 juin 2010 Mis à jour le 01 juin 2010

L'évaluation scolaire est-elle au service de l'orientation ?

En France, l'essentiel de l'orientation d'un élève se joue sans lui, sur ses notes, alors même que ces dernières apparaissent comme bien peu représentatives de son potentiel.

En novembre 2009, le centre d'orientation de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris a publié une étude intitulée "L'évaluation scolaire est-elle au service de l'orientation ? ". L'étude, réalisée par Sylvène Kitabgi sous la direction de Michèle Dain, fait la synthèse de nombreux travaux menés sur les pratiques d'évaluation scolaire en France et la manière dont elles influent sur l'orientation des jeunes au sortir de leurs parcours strictement scolaires. Ces sources sont complétées par des entretiens auprès d'une quinzaine de jeunes, ce qui est vraiment peu par rapport à l'ampleur du sujet considéré.

L'étude est divisée en trois grandes sections.

Qu'entend t-on par évaluation scolaire ?

La première précise ce qu'on entend par évaluation scolaire, rappelle les biais de notation qui relativisent fortement la valeur des notes dont notre système scolaire national est si friand, et décrit enfin des pratiques déviantes d'évaluation en vogue dans certains établissements hyper sélectifs.

Ecole et monde du travail parlent-ils des mêmes compétences ?

La deuxième section, coeur de l'étude, traite des relations entre l'évaluation scolaire et l'orientation (scolaire et professionnelle) à laquelle se confrontent les jeunes à certaines étapes de leur parcours scolaire. On y décrit notamment la place fort modeste qui est laissée aux évaluations qualitatives dans les usages d'évaluation français; le lien évident qui unit des évaluations scolaires médiocres et des orientations subies et vécues comme un second échec; le formatage dont font l'objet les meilleurs élèves qui partent dans des filières d'excellence sans avoir véritablement réfléchi à leurs aspirations professionnelles et personnelles. Enfin, l'étude réclame avec insistance un rapprochement des cultures scolaire et professionnelle, notamment pour aider les jeunes à identifier leurs compétences personnelles non évaluées au travers des notes sanctionnant la maîtrise des disciplines.

Des portes ouvertes sur d'autres pratiques

Après ce constat accablant mais qui n'étonnera aucun des usagers du système scolaire français, la troisième section ouvre des portes.

La première nous mène dans deux pays (la Suisse et le Danemark) qui, tout en obtenant des résultats moyens aux évaluations PISA (tout comme la France, et l'on apprécie ici de ne pas se voir resservi l'exemple de la Finlande), se sont lancés dans de profondes réformes de leurs dispositifs d'évaluation et intègrent, depuis les petites classes, l'éducation à l'orientation dans les cursus scolaires.

L'étude décrit également les initiatives qui, en France même, témoignent d'un changement de regard sur l'évaluation scolaire, son rôle et ses effets parfois dévastateurs sur la qualité des apprentissages et la reproduction des inégalités sociales. Il y est question de l'officialisation de l'éducation à l'orientation à l'école secondaire (très modestement appliquée, il faut le reconnaître). L'étude décrit longuement le Mouvement contre la constante macabre animé par André Antibi, qui propose de renouveler les pratiques d'évaluation notée de manière à mettre les élèves en situation de réussite et non plus de respecter le schéma des trois tiers (un tiers d'élèves médiocres, un tiers d'élèves moyens et un tiers de bons élèves) auquel se soumet la majorité des enseignants sans en avoir conscience. Elle parle aussi de l'expérimentation du livret de compétences, qui suivra le jeune tout au long de sa scolarité et prendra en compte ses apprentissages et compétences scolaires autant qu'extra-scolaire (voir l'article consacré à ce livret). 

Résumons...

De cette étude, nous retenons quelques points qui, répétons-le, sont connus mais ont le grand mérite d'être traités ici ensemble.

La notation n'est pas un exercice fiable. De nombreux biais, de différentes natures (mécaniques, liés à la subjectivité de chaque enseignant, au genre, à l'origine sociale des élèves, à leurs résultats antérieurs...) mènent à ce qu'une même copie soit noté différemment par deux enseignants, parfois avec 10 points d'écart (la notation en France s'effectuant entre 0 et 20). Il est donc risqu" de baser les discisions d'orientation (passage dans la classe supérieure, choix de filière, poursuite d'études supérieures...) sur cet unique indicateur. Or, c'est ce qui est couramment pratiqué.

L'évaluation est soumise à des dérives clientélistes. Certains établissements, pour conserver un statut d'établissements d'élite, encouragent leurs enseignants à noter très sévèrement, parfois à adopter des usages qui dépassent les limites du tolérable. Voyez cet exemple, rapporté par une élève dans l'un de ces lycées :
« Il n’y a pas longtemps, je me rappelle d’un contrôle en cours de physique chimie pour nous tester sur une connaissance... c’était sur les nomenclatures en chimie... et l’idée pour eux, c’était de nous pousser à avoir 20/20, parce que pour eux, ils estimaient que pour un contrôle sur ça, on devait avoir 20/20. Pour eux, ce n’était pas possible autrement. Donc ils ont établi un système de notation où ils ne prenaient que les points au-dessus de la moyenne et ils les multipliaient ensuite par 2 pour avoir la note finale. Par exemple, si on avait eu 14/20, ça nous faisait 2 x 4, ça donne 8/20 au final. Sympathique. Il n’y a eu qu’un seul élève qui a eu 20/20, donc ça lui a fait 20. Moi, j’ai eu 17 donc ça m’a fait 14/20 ».
Ce qui est, convenons-en, un excellent moyen de ne conserver que la crème de la crème parmi ces élèves, et d'avoir un taux de 100 % de réussite au Bac, les perdants étant orientés dans d'autres établissements ou invités à redoubler.

Les mauvaises notes démotivent et abaissent l'estime d'eux-mêmes chez les élèves. En ce sens, elles sont contre-productives : ce n'est pas en exigeant plus qu'on obtiendra plus, mais en reconnaissant les effeorts accomplis. On ne s'étonnera pas de lire dans l'étude les aspirations des jeunes à une évaluation plus positive et valorisante, tant ils sont sensibles à l'image que leur renvoient leurs professeurs.

L'école n'évalue que les compétences scolaires, la valeur de l'élève dans le système. C'est pourtant à partir de cette évaluaiton partielle que sera déterminée l'orientation des jeunes, leur voie d'études, de formation, de professionnalisation. Or, l'école ne sait pas grand chose des métiers, ni des compétences valorisées dans les différents univers professionnels. Et même pour évaluer les compétences qui lui sont directement utiles, le système scolaire français n'est pas efficace : il suffit parfois de changer de cadre et de modalités d'évaluation pour qu'un jeune, apparement faible en abstraction et disposant d'une intelligence déductive médiocre, se retrouve avec de bons résultats.

Il faut réagir !

Fort heureusement, la prise de conscience est là. Ailleurs (mais pas partout, comme nous l'avons constaté en préparant ce dossier), on fait autrement. En France même, les pratiques évoluent, les outils se mettent en place. Cela suffira t-il à redonner leur chance à tous les élèves ? On peut en rêver, mais rester lucide. Comme le dit l'auteure de l'étude, attention au poids des traditions, des postures et des calculs qui mènent à la reproduction de la sélection par l'échec plutôt qu'à l'ambition de la réussite de tous.

Un rapport qui fournira de nombreux arguments à tous ceux, associations de parents d'élèves en tête, qui luttent pour une évaluation scolaire plus juste.

L'évaluation scolaire est-elle au service de l'orientation ? BIOP-CCIP, novembre 2009


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