Que ceux qui
n’arrivent pas à se résoudre à l’idée que l’intrusion du net dans nos vies a
créé une nouvelle et complexe économie consultent ce site
sur les nouveaux métiers qu’elle induit. Ils seront probablement surpris de
constater comment des familles entières de professions ont vu le jour en
quelques années et comment elles transforment des pans entiers des vieilles
sociétés industrielles.
Dans le même ordre
d’idées, la complexité croissante de nos sociétés conjuguée à la mondialisation
ne laisse que peu de chances à tous ceux qui ne possèdent pas un minimum de
maitrise des outils technologiques. Dès lors, l’alphabétisation numérique, dont
l’Unesco dresse régulièrement le bilan
par région, devient un impératif de survie économique. La « société de la
connaissance », que célèbrent à l’unisson certains politiques et
communicants, sera-t-elle une société sans entrave et sans exclusion ? Rien
n’est moins sûr. Le web, lieu emblématique de ce nouveau continent, s’hérisse
de barrières pour empêcher que ne circule librement l’information. Entre les
censures politiques, les intérêts commerciaux et la chape de la pensée unique,
les espaces de libre expression se réduisent comme autant de peaux de chagrin. De nombreux pays souffrent déjà d'une exclusion numérique qui hypothèque leurs chances de se développer.
Face à des défis et à
des enjeux aussi importants, comment faire accéder les laissés-pour-compte de
la croissance numérique à l'information et leur permettre de remonter dans le train de la croissance économique ? Nous allons voir comment, au Maroc notamment, des solutions très pragmatiques puisant dans la mémoire des pratiques collectives sont enrôlées pour servir les desseins d'un programme étatique ambitieux de réduction de l'exclusion numérique. Illustration de ce qui pourrait se faire et de ce qui est mis en oeuvre.
Connaissance mobile et repères numériques
L'intégration des nouvelles technologies dans une société donnée doit, pour avoir une chance de réussir, ménager les spécificités culturelles de cette société. Au Maroc, le succès qui ne se dément pas de la téléphonie et de l'Internet mobiles ont probablement à voir avec l'une des caractéristiques de la société : l’importance de l’oralité dans la transmission des connaissances.
Dès lors, les outils multimédias comme les podcasts présentent un avantage
évident en s'intégrant presque normalement dans les pratiques de formation ou de sensibilisation.
Ils permettent également d’atteindre les apprenants peu alphabétisés ou
illettrés. Voici deux exemples d’une utilisation intelligente de ces nouveaux médias,
le premier par l’Université
Sorbonne Nouvelle, le second par l’Université
Quai Branly.
La poste marocaine a
bien compris le bien fondé d'une gestion de l'innovation qui s'appuie sur les pratiques ancestrales d'une société. L'opérateur a ainsi utilisé il y a quelques années un métier disparu, le Rakkas[1],
pour promouvoir son service moderne de courrier hybride. Une campagne qui avait
fait mouche car elle permettait à l’usager de relier l’innovation technologique
à une pratique de distribution du courrier bien ancrée dans la mémoire nationale.
La nécessité de donner aux usagers des repères et de resituer l'innovation dans un contexte de pratiques connues est un gage de réussite de cette intégration des outils numériques. Mais cela n'est pas suffisant. Il est impératif pour réduire une fracture numérique qui s'est installée de faire émerger des solidarités nouvelles, de mobiliser tous les canaux possibles afin d'atteindre le plus grand nombre possible de personnes démunies, vivant dans des régions isolées ou, tout simplement, ayant des besoins spécifiques.
De nouveaux métiers pour lutter contre l'exclusion numérique
Avec une stratégie globale et une volonté affichée des pouvoirs publics, il est possible d’envisager une réduction sensible de la fracture
numérique. La mise en place
d’un ambitieux programme intitulé Maroc Numeric 2013,
dont le premier bilan
vient d’être établi, sert de cadre à cette politique volontariste visant l’appropriation
des nouvelles technologies, y compris par les populations des régions enclavées
et démunies.
Traduction de ces
nouvelles formes de solidarités, le plan Maroc Numeric 2013 prévoit la mise en place de centres
d’accès communautaires. Face à l’ampleur de la tâche, le gouvernement a
décidé d’enrôler tous les espaces susceptibles de fournir formation ou sensibilisation
aux nouvelles technologies.
Dans le même ordre d’idées,
des médiateurs se chargent de faciliter la familiarisation avec ce nouveau
monde qui entre dans le quotidien des préoccupations administratives des
citoyens. A titre d'exemple emblématique, un très ambitieux programme
de modernisation de l’état civil fait entrer la dématérialisation au cœur d’une
institution bien connue des Marocains. L’objectif est de numériser plus de 40
millions d’actes d’ici 2013 et donne une idée de la difficulté de l’entreprise.
Mais au-delà, la
solidarité cible également les personnes à besoins spécifiques. Les initiatives se
multiplient à l’instar de ce portail dédié
aux déficients visuels dont l’ergonomie dénote un réel effort de compréhension
de l'handicap. Cet exemple (il en existe d’autres)
montre que pour espérer réduire la fracture numérique et faire entrer le pays
dans l’économie d’aujourd’hui, aucune contribution n’est à négliger.
De plus en plus, l'économie numérique s'impose comme un vecteur de croissance un peu partout. L'Afrique ne peut manquer ce rendez-vous au risque de se voir marginaliser de nouveau et pour longtemps. Mais, pour pouvoir rattraper son retard, elle doit faire aussi preuve de solidarité envers les pans les plus démunis de la société. Le Maroc, l'un des pays les plus connectés du continent, a fait de cette solidarité l'un de ces crédos dans l'immense entreprise de réduction de la fracture numérique. Tant mieux.
[1] Facteur
sélectionné sur des critères physiques de vitesse et d’endurance et entrainé
pour remettre rapidement les plis.
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