La thématique des
villes numériques suscite un engouement incroyable auprès des élus comme des
citoyens. L’idée, très séduisante il est vrai, n’est cependant pas née de nulle
part. L’histoire peut être ici un précieux recours pour éviter erreurs et
désillusions. Voici quelques explications.
L’histoire peut jouer
ce rôle en premier lieu parce qu’elle véhicule l’idée toute simple mais féconde
d’une fascination récurrente des hommes pour la notion de cité idéale. Les
exemples sont nombreux et on pense à la république platonicienne
ou à l’Abbaye
de Thélème imaginée par François Rabelais, et qui continue à inspirer nos historiens
et pédagogues.
Dans la réalité, les
cités idéales ont d’abord renvoyé à des projets urbanistiques. Des lieux ont
été "construits" autour d’une utopie parfois revendiquée de
l’esthétisme et du bien-vivre. Avec au bout du compte, comme souvent lorsqu’il
s’agit d’utopies, des échecs plus ou moins retentissants. De Brasilia aux
villes nouvelles ceinturant les agglomérations traditionnelles, les exemples
sont là aussi légion.
La cité numérique
n’est-elle pas exposée aux mêmes risques de désillusion ? Sans doute. Avec
un bémol cependant : l’histoire encore nous enseigne que lorsqu’un espace
est pensé selon des critères précis, il a toutes les chances de devenir ce lieu
de partage et de production de sens dont rêvent les hommes.
Repères et maillons de la chaine du savoir
Dans la longue
tradition des cités idéales, il y a bien sûr l’exemple emblématique de Beit Al-Hikma
(littéralement Maison de la sagesse)
créée à Bagdad autour de 830 par le calife Al-Mamoun. Espace de production et
d’échange des connaissances, Beit Al-Hikma a pendant des décennies abrité les
travaux de savants aussi illustres qu’Al-Khawarizmi auquel nous
devons l’algorithmique, Al-Kindi
qui a fait faire des avancées décisives à l’arithmétique ou encore Hunayn Ibn Ishaq, maitre
traducteur et précurseur de la médecine moderne.
La modernité de cette
cité du savoir est d’avoir été conçue dans une perspective de réseautage,
plusieurs "maisons de la sagesse" ayant vu le jour aux quatre coins
de l’empire.
Le maillage des
territoires d’un pays est aujourd’hui une réalité de plus en plus incontournable.
Economie numérique oblige, les régions se dotent d’infrastructures
sophistiquées, entre réseaux de fibres optiques et systèmes d’information
géographique (SIG). Des guides
permettent aux édiles locaux de tenter de se retrouver dans ce monde virtuel
qui leur est parfois encore étranger.
Des rapports
détaillés, tel que celui-ci,
permettent aussi de faire le point sur les innombrables solutions techniques de
raccordement et de transmission des données existantes. Voire. L’avantage de la
ville numérique est qu’on peut la visualiser avant même qu’elle naisse !
Voici une plateforme d’outils
dédiés à cela.
Créer une ville
numérique suppose aussi de créer des espaces d’accessibilité au net comme ces
réseaux de cyber
bases qui sont autant de lieux où le citoyen peut trouver et même déposer
des ressources dès lors en partage. Le maillage du territoire permet ainsi de
combler les "trous" numériques, ces taches blanches des opérateurs numériques.
Et de réduire par là même la fracture numérique entre zones riches et zones
pauvres en ressources du cyberspace.
Mais l’autre
caractéristique de Beit Al-Hikma peut-être est d’être un lieu apprenant où le
résident enseigne, produit et transmet la connaissance, perçue dès lors comme
une richesse en partage.
Ville apprenante, une voie vers le développement
L’idée de base de
tout projet d’édification d’une cité numérique devrait être cette ambition de
doter nos espaces urbains d’une richesse culturelle, ce supplément d’âme qui
leur fait parfois cruellement défaut. Autrefois, les cités rayonnaient par
leurs centres d’enseignement ou leurs bibliothèques. Bagdad donc mais aussi Fès
et Cordoue, Oxford et Bologne. Ces villes attiraient les plus grands penseurs
comme aujourd’hui les grands clubs attirent les stars du ballon.
L’enjeu de la
numérisation est précisément à ce niveau : savoir user des nouvelles
technologies de l'information pour rendre les cités attractives aux hommes
d’affaires comme aux mécènes ou aux hommes des lettres et sciences. Il s’agit
d’apprendre pour être compétitifs dans la lutte mondialisée que subissent les
territoires, parfois avant même les pays. Alors les villes apprenantes pourraient
bien devenir, selon les termes de l’Observatoire de l’OCDE, « la
nouvelle recette de développement. »
La problématique de
ces villes du savoir au regard des défis de la mondialisation est donc de fait une
préoccupation
très présente auprès de nombreux chercheurs. Elle est posée dans nombre de
colloques mais évoquée aussi dans cette une riche exposition qui se tient
actuellement sur Versailles, lieu
de démonstration des innovations scientifiques.
On le voit, sur ce
sujet comme sur beaucoup d’autres, une lecture
intelligente du passé, inscrit en l’occurrence ici dans le patrimoine, nous
donne la clef des projets du futur. Ce continuum n’est-il pas en définitive le
plus bel hommage qu’on puisse rendre au génie des savants encyclopédiques
d’autrefois ?
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