Daniel Peraya, figure de la FAD francophone
Daniel Peraya, très tôt dans votre carrière d'enseignant, vous vous êtes intéressé à la linguistique française, à la sémiologie et à la phonétique. Vous êtes aujourd'hui professeur à TECFA, l'Unité des technologies éducatives de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'éducation de l'Université de Genève, où vous vous intéressez à la formation à distance et à la formation hybride. Comment est né cet intérêt pour la formation à distance ?
Je me suis très tôt intéressé à l'audiovisuel pédagogique et de 1986 à 1990, j'ai assuré des mandats de suppléance en pédagogie de l’audiovisuel à l’université de Genève. Mon premier mandat sur la formation à distance date en fait de 1987 et c'est en 1990, au moment de la fondation de TECFA, que je me suis entièrement consacré à la Communication pédagogique médiatisée puisque la FAD est quand même un terrain privilégié pour l’observation, l’étude et l’analyse des mécanismes de communication pédagogique médiatisée.
De nationalité belge, vous travaillez à l'Université de Genève, et vous participez également à de nombreux projets dans l'espace francophone...
Oui, et ce depuis longtemps. J'ai travaillé pendant 10 ans à l’université de Dakar et à l’école normale supérieure avec des cours de pédagogie de l’audiovisuel, des cours de phonétique articulatoire et des recherches en phonétique acoustique sur le parler du français du Sénégal. Ma thèse de Doctorat est d'ailleurs liée à cette époque.
Depuis que j'ai intégré TECFA, je participe à plusieurs projets d’accompagnement de dispositifs de FAD comme le programme du Campus Virtuel Suisse, des programmes de coopération avec Coselearn et un certain nombre d’autres partenaires dont la DDC qui est le département du développement et de la coopération suisse, la FAD UTICEF soutenue largement par l’AUF, etc.
Je suis également chercheur associé au Centre interuniversitaire sur la profession enseignante (CRIFPE, Québec) en tant que chercheur international, et membre du Groupe d'études sur la Médiation du savoir (GreMS, Université catholique de Louvain).
Vous avez d'ailleurs effectué un récent séjour au Canada...
Oui, j'ai été très flatté d'être invité à la dernière édition du Congrès international annuel du réseau canadien pour l'innovation en éducation. J'y ai présenté une communication intitulée La posture de l'enseignant porteur/euse de projet technopédagogique innovant.
Lors de ce congrès, j'ai découvert des projets très intéressants qui vont d'usages un peu pointus du portfolio par exemple, à des cours à distance organisés avec le Ministère de l’immigration pour préparer les gens à la culture et aux valeurs du Québec et du Canada. Entre le moment où ces gens sont acceptés comme immigrants et le moment où ils reçoivent leurs passeports, ils sont vraiment formés à distance. Il y a des expériences de partenariats comme ça très intéressantes sur une conception de l’immigration et des valeurs liées à l’immigration et à l’accueil dans un pays… C’est vrai, j’ai été très heureux, j’ai rencontré des tas de collègues intéressants, j’ai discuté avec plein de gens, j’ai appris énormément de choses. Je remercie encore les gens du réseau de m’avoir convié à participer à leur réunion et puis je me réjouis parce que je vais suivre ce réseau de façon plus régulière maintenant que je le connais.
Enseigner la conception de cours en ligne
Aujourd'hui, vous êtes directeur du Master MALTT, vous dirigez également un Certificat de formation continue en conception et développement de projets en eLearning. En d'autres termes, vos étudiants (qui sont enseignants pour la plupart) suivent ces enseignements pour apprendre à concevoir et animer des dispositifs de formation à distance. Quels changements majeurs, dans leur métier d'enseignant, la FAD provoque t-elle ?
L’expérience a montré que les enseignants porteurs de projets de cours en ligne commencent immanquablement par définir leurs cours en termes de contenus. Or la grande difficulté au niveau de l’ingénierie de la formation, de l’ingénierie pédagogique et donc aussi de la formation à distance c’est de passer d’une logique de contenu à une logique d'apprentissage et de compétences à développer chez l'apprenant. Il s'agit en fait de réfléchir en termes de compétences ou d’objectifs pédagogiques , à savoir : qu’est-ce que vous voulez que vos apprenants aient appris et à quoi cet apprentissage va-t-il leur servir, comment va-t-il être mis en œuvre, dans quel contexte dans quelle situation, qu’est-ce qu’ils vont être capables de faire avec ce que vous leur avez appris ?
Donc tout le travail qu’on essaie de faire en formation de nos étudiants (pour nous en tous cas dans la pratique que nous développons globalement autour de nos formations au niveau du master à Tecfa, dans le master Uticef, dans nos certificats de formation continue) qui ne cessent de focaliser et de centrer sur les contenus, c’est de les décentrer de cette préoccupation majeure que sont les contenus vers des compétences. Nos formations demandent au fond des compétences précises sur les technologies mais aussi conceptuelles, théoriques, méthodologiques sur leurs usages et sur la recherche autour de ces technologies en usage dans le contexte de la formation universitaire.
Si le concepteur de cours ne doit pas se centrer uniquement sur les contenus, quels sont alors ses rôles et ses tâches ?
Tout dépend du cadre dans lequel s'inscrit son travail. Il faut vraiment faire une grande différence entre, d'une part, les formations qui sont entièrement conçues pour la distance par des institutions qui forment selon cette modalité historiquement depuis leur création; d'autre part, les formations universitaires actuelles dispensées dans le cadre d'une université qui travaille essentiellement en présentiel et qui décide d’intégrer les technologies. Parmi ces technologies il y a effectivement des plateformes dites de formation à distance, des environnements numériques de travail qui permettent de mettre un certain nombre d’activités à distance.
Dans le premier cas, il y a effectivement ce qu’on appelle dans la FAD l’industrialisation de la formation avec des équipes en général bien organisées, bien structurées, une grande division de travail. C’est très bien documenté dans la littérature depuis fort longtemps. Je renverrai aux travaux de France HENRI et de Anthony KAYE sur "Le savoir à domicile" qui, en tout cas dans la littérature francophone, met bien en place au fond ce mode de production industriel de la formation à distance.
Dans le second cas, celui des universités présentielles qui souhaitent mettre à distance une partie des activités de leurs dispositifs de formation, il n’y a pas d’équipe pédagogique. C’est l’enseignant dans la plupart des cas qui est doté par son institution d’une plateforme et donc il assume un peu tous les rôles, il porte toutes les casquettes : il est à la fois concepteur pédagogique, expert de contenu, très souvent il prend part à l’implémentation du cours dans la plateforme. Il doit également apprendre la planification, la scénarisation, il doit apprendre toute une série de métiers qui ne sont pas nécessairement les siens.
En tant que concepteur de cours, l'enseignant doit définir ses objectifs, définir les compétences, voir quels sont les contenus nécessaires en relation avec les compétences et les objectifs définis. S’il travaille dans une université présentielle, il aura à organiser et scénariser son propre cours, pour organiser la progression pédagogique. S’il travaille pour une institution de formation à distance, vraisemblablement on lui demandera de modulariser son cours de façon à ce qu’il puisse s’intégrer dans plusieurs parcours de formation différents. Dans tous les cas, le concepteur de cours va scénariser donc il va imaginer l’environnement, il va imaginer les conditions d’évaluation du cours, il va faire au fond ce que fait un enseignant dans son cours présentiel sauf que là il va devoir vraisemblablement acquérir un certain nombre de compétences et une identité professionnelle qui va être différente de celle qu’il avait en tant qu'enseignant du présentiel au sens strict.
Retrouvez la seconde partie de l'entretien avec Daniel Peraya, consacrée à la fonction de responsable pédagogique dans un dispositf de FAD et à la vogue de l'enseignement hybride : Avec la FAD et les TICE, apprendre autre chose autrement.
Voir plus d'articles de cet auteur