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Publié le 06 avril 2010 Mis à jour le 06 avril 2010

Le jeu à l'école : une question de culture éducative

Dans son Dossier d'actualité n° 48, l'Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) fait le point sur les relations qu'entretiennent le jeu et les apprentissages à l'école. Ce dossier fort complet permet aux enseignants et spécialistes des sciences de l'éducation d'avoir une vision globale sur la place du jeu dans les écoles de France et d'ailleurs.

Le plaisir du jeu facilite les apprentissages...

Les repères historiques montrent à l'évidence que le jeu est depuis longtemps considéré comme un support d'apprentissage efficace avec des enfants. La pratique du jeu est en effet vecteur d'apprentissage en elle-même, et considérée comme telle jusqu'au XIXe siècle. Ce qui va dans le sens de la définition du jeu telle qu'elle est citée en ouverture de ce dossier. Le jeu y est présenté comme « une dépense d'activités physiques ou mentales qui n'a pas de but immédiatement utile, ni même de but défini, et dont la seule raison d'être, pour la conscience de celui qui s'y livre, est le plaisir même qu'il y trouve ».

A partir du XIXe siècle, le jeu devient « sérieux », avec les inventeurs de l'éducation nouvelle. Pestalozzi par exemple, puis Decroly, Freinet, Montessori, Winnicott... affirment tous l'intérêt du jeu qui permet de concentrer les apprentissages sur le processus plutôt que sur un but externe, et d'engager les joueurs en profondeur.

Mais en France, on apprend sérieusement !

Est aussi réaffirmée la notion capitale de « frivolité » du jeu, qui place du coup le jeu en opposition au travail, nécessairement sérieux. Sans frivolité, pas de jeu ! Le plaisir de jouer tient en grande partie à cette frivolité, comprise comme l'absence de conséquence de l'activité dans le monde réel. On comprend alors pourquoi le jeu a tant de mal à se faire une place dans l'univers scolaire de certains pays, notamment dans les pays latins, qui y voient une distraction plutôt qu'un support d'apprentissage, nécessairement sérieux. Et de sérieux à rébarbatif, il n'y a qu'un pas...

La partie consacrée à la place du jeu en éducation confirme ce point : en France, le jeu est relégué à la récréation (qui permet de reprendre des forces) ou toléré dans le cadre de l'école maternelle, à condition d'être contrôlé et de ne pas se substituer aux temps spécifiquement dédiés aux apprentissages.

Dans les écoles anglo-saxonnes et du nord de l'Europe, on joue

Mais l'examen de pratiques scolaires étrangères montre que cette conception est loin d'être partagée partout dans le monde. C'est d'ailleurs l'intérêt majeur de ce dossier de nous inviter dans les classes du nord de l'Europe et des pays anglo-saxons, où le jeu est beaucoup plus largement utilisé.

La partie consacrée à l'utilité du jeu est à cet égard exemplaire. Au Danemark par exemple, « le jeu de rôle (role-play) fait partie des outils éducatifs utilisés par les enseignants. Bien implanté dans le paysage éducatif danois, il mobilise chercheurs en éducation et théoriciens de l'apprentissage : il n'est en effet plus question de se demander si le jeu de rôle a une fonction éducative, mais de savoir comment le rendre toujours plus efficace. Si la question de « l'immersion » divise parfois les chercheurs en ce qui concerne le jeu de rôle nordique, elle met l'accent sur cette étape fondamentale de la motivation : plongé au coeur d'un récit dans lequel chacun a son rôle à tenir, l'élève saura trouver sa place et chercher les éléments qui manquent à la construction globale du récit. Le travail de « distanciation », nécessaire à un retour sur le contenu des apprentissages, sera différé, mais l'appropriation des connaissances aura été facilitée par la motivation de l'élève à « coller » à son personnage ».  Il existe même des écoles qui sont entièrement dédiées à l'apprentissage par le biais de jeux de rôles.

Partant de ce principe, qui affirme le rôle capital du jeu comme élément de motivation, on ne s'étonnera guère que des Américains « osent » ouvrir une école basée sur l'utilisation majoritaire des jeux vidéos, comme nous vous le décrivons dans cet article. Le jeu vidéo semble en effet devoir prendre sa place parmi la panoplie des jeux utilisés par les enseignants les plus ouverts à la pédagogie du jeu, dans la mesure où, comme tous les jeux, il met en évidence la place de l'apprentissage informel dans les apprentissages globaux et développe le plaisir d'apprendre.

La place essentielle des enseignants dans la gestion du jeu

Les enseignants français, eux, résistent à la pédagogie du jeu, même si les auteurs du dossier mentionnent le fait que le jeu de rôle et la situation immersive sont des outils pédagogiques bien utilisés pour l'apprentissage des langues étrangères. En France, les principaux facteurs de résistance à l'utilisation du jeu en classe sont la crainte de ne pas « terminer le programme », et un manque de formation à cette approche pédagogique, au moins aussi importante que le manque de formation à l'utilisation des produits multimédia que les élèves, pour leur part, utilisent avec aisance. Les enseignants des pays plus ouverts à la pédagogie du jeu reçoivent effectivement une formation ad hoc lors de leurs études; ils savent ainsi que l'utilisation du jeu en classe n'est pas synonyme de « lâcher prise », mais requiert des habiletés qui donnent à l'enseignant une place essentielle de facilitateur : « Loin de pouvoir se passer de l'enseignant, le jeu éducatif exige de celui-ci qu'il joue son rôle : rôle en partie redéfini par la configuration du jeu, mais toujours incontournable. Que l'enseignant soit concepteur du jeu, « maître du jeu » ou « personnage non joueur », son rôle est essentiel : il est celui d'un médium d'apprentissage déterminant ».

Grâce à ce dossier, l'on comprend que la résistance à l'utilisation des jeux vidéos pédagogiques en France ne tient pas uniquement à des réticences techniques, de matériel ou même économiques, la France comme nombre d'autres pays ayant mis en place des dispositifs d'incitation à la création de « jeux sérieux » utilisables en contexte scolaire. Cette réticence témoigne surtout d'une culture de l'éducation qui met constamment en tension jeu et apprentissage, sous-entendant que l'effort est nécessairement « sérieux », découplé du plaisir, et se privant du même coup de tous les avantages des situations ludiques qui sont bien exposées dans ce dossier : apprentissage entre pairs, immersion, mobilisation de l'affectif et engagement personnel des apprenants, mise en valeur des apprentissages informels. Quelques références à des mouvements s'efforçant de modifier les attitudes face aux jeux (comme le réseau Ludus, qui accompagne les enseignants d'histoire et géographie dans la création de jeux pédagogiques, ou la FedeGN, qui fédère les organisateurs de jeux de rôle grandeur nature, hors contexte scolaire) montrent qu'en ce domaine il existe des voix alternatives. On craint cependant qu'elles ne soient pas suffisamment fortes pour couvrir le discours dominant. A moins que les élèves eux-mêmes, devant enseignants à leur tour, ne changent un jour la donne ?

Dossier d'actualité n° 48 – octobre 2009 – Quelles relations entre jeu et apprentissages à l'école ? Une question renouvelée, par Marie Musset et Rémi Thibert.

Crédits photo : Bobby-james et Nico Cavallotto, Flickr, Licence CC.


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