Si l’on se réfère aux propos de Robert Darnton, historien du
livre et directeur du réseau des bibliothèques universitaires d’Harvard, les défenseurs du livre
imprimé n’ont pas de souci à se faire. Le marché du 'codex'
« fonctionne toujours très bien » et
« n’est pas près de s’éteindre ». En revanche, il semble
évident que le développement des ressources électroniques induisent des
mutations notamment au niveau de la chaîne du document.
Un marché encore naissant
On a beaucoup glosé sur la disparition du livre imprimé et on ne compte plus le nombre impressionnant de conférences sur le thème du livre numérique, comme l'indique Hervé Le Crosnier dans sa récente intervention dans les locaux parisiens de l'ADBS, l'association des professionnels de l'information et de la documentation. Il est utile de rappeler, comme le fait l'auteur, que le marché du livre imprimé représente environ 98 % des ventes réalisées en France par les différents fournisseurs, selon les derniers chiffres publiés. Les différentes tablettes de lectures (E-book, reader, livrel, bouquineur ou encore liseuse) n'ont pas pour le moment réellement convaincu les acteurs de la chaîne du document et notamment le grand public lecteur. Les évolutions les plus
nettes et signifiantes concernent davantage les périodiques et en particulier
les publications scientifiques qui désormais sont la plupart du temps
uniquement disponibles sous la forme numérique et généralement destinées à un lectorat universitaire. Il faudrait aussi évoquer ici
le secteur des encyclopédies et des dictionnaires qui, très tôt, a viré vers
l’édition électronique.
Une nouvelle politique pour les bibliothèques
Les précédentes remarques
montrent que les changements touchent fort logiquement le monde des
bibliothèques et les différents centres de ressources qui doivent, depuis
quelques années déjà, réfléchir à une politique d’acquisition multi-support, ne
pouvant plus objectivement se contenter d’une politique documentaire exclusivement
axée sur l’imprimé. Cette situation a des implications importantes au niveau des coûts de la documentation électronique, ce qui a amené certaines bibliothèques à se regrouper en consortiums (CAREL, Couperin) pour faciliter la négociation auprès des fournisseurs et obtenir des conditions financières et juridiques communes plus intéressantes.
Et les librairies ?
Un récent rapport publié
sous la forme d’un vadémécum reprend les différents constats évoqués ci-dessus.
La concurrence est assez rude pour les librairies face aux phénomènes
d’autoédition, aux divers services POD (publication à la demande) même si l’arrivée de l' Espresso Book Machine semble offrir une autre manière de distribuer les livres imprimés. Une nécessaire adaptation s'impose aux librairies traditionnelles. Plusieurs solutions sont préconisées par le rapport comme la création d’une plate-forme eCommerce, l'intérêt de favoriser des ventes conjointes (papier et
numérique) ou encore le signalement d'offres gratuites et libres de droits renvoyant les
lecteurs du site vers les plateformes correspondantes.
On est donc loin en France des pratiques numériques d'un pays comme le Japon où la lecture sur téléphone portable s'est considérablement développée. On mentionne souvent à cette occasion le cas de Koizora, roman pour mobiles (keitai shosetsu) qui, en 2008, avait été déjà lu par 25 millions de lecteurs japonais. L'histoire s'inspire à priori de la vie de l'auteure, Mika, jeune écrivaine inconnue, qui avait simplement téléversé sa romance sur un portail de téléchargement pour téléphonie cellulaire. Le "succès de librairie" est venu de la propagation virale
des adolescents japonais via leur outil de communication portatif. Il faudrait également citer le cas du marché chinois, lui aussi en pleine expansion: il inspire d'ailleurs des éditeurs de contenus numériques français comme Leezam qui, en juin 2009, proposait La Toile, première série à lire sur support de lecture numérique, composée de 9 épisodes...
Même si l'avenir voit augmenter la part d'ouvrages distribués sur support numérique, éditeurs et libraires ont le temps d'adapter leurs stratégies, de délaisser la plainte pour faire preuve d'imagination et nous convaincre que l'imprimé et le numérique peuvent vivre ensemble.
Photo : Etolane, Flickr, licence CC.