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Publié le 30 septembre 2009 Mis à jour le 30 septembre 2009

L'erreur, grande absente de l'expérimentation scientifique en classe

Quelle est la valeur de l'expérience scientifique telle qu'elle est menée en classe ? Contribue t-elle à faire acquérir le fameux raisonnement scientifique aux élèves ?

Au début de l'année 2009, Les Cahiers Pédagogiques ont eu la bonne idée de rééditer un article de Jean-Pierre Astolfi (décédé en décembre 2009), publié sept ans auparavant. L'article s'intitule "L'oeil, la main, la tête. Expérimentation et apprentissage".

Jean-Pierre Astolfi était professeur en Sciences de l'éducation à l'Université de Rouen. Il a travaillé pendant plusieurs années sur le statut de l'erreur dans le système éducatif, et cet article fournit un bon exemple de sa position à ce sujet.

Constater n'est pas comprendre

Depuis la fin du XIXe siècle en France, l'enseignement scientifique est essentiellement expérimental. A quoi est du cet engouement pour l'expérimentation ? Quelles compétences l'expérimentation est-elle censée développer chez les élèves ? L'expérimentation telle qu'elle se déroule en classe peut-elle être comparée à l'expérimentation réalisée dans le cadre de la recherche scientifique ? Voilà les trois questions sur lesquelles J.P. Astolfi nous invite à nous pencher.

L'expérimentation telle qu'elle se pratique en classe représente la "partie visible" de la science, censée faciliter la compréhension de phénomènes physiques, chimiques... qu'on peut constater à l'aide d'instruments d'observation et de mesure adéquats. Mais J.P. Astolfi met immédiatement en garde contre cette évidence : nombre d'expériences, répétées depuis des dizaines d'années dans les classes, ne sont pas porteuses de signification en elles-mêmes. Car pour faire le lien entre une observation et le principe physique ou chimique qui la sous-tend, encore faut-il être en capacité d'interpréter les signes que l'on voit. L'auteur cite la fameuse expérience du dégagement de bulles d'oxygène par les plantes aquatiques exposées à la lumière. A votre avis, qu'est censée démontrer cette expérimentation ? Le fonctionnement de la photosynthèse. On imagine aisément les élèves perplexes devant les bulles, contraints de croire, plutôt que de comprendre, le professeur qui fournit l'explication d'un "phénomène" qui n'a rien de franchement phénoménal...

Une pratique sans surprise, qui ne se suffit pas à elle-même

L'expérimentation jouit d'un grand succès chez nombre de professeurs qui y voient, à juste raison, un moyen de rendre les élèves actifs et donc, de les motiver. Là encore, J.P. Astolfi nous alerte : l'activité peut vite se transformer en activisme et tourner à vide. Pour éviter cet écueil, l'enseignant balise très fermement le déroulement de l'expérience. Mais du coup, il enferme l'expérience de l'élève dans un chemin étroit, qui n'a d'autre but que de lui prouver que ce qui est écrit dans le livre est vrai. L'expérimentation n'est donc pas source de découverte, mais de vérification : "Ce qui arrive vite, c'est une certaine déception dès que les élèves comprennent l'artifice qui les invite à essayer, inventer, diverger... en même temps qu'on ne les laisse pas s'éloigner des chemins balisés".

De plus, J.P. Astolfi constate que "parler d'expérimentation n'implique pas automatiquement constructivisme ni apprentissage". Si l'expérience n'est pas suivie d'une mise à distance et d'une théorisation, l'élève n'en tirera pas de connaissances nouvelles. Or, le côté flatteur de l'expérience (tout comme celui de l'exemple dans d'autres contextes d'enseignement) fait qu'elle risque d'occuper tout le champ mental de l'élève, au détriment de l'opération de théorisation. Sans même parler du temps nécessaire à la réalisation des expériences en classe, qui laissent peu de places aux opérations de réfléxion postérieures.

L'erreur fait partie de l'expérience

Mais le plus gros défaut de l'expérimentation scolaire aux yeux de J.P. Astolfi, c'est son intolérance totale à l'erreur. Ceci dans un champ, le savoir scientifique, qui ne s'est construit qu'à partir des erreurs commises ! Partout sauf en classe, on apprend de ses erreurs et "l'histoire des sciences démontre en permanence qu'il n'y a pas d'expérimentation sans risque d'erreurs (...) le problème n'étant pas de les éviter, mais d'en tirer les leçons". Si l'on suprime la possibilité de faire des erreurs et d'en tirer des leçons, l'expérimentation perd tout son intérêt scientifique, et ne devient qu'une manière d'intéresser les élèves à une matière. Est-ce vraiment ce qui était prévu ? ...

J.P. Astolfi prend position pour le retour de l'erreur dans les salles de classe. Pour les divagations et incertitudes de l'expérimentation, porteuse cette fois de véritables découvertes personnelles. Pour que cela advienne, il sait bien qu'il faudra que le climat scolaire change : "libération et sécurisation de la parole, incitation à s'adresser les uns aux autres et pas seulement à l'enseignant, encouragement à faire des propositions dont on n'est pas sûr, clarification des temps qui relèvent de l'apprentissage et de ceux qui relèvent de l'évaluation, etc.".

Clairement, l'expérimentation scientifique a été "scolarisée" par le système et ses agents. Elle s'est éloignée de son objet initial et s'est transformée en outil pédagogique. Pourtant, elle peut retrouver sa raison d'être :  "permettre aux élèves d'expérimenter à l'école peut alors se traduire comme une prise de conscience que la connaissance ne tombe pas du ciel mais s'expérimente dans l'incertitude, la controverse et le débat".

La question de l'expérimentation de l'erreur et de l'incertitude dépasse bien entendu le seul champ des sciences. Les concepteurs de cours à distance, toutes thématiques confondues, sont eux aussi invités à réfléchir au rôle réel des activités proposées aux apprenants, et à leur indispensable lien avec la démarche intellectuelle d'élaboration de concepts et champs de connaissance, tant il est vrai que l'expérience n'est porteuse de savoir que si l'on y réfléchit.

L'oeil, la main, la tête : expérimentation et aprentissage. Les Cahiers pédagogiques, janvier 2009. Article imprimable complet.

Illustration : mrdoggs, Shutterstock.com


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