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Publié le 06 juillet 2010 Mis à jour le 06 juillet 2010

La photo au musée : parcours d'obstacles

Accueillant plus de 80 millions de touristes par an, la France est la première destination touristique du monde. Ses musées sont particulièrement prisés des visiteurs étrangers. Le Musée d'Orsay à Paris, spécialisé dans l'art du XIXe siècle et qui propose notamment de très belles collections d'art impressionniste, accueille plus de trois millions de visiteurs chaque année. Ce musée a très récemment pris la décision d'interdire la photographie dans ses murs.

Le Musée d'Orsay emboîte ainsi le pas à d'autres musées français : la photographie est notamment interdite à l'intérieur du Musée du Quai Branly consacré aux Arts premiers ou à la Galerie du Jeu de Paume. Le Musée du Louvre s'y était essayé, avant de renoncer, devant l'impossibilité pour les gardiens de contrôler tous les visiteurs braquant leur téléphone portable devant les tableaux...

Fort heureusement, la photo est autorisée, du moins pour les collections permanentes, dans de nombreux musées : à Paris, le musée d'Art moderne du centre Georges Pompidou, le Museum national d'Histoire Naturelle, le musée national Picasso, le musée Guimet font preuve de bienveillance. Dans les autres villes françaises, le panorama est aussi contrasté, mais les visiteurs du Musée départemental Arles antique n'auront aucun problème pour immortaliser leur rencontre avec le buste de César récemment sorti du Rhône (ci-dessous), tout comme les visiteurs des collections permanentes du musée des Beaux-Arts de Lyon, pour ne citer que ces deux établissements. 

La visite au musée, une expérience très personnelle

On constate donc que la situation qui règne en France au niveau de l'autorisation de photographier dans les musées est plutôt confuse. Si la décision d'interdiction prise par le musée d'Orsay a fait grand bruit, comme en témoignent notamment les commentaires ulcérés qui figurent sur le livre d'or virtuel de cet établissement, c'est que la photo est devenue un medium massivement répandu, et que les visiteurs ne conçoivent plus qu'on puisse leur interdire de capturer un moment privilégié de leur expérience personnelle. 

En effet, un musée contient certes des oeuvres, mais aussi des gens, beaucoup de gens, qui sont parfois venus de fort loin pour admirer un Van Gogh, une amphore romaine ou l'oeuvre d'un primitif italien. Fort légitimement, ces personnes souhaitent conserver une trace de leur visite, en prenant une photo. Cette photo représentera l'oeuvre, plus ou moins bien cadrée, éclairée... mais également les visiteurs eux-mêmes. Il est fort intéressant d'observer les mises en scène opérées par les visiteurs dans les musées, qui posent volontiers auprès d'une oeuvre majeure, quand ils n'enlacent pas une statue grecque ou ne s'asseyent pas entre les pattes d'un sphinx égyptien qui n'en demandait pas tant... Le bon goût n'est pas toujours au rendez-vous, le respect non plus; mais la mise en scène photographique, le souvenir immédiat à partager sur la toile avec ses amis avant même d'être rentré de vacances, le désir de figer le flux du temps et de dire "j'y étais, en voici la preuve", sont des réalités qu'il serait vain d'ignorer. 

Certains musées, à l'inverse du musée d'Orsay, décident non seulement d'autoriser la photographie, mais l'encouragent et la valorisent. C'est le cas de la plupart des musées anglo-saxons et nord-américains. Le Museum of Modern Art de New York, le Getty Center de Los Angeles ont même créé des groupes sur Flickr sur lesquels ils invitent les visiteurs à déposer leurs propres visions et témoignages de leurs visites. Toujours sur Flickr, des groupes spontanés d'amateurs naissent autour de musées remarquables, telle la Tate Modern de Londres.

En France, le Muséum de Toulouse suit une politique similaire. Il dispose de sa propre page Flickr et ouvre deux groupes aux visiteurs : Collectionner le vivant autrement et Souvenirs du Muséum de Toulouse

Valoriser l'interaction et la recommandation

Ce ne sont que quelques exemples d'institutions qui ont compris qu'il était plus profitable de partager que d'interdire, d'autoriser l'expression personnelle plutôt que d'imposer une expression officielle. En jouant sans hésitation la carte de l'interaction et du témoignage personnel, ces institutions manifestent leur compréhension de trois points fondamentaux :

- Les professionnels du tourisme vendent désormais moins un "produit" qu'une "expérience". En d'autres termes, ils valorisent l'utilisateur au moins autant que le lieu ou l'attraction. Ce qui, appliqué aux musées, permet de dire "emportez votre souvenir personnel, même s'il est affreux, il est à vous" plutôt que "achetez la même carte postale que trois millions d'autres touristes". 

- L'interaction fait partie intégrante de l'expérience numérique, et l'image constitue l'un de ses véhicules privilégiés. Le succès des sites de partage (publics ou privés) de photos sur le net, l'explosion des ventes d'appareils numériques et l'intégration désormais systématique d'un appareil photo aux téléphones cellulaires, le nombre de photos déposées sur Facebook pour les partager avec ses amis... en témoignent. Tous photographes, selon le titre d'une excellente exposition consacrée à ce thème au musée de l'Elysée de Lausanne, voici quelques temps? Certainement. La photographie accompagne désormais la quasi-totalité des activités humaines, non seulement grâce aux professionnels ou amateurs éclairés, mais aussi grâce à nous tous, qui éprouvons le besoin de documenter notre vie à un niveau jamais atteint jusqu'alors.

- La recommandation interpersonnelle est un vecteur capital de reconnaissance. Le succès de certains musées repose au moins autant sur leur politique institutionnelle de communication que sur les avis et analyses de leurs visiteurs. Au travers des blogues et des réseaux sociaux, les réputations se font et se défont, s'appuyant sur des témoignages souvent illustrés. Interdire la photographie au musée, c'est aussi interdire au visiteur de faire part de son émotion, c'edt interdire aux scolaires de diffuser le compte-rendu de leur visite, c'est interdire enfin l'expression complète de sa satisfaction en direction de centaines ou de milliers de visiteurs virtuels. Combien de visites perdues, alors ?

Cet été, n'hésitez pas à témoigner, vous aussi, de vos expériences personnelles de l'art, de la beauté, de la rencontre avec des oeuvres qui nous touchent au-delà du temps et de l'espace. Et privilégiez pour cela les institutions qui encouragent la rencontre plutôt que l'admiration passive.

 

Photos, de haut en bas :

Musée Guimet (Paris), visiteurs, Feuillu, Flickr, licence CC.

Musée départemental Arles Antique (Arles, France), Jules César, Christing-O-, Flickr, licence CC.

Museum of Modern Art (New York), toile de Rothko, Christing-O-, licence CC.


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