"Comment voulez-vous que je sache ce que je pense avant d'entendre ce que je dis ?"
Cette phrase a été trouvée en note de pas de page, dans un document fort intéressant explicitant ce qu'est la pédagogie active. D'après l'auteur du document, elle est extraite d'un roman de E.M. Forster, qui est notamment l'auteur de Chambre avec vue et de Maurice, oeuvres ayant donné lieu à de magnifiques adaptations cinématographiques. Nous n'avons malheureusement pas pu en retrouver l'origine exacte et sollicitons tous nos lecteurs fans de Forster pour combler ce manque.
La phrase illustre parfaitement l'une des fonctions peu explorée de la verbalisation, qui est de faire entendre à l'émetteur ce qu'il pense, au travers de la mise en mot et de leur sonorisation. Et là, il y a parfois des surprises : qui n'a jamais souhaité rattrappé les paroles parties trop vite, avant que la pensée ait eu le temps de se préciser ? Qui n'a jamais ressenti de gêne en entendant le son de sa voix retransmise par un enregistrement ? Car la verbalisation dévoile nombre d'éléments qui échappent facilement au contrôle de l'émetteur : la nervosité transparaît au travers du ton, de la hauteur de la voix, du rythme des paroles; tel élément qui semblait très clair s'avère, une fois énoncé, totalement obscur. Telle périphrase interminable signale à l'attention de l'auditeur une personne qui ne maîtrise pas son thème... Et enfin, c'est souvent après s'être entendu parle d'un sujet que l'on est capable de résumer sa position sur le dit sujet.
Tel le produit qui, à une époque très lointaine, permettait de faire apparaître l'image sur le papier photo, la voix révèle notre pensée, lui donne une forme qui nous permet de l'appréhender et de la partager.
De l'exposé au podcast, pour exprimer aux autres et s'exprimer à soi-même
En pédagogie, la pratique de l'exposé invite les apprenants à travailler leur compétence de communication orale. Mais l'exposé est en lui-même un exercice porteur de stress, à la fois parce que l'apprenant est seul face à un groupe et surtout parce que l'exercice est souvent évalué. L'essai a donc figure d'épreuve définitive, dans une situation de communication fort inhabituelle, en particulier pour des élèves qui ont rarement la possibilité de prendre librement la parole devant leurs congénères.
La compétence de communication orale peut être travaillée de bien d'autres façons. En particulier, elle peut s'appuyer sur la fabrication de podcasts sonores (ou baladodiffusions), soit des fichiers sons qui sont ensuite déposés dans un espace numérique. Les radios, les universités, proposent de plus en plus souvent leurs contenus sur de tels supports. Les élèves et étudiants de tous âges peuvent aussi produire leurs propres podcasts.
Cela leur permettra de préparer leur travail en le reprenant autant de fois que nécessaire avant sa diffusion; de le diffuser à un public élargi et de lui donner une durée de vie plus longue que celle d'un exposé traditionnel, par exemple s'il est déposé sur l'ENT de leur établissement. Et surtout, le podcast permet à l'apprenant d'auto-évaluer son travail, et notamment d'entendre ce qu'il pense, sous la forme dont il a transmis cette pensée...
Transformer des contenus objectifs en connaissances personnelles
De nombreux podcasts d'élèves sont librement accessibles. Preons l'exemple de PodFreinet, le podcast du collège Célestin Freinet à Sainte-Maure de Touraine. Nous avons accès à des réalisations très élaborées, dans lesquelles on sent un travail poussé mais aussi beaucoup de plaisir de la part des élèves qui se sont manifestement bien éclatés à préparer ces créations collectives. Nul doute qu'ils ont analysés avec attention leurs différents essais avant de parvenir au produit final. On peut parier également qu'ils ne sont pas totalement satisfaits de leurs oeuvres, et qu'ils en tireront des enseignement sour la suite...
La série "Raconte-moi l'histoire-géographie..." élaborée par des élèves de première du lycée La Hotoie d'Amiens présente elle aussi de nombreuses qualités. Là encore, on constate que'il s'agit de productions collectives, ayant demandé un gros travail de coordination. Mais surtout, il s'agit du récit personnel que font les élèves de certains chapitres de leur enseignement dans la discipline. Il y a donc eu appropriation, transformation et rediffusion des éléments externes. Qui pourrait nier qu'après un tel travail, les élèves n'aient assimilé les contenus au programme? Et l'on imagine qu'ils auront à cette occasion beaucoup appris sur leur fonctionnement cognitif, ce qu'ils retiennent, comment ils retiennent, la hiérarchie qu'ils effectuent entre les informations.
De la difficulté à s'affranchir de la lecture
La préparation du texte à diffuser est souvent citée comme une activité porteuse d'apprentissage, et un intérêt principal de la pratique du podcasting. Pourquoi ne pas imaginer aussi l'enregistrement de débats entre apprenants par exemple, qui leur permettrait de mettre en forme une pensée personnelle plus spontanée, bien qu'élaborée ? Les apprenants tireraient sans doute le plus grand profit de l'analyse des interventions des uns et des autres, de l'équilibre des arguments, de la position, implicite de leader ou de suiveur des particpants.
Si les yeux sont, selon le mot de Georges Rodenbach, "les fenêtres de l'âme", notre parole est peut-être la porte qui ouvre sur notre pensée. La pratique du podcasting permet de renouveler l'aprentissage d'une compétence de communication qui se situe à l'intersection de l'intellectuel et du sensible, et de faire résonner les voix dans l'espace numérique qu'on ne traitera plus systématiquement d'outil froid.
Une très bonne fiche sur l'utilisation pédagogique du podcasting audio, sur le site Enseignement.be, téléchargeable en pdf.
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