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Publié le 03 mai 2011 Mis à jour le 03 mai 2011

Faut-il se déconnecter pour écrire ?

On admet volontiers que les créateurs, même s'ils se nourrissent de l'information que leur apporte le réseau, doivent se couper de la fureur du monde pour faire naître leurs oeuvres.

Joe Haldeman, auteur américain d'ouvrages de science-fiction dont certains sont traduits en français, a comme nombre de ses collègues un certain don pour l'anticipation. En 1997, il publiait Forever Peace, un roman qui mettait en scène un soldat contrôlant des robots-guerriers. Quelques années plus tard, les drones et autres robots étaient utilisés par les troupes US en Afghanistan.

D'où vient  cette capacité à créer, quelques années (ou siècles ! ) à l'avance des machines et phénomènes qui finiront par exister ? On pourrait croire que, depuis que la presse existe, les meilleurs écrivains d'anticipation se nourrissent largement d'informations et sont des veilleurs hors-pairs. On suppose qu'ils sont tous, à l'égal de Cory Doctorow, des fans des TIC qui leur fournissent d'abondantes sources d'inspiration. C'est peut-être vrai, mais par pour tous, et pas tout le temps : Joe Haldeman écrit en effet à la main, éclairé par une lampe à huile, loin de son ordinateur et de son téléphone portable.

Internet comme source de distraction

C'est ce qu'il déclare à Mitch Wagner dans un entretien publié sur le blogue Copper Robot. Pour expliquer son attitude, il avance le fait qu'Internet le distrait, qu'il lui est difficle de rester à côté de son ordinateur connecté sans aller voir de temps en temps ce qui se passe sur le web. Sans Internet, il écrit plus vite. 

Joe Haldeman ne sacralise pas l'écriture à la main : "Je pense que c'est une habitude qui me vient de mon adolescence, et j'imagine que c'est juste une habitude que vous avez, ou que vous n'avez pas. Si j'avais eu un objet comme un iPad lorsque j'étais enfant, je n'aurais jamais pris l'habitude d'écrire à la main". 

L'existence sociale et professionnelle imprégnée de TIC

La question aujourd'hui, alors que la majorité des jeunes (et des moins jeunes) peut facilement utiliser un ordinateur avec un traitement de texte et une connexion à Internet, c'est de savoir s'ils peuvent s'en passer, écrire et communiquer autrement qu'avec leurs machines fixes ou mobiles. En 2010 dans l'ouest de la France, une classe de 5e (deuxième secondaire) a fait l'expérience de la déconnection pendant une semaine. 17 élèves sur les 23 que compte la classe ont craqué... surtout le dernier jour, et se sont empressés de retourner sur Facebook, dont les jeux en particulier alimentent la fidélité, si ce n'est l'addiction. La professeure-documentaliste a tenu bon mais a constaté que ses tâches professionnelles étaient largement perturbées par l'absence d'Internet. C'est aussi ce que rapporte cette jeune journaliste de la rédaction du Monde.fr, qui a elle aussi fait l'expérience de la déconnexion pendant une semaine. Souhaitant écrire un article sur le Groenland, elle a fini par trouver des informations en-dehors de la toile, mais le résultat est bien peu concluant : "J'ai perdu un temps fou (trois heures, peut-être quatre) à pêcher des contacts. Le sentiment d'avoir passé la journée à me battre contre des moulins. Et tout ça pour quoi ? Un article que personne ne lira jamais. Je n'ai pas réussi à le finir à temps".

Mais, peut-on penser, la communication et la rédaction professionnelle ne s'apparentent pas à la création littéraire. Se couper d'Internet a sans doute des effets néfastes sur la vie sociale et le travail, mais cela reste intéressant si l'on souhaite entreprendre une entreprise créative, qui nous force à entrer en nous-même plutôt qu'à sortir tous nos capteurs pour absorber la rumeur du monde.

Thierry Crouzet, blogueur et écrivan, a tenté une expérience d'une autre ampleur : six mois sans connexion. Il a fermé son blogue à la fin du mois de mars 2011, ne communique plus sur les réseaux sociaux, et ne réapparaîtra (peut-être...) qu'en septembre prochain. Que va t-il faire pendant ce congé numérique ? Il va écrire un livre. Malin, il a pris le soin de préalablement valoriser son aventure auprès d'un éditeur.

Le fait même qu'un éditeur souhaite publier le résultat de cette expérience montre la place qu'Internet a pris dans nos vies. Vivre sans Internet devient encore plus spectaculaire que de vivre, disons, sans chocolat, sans voiture quand on habite à la campagne ou sans travail.

Ceux qui écrivent des livres (et que ne se considèrent pas tous comme des écrivains) ont des relations très diverses aux outils numériques. On verra dans cette liste de témoignages publiée sur Viabooks que certains écrivent à la main comme Joe Haldeman, que d'autres préfèrent le traitement de texte et que bon nombre panachent les outils d'écriture. Beaucoup insistent sur la nécessité du silence, de la solitude, de la plongée en eux-mêmes. Mais d'autres ne sont pas gênés par l'utilisation d'Internet en cours de rédaction : "Autrefois, j'écrivais sur un cahier, au crayon. Mais depuis que je me suis mis à l'ordinateur, je ne peux plus m'en passer : les possibilités d'un traitement de texte sont quand même fabuleuses. Et de temps en temps, quand j'ai besoin d'une information, je la cherche sur Internet. Alors, tout est réuni sur cette belle machine..." dit ainsi Pierre Mérot.

En plus d'être écrivain, Joe Haldeman a longtemps été enseignant d'écriture au MIT et constate que les TIC ont modifié depuis 30 ans les façons d'écrire. Car les sociétés dans lesquelles s'épanouit la création artistique est profondément transformé par les technologies de l'information, de la communication et de la production intellectuelle. Au point que l'espace infini des réseaux peut devenir plus prégnant que l'espace physique et social du créateur - sauf s'il accepte de se débrancher. 

Science fiction writer Joe Haldeman discusses unplugging to create. Mitch Wagner, Copper Robot, 20 septembre 2010.

Illustration : Writing ToolsPete O'SheaCC BY 2.0

 


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