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Publié le 27 mars 2011 Mis à jour le 27 mars 2011

Le piège du jeu à tout prix

L’esprit ludique est maintenant un sujet incontournable de ce début de siècle. Réseaux sociaux, applications sur les téléphones, tablettes numériques, etc. Encore en 2011, le thème est dans toutes les conversations des observateurs de nouvelles tendances. En janvier 2011, un sommet avait lieu sur la chaude côte californienne, plus précisément à San Francisco : le Gamification Summit. Ce mot anglais qui n’a pas pour l'instant d’équivalent francophone serait la définition de cette tendance actuelle qui est d’implanter du jeu dans tous les secteurs d'activités.

Par exemple, rappelons-nous du principe de Foursquare que nous avions abordé ici où signaler sa situation géographique permet de récupérer des badges selon sa fréquence, ses habitudes, etc. Gratification ultime : devenir maire d’un lieu que l’on fréquente souvent. L'idée a séduite et maintenant, il existe plusieurs sites (BadgevilleBig Door, etc.) qui proposent à d’autres entreprises sur la Toile d’opter pour un système de badges, de récompenses, etc. Un concept qui peut sembler alléchant au point de vue du marketing, mais qui, comme le souligne ce pertinent article d’Internet Actu, reste ambigu.

La facilité mise de l’avant

Cette philosophie ludique étant nouvelle, peu ont réellement réfléchi à l’aspect que devait prendre le jeu dans le cadre de l’Internet (ou autres domaines). Pour certains théoriciens, la gamification réussie passe par toutes ces caractéristiques :

  • De la collecte de récompenses (médailles, badges, accomplissements, etc.)
  • Des points accumulés et un statut lié à l’addition des récompenses et des points
  • De la rétroaction, une progression dynamique pour donner envie de continuer
  • Des communautés qui peuvent se comparer, rivaliser ou s’allier
  • De la personnalisation (ex.: avatar)

Ce sont effectivement des mécanismes qui proviennent de grands jeux à succès comme les jeux de rôle massivement multijoueur (World of Warcraft, Warhammer, Rift, etc.). L’analyste des technologies Ray Wang propose aussi une version plutôt humoristique basée sur les sept péchés capitaux catholiques :

  1. La luxure : inciter les utilisateurs à se mettre au jeu.
  2. La gourmandise : attiser la volonté d’accumulation, de surconsommation et de participation.
  3. L’avarice : appliquer des mesures incitatives de reconnaissance, encourager l’engagement par des gratifications qui améliorent le statut de l’utilisateur.
  4. La paresse : le système se doit d’être simple, facile d’accès et d’usage. Pas de mécanismes casse-tête.
  5. La colère : stimuler l’impatience d’avoir des récompenses rapidement, le désir de l’immédiat.
  6. L’envie : mettre en valeur le succès des autres pour que le joueur veuille les rejoindre.
  7. L’orgueil : alimenter la compétition saine et la quête d'excellence.

S’il est vrai que les jeux flirtent un peu avec ces péchés, il y a une notion qui semble être omise par tous ces fabricants de solutions ludiques : celle de l’effort. C’est d’ailleurs la grande critique faite à cette « gamification » qui souffle sur la Toile. Car le véritable esprit du jeu n’est pas dans le simple fait de visiter une page, cliquer sur une icône, de concevoir un avatar ou de laisser un commentaire, il soumet l'utilisateur à un « travail ». Malheureusement, on opte trop souvent pour la facilité.

Ce n’est pas parce qu’on joue que c’est simple

Pour démontrer ce réflexe quasi infantilisant de la gamification, le théoricien des jeux vidéos Ian Bogost créait l’application Facebook « Cowclicking » ou les gens du monde entier pouvaient… cliquer sur une vache toutes les six heures, voire plus. Dans un billet très caustique sur son blogue, il commentera que la « vachisation » permet de justifier un tas de clics sur les sites. Mais à quelles fins, peut-on lire entre les lignes?

Même la très enthousiaste promotrice des jeux vidéos Jane McGonigal – dont nous parlions tout récemment ici – a émis des critiques par rapport à la gamification actuelle. Certes, elle reste en accord avec sa théorie qui défend le fait que la vie courante devrait s'inspirer de certains aspects du jeu vidéo, mais pas pour simplifier la tâche. Au contraire! Farmville ou les MMORPG fonctionnent car ils imposent, selon elle, des obstacles qu’il faut franchir, créant un stress bénéfique chez les joueurs. Car à quoi bon instaurer un dispositif de jeu trop facile? En ce qui concerne le marketing, c’est un avantage, qui peut aisément se retourner contre les entreprises.

Cette gamification ne touche pas uniquement les entreprises commerciales. L’éducation aussi essaie d’intégrer le jeu dans sa banque d’outils pédagogiques. Cependant, cette gamification facilitée ne risque-t-elle pas de créer des serious games trop simples, dans lesquels le seul fait de cliquer machinalement nous récompenserait sans avoir à travailler ou à apprendre ? On sait que nombre d'entreprises et d'organismes de formation hésitent à sauter le pas du jeu parce qu'ils conservent une perception ludique du phénomène; des exemples de jeux sérieux trop simples les conforteraient dans leurs préjugés.

Qu'il s'agisse de chasse au trésor ou de simulation professionnelle, le véritable jeu ne facilite rien. On pourrait même dire qu’il complique puisqu’il faut user d'une vaste palette d'outils et de schémas de pensée pour arriver au résultat ultime. Certes, on s’amuse, mais cela n’empêche pas que l'on doive réfléchir et agir pour surmonter les obstacles. Une école comme Quest to learn n’a pas adopté une philosophie du jeu vidéo pour diminuer les difficultés inhérentes aux disciplines scolaires. Les élèves sont toujours soumis à des cours, des travaux et des examens. Les outils et langage ont été adaptés à la réalité « vidéoludique » pour stimuler la motivation.

La gamification est un phénomène en pleine croissance et n’est pas en soi une mauvaise idée. Cependant, alors que le concept est tout neuf, il se doit d’être réfléchi davantage. La gamification s’applique-t-elle réellement partout? Comment? Que veut-on en faire? Un simple mécanisme marketing pour attirer de l’affluence ou une façon d’impliquer cognitivement et émotivement le visiteur/l’utilisateur/le client/l’apprenant?

Les ambiguités de la gamification, Rémi Sussan pour Internetactu.net, 1er mars 2011.


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