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Publié le 30 septembre 2003 Mis à jour le 30 septembre 2003

Le projet TVI pour la formation continue des instituteurs au Maroc

Le Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse du Maroc est penché sur un projet très ambitieux de formation à distance des enseignants du monde rural. Plusieurs villes du pays sont concernées. Le projet est bien avancé : les sites d’apprentissage sont déjà équipés en matériel multimédia, connecté à Internet, liés au centre de présentation de Rabat par satellite, les modules sont en préparation. Dans un entretien exclusif accordé à Thot, M. Mustapha ABBASSI , membre actif du projet, nous parle de toutes les phases de l’entreprise, ses ambitions et ses enjeux.

Thot : quelles sont les ambitions du projet TVI ?

Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour votre intérêt au projet TVI ; ensuite, je voudrais préciser que je réponds à vos questions en mon nom personnel en tant que membre de l’équipe pédagogique et que par conséquent, mes propos ne reflètent pas nécessairement les points de vues des responsables du projet.

Le projet pilote qui est communément connu sous le nom de «Projet TVI» s’appelle : «Education à distance par les technologies interactives - Formation continue des instituteurs». C’est un projet ambitieux et innovant par ses objectifs, sa structure, ses modalités d’encadrement, ses approches et ses stratégies pédagogiques et technologiques.

Les bénéficiaires de cette formation initiée par le Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse sont les instituteurs et les institutrices exerçant dans le premier cycle de l’enseignement fondamental (écoles primaires). Ils sont bilingues (ils enseignent à la fois en arabe et en français) ou monolingues (ils enseignent uniquement en arabe). C’est une catégorie d’enseignants hétérogènes en terme d’âge, d’ancienneté, d’expérience, de type de formation… le programme de formation est destiné, prioritairement et dans un premier temps, aux enseignants du milieu rural. D’autres catégories de publics pourraient bénéficier de la formation...

Les zones concernées par ce dispositif de formation couvrent une grande superficie du royaume. Il s’agit, dans un premier temps, des villes suivantes : Kalat-Esraghna, El-houcima, Essaouira, Ouarzazate, Zagora. Dans chaque ville, il y a un ou plusieurs sites d’apprentissage, c’est à dire des locaux (deux salles), au sein d’une école, équipés en matériel multimédia, connecté à Internet, liés au centre de présentation de Rabat par satellite. Ces centres d’apprentissage (CA) constituent les espaces de travail et de formation. Deux animateurs (formateurs) sont chargés de l’encadrement, de l’organisation, de l’animation, de la communication et de l’assistance en présentiel. Chaque centre (site) a la possibilité d’interagir avec le centre de présentation à Rabat et avec les autres sites à travers le royaume. Les enseignants inscrits suivront des sessions de formation pendant deux années.

Se référant à notre modèle médiatique, la formation se déroulera à travers des outils médiatiques et selon un encadrement spécifique. Il s’agit de :

  • une ligne Internet à très haut débit qui permet la recherche, la documentation, la communication et l’accès à la plate-forme de formation. Les centres d’apprentissage à travers le royaume sont tous équipés par des PC (une cinquantaine dans chaque site) et connectés via satellites (VSAT) ; plus le matériel nécessaire à la formation et à l’animation sur place.
  • la télévision interactive pour les sessions de formation, d’information et d’échanges interactifs entre le centre de présentation à Rabat et les centres d’apprentissage d’une part, et les centres entre eux d’autres part.
  • un tutorat à distance à partir de Rabat consiste à gérer et superviser le dispositif de formation.
  • une animation en présentiel dans les centres d’apprentissage par des animateurs affectés spécialement à cette tache.

Thot : parlez-nous des équipes qui travaillent sur le projet et de leurs rôles respectifs. Et si c’est possible, parlez-nous des modules de formation.

Le projet est sous la responsabilité d’un directeur national qui le gère. Trois équipes sont chargées de la mise en œuvre du dispositif de formation.

  • Une équipe pédagogique ayant la charge de concevoir et de réaliser les différents modules de formation.
  • une équipe informatique chargée des aspects techniques
  • une équipe audiovisuelle dont la tâche est de concevoir et de développer le volet audiovisuel.

Toutes les équipes sont en principe appelées à travailler en collaboration et sont complémentaires partant d’un ensemble de principes régissant «le modèle TVI» (télévision interactive). Nous le considérons comme modèle par ce qu’il présente des caractéristiques de l’innovation en terme d’approche adoptée. Cette innovation pourrait être résumée ainsi :

  • Un modèle technologique et médiatique au service d’un modèle pédagogique.
  • Un dispositif hybride associant deux formes d’autoformation et d’encadrement : le présentiel et l’à distance.
  • Des nouvelles technologies associées aux outils existants pour des pratiques pédagogiques efficaces.
  • Le transfert des acquis en classe est une priorité. Elle constitue l’une des préoccupations des concepteurs pédagogiques.

Il est évident que chaque projet ou chaque dispositif de formation se fixe des objectifs, propose des contenus et adopte une stratégie selon un modèle pédagogique et médiatique déterminé. C’est à la lumière de ces composantes que les modules de formation sont conçus et développés. Le programme de formation continue à distance (FCAD) proposé devrait apporter une réponse aux besoins qualitatifs et quantitatifs de la formation au Maroc et contribuer à la requalification du personnel enseignant dans les domaines techniques ou instrumentaux, académiques, professionnels et enfin dans le domaine du développement durable.

  • sur le plan technique, il assurera aux enseignants des compétences de base au niveau de la manipulation des outils de recherche, de communication et de travail collaboratif, en plus des sessions de télévisions interactive.
  • sur le plan académique, il permettra à l’enseignant d’avoir la possibilité de développer la maîtrise des disciplines enseignées (les langues, les maths, les sciences…)
  • sur le plan professionnel, partant d’une nouvelle définition du métier d’éducateur, le programme de formation entend participer à développer les compétences pédagogiques et didactiques relatives aux différents rôles de l’éducateur ; il est à la fois planificateur, évaluateur, animateur, chercheur et enseignant.
  • Sur le plan du développement durable, la formation aiderait l’enseignant à intégrer dans son enseignement les connaissances et les valeurs associées au développement du citoyen (droit de l’homme, environnement, santé, éducation en matière de population, etc.), et interagir avec l’environnement immédiat, participant ainsi au développement durable de la société.

Chacun des quatre domaines fera l’objet de plusieurs modules ; ils sont 17 en tout. Ils sont répartis en plusieurs lots. Le premier lot, par exemple, est constitué de quatre modules : la pédagogie par projet, la communication et l’animation de groupe, l’évaluation ; et bien sûr le module d’instrumentation qui consiste à doter les apprenants d’un ensemble de compétences de base pour pouvoir suivre normalement la formation.

Thot : Quels sont les organismes qui vous soutiennent pour la réalisation de ce projet ?

C’est un projet initié par le Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse. Ses partenaires, chargés de la contribution, l’exécution, la prestation… sont la banque mondiale, l’UNESCO, l’UIT , le CNED, l’ENSIAS, le CIFAP(Centre International de Formation à l’Audiovisuel et la Production), TRILOGIC… ; chacun intervient selon qu’il s’agit des équipements, de la formation ou autre…

Thot : quand le lancement du projet est-il prévu ?

Parlons plutôt des prochaines étapes qui restent à réaliser. Il est très important de préciser qu’aujourd’hui, plus qu’avant, les partenaires et les équipes du projet s’attellent dans un processus de préparation, de coordination et de mise en œuvre pour être au rendez-vous. La diffusion aura lieu en terme d’expérimentation et de tests des premiers modules, dans cinq sites d’apprentissage, quand tout sera prêt. On avance probablement le début du mois de janvier 2004, si tout continue à aller comme prévu. Inutile de rappeler que dans le domaine de la FOAD, rien ne devrait être laissé au hasard. On préfère accuser des retards avec des produits bien faits plutôt que de diffuser des produits réalisés à la hâte et qui ne répondent pas aux normes. N’oubliez pas que le lancement ou la diffusion n’est qu’une étape, la dernière bien sûr, d’un long processus qui nécessite de l’expertise au niveau technique, pédagogique et médiatique. Ca nécessite également la gestion administrative du projet, des ressources humaines qui font défaut, de la coordination entre les différents partenaires et le ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse. Ajoutons à tout cela la formation des équipes et la mise en place des équipements technologiques.

Et pour terminer sur ce point, il faut rappeler que ce type de projet unique par sa structure et ses composantes dépasse de loin la culture, les mentalités, les habitudes, les infrastructures, les pratiques du système éducatif au Maroc et de ses différents acteurs ; c’est pourquoi nous le considérons, en tant qu’équipe de réalisation, comme étant un vrai défi et une vraie gageure. Tout le monde attend le lancement officiel du projet ; pour nous, ce qui compte d’abord et surtout, c’est un produit de qualité et une expertise des équipes du projet.

Thot : quelles sont les contraintes et les difficultés que vous rencontrez ?

Nous pensons que chaque projet comporte au sein de sa structure des forces et des faiblesses, des contraintes et des limites, des avantages et des inconvénients.

L’une des grandes difficultés à laquelle est confronté celui ou celle qui conçoit l’innovation en matière d’éducation, c’est justement de s’y préparer par la planification, la formations des équipes, la mise en place des équipements et enfin la conception pédagogique et médiatique; vient ensuite l’étape qui consiste à la qualifier pour la situer en se posant une question simple mais stratégique : de quelle innovation s’agit-il ? Pédagogique ? Technologique ? Organisationnelle ? Structurelle ? Institutionnelle ? Sociale ? ... Et enfin prévoir et pallier les résistances à l’innovation.

Concrètement, cela veut dire que :

  • La formation des ressources humaines non pas au niveau de la maîtrise des outils de base mais au niveau de l’utilisation pédagogique de la chose est l’une des conditions préalables. Car l’usage efficace de ces outils est avant tout lié aux qualités pédagogiques des praticiens, des concepteurs et des formateurs. C’est un défi pour le projet.
  • L’usage des TIC surtout dans le domaine de la formation ouverte à distance appelle la précision dans la programmation et la planification, le développement des cours (le design). L’ «à peu près» n’a pas de place. Tout se prépare à l’avance par des spécialistes du domaine ; les équipes qui travaillent au projet n’ont pas encore toutes les compétences requises pour le faire. Ces nouvelles expertises sont en cours d’acquisition. Nous souhaitons voir d’autres partenaires s’associer à ce projet ; ne serait-ce qu’au niveau de la formation des équipes.
  • Nos élèves et nos enseignants ont besoin d’une «nouvelle culture informatique et technologique» ; pour ce faire, il faut de la formation et du temps.
  • Plusieurs formes de résistances pourraient surgir quelque part, à tout moment et à tous les niveaux contre l’implémentation de l’innovation ; à notre sens, il ne faudrait pas les considérer comme des attitudes négatives et non fondées; ce sont plutôt des indices et des éléments à exploiter pour améliorer le dispositif et ses stratégies.

C’est un domaine nouveau, du moins au Maroc, qui nécessite patience, prudence et travail itératif. Mais ce qui est plutôt urgent c’est de préparer notre environnement éducatif à travers ses acteurs et ses dispositifs de formation et d’enseignement, à un changement stratégique selon l’approche systémique suivante :

les acteurs du changement : les individus et les groupes doivent contribuer à l’introduction délibérée de nouveau concepts, de nouvelles habitudes et de nouveaux outils. le contexte /environnement du changement : il porte sur les cultures, le système éducatif lui même, le système de gestion qui devrait suivre la logique de l’évolution des TIC. l’action du changement : elle concerne les contenus, les processus de fonctionnement et les procédés d’enseignement et d’apprentissage… les décideurs : ce sont les agents incarnant le pouvoir, la stratégie et la structure du changement. la transition et l’adaptation : ces types de configurations dans le domaine de l’innovation permettent un passage en douceur des anciennes aux nouvelles pratiques pédagogiques, et ce, en adoptant le principe suivant : expérimenter pour convaincre et convaincre pour expérimenter; ainsi on donnera une chance à l’initiative et à la créativité et par conséquent à la prédisposition au changement.

Et pour conclure disons-le clairement ; malgré toutes les propositions, toutes les stratégies et tous les efforts que l’on puisse faire ou entreprendre pour innover, il existe, hors des contextes prévus, des facteurs d’influence et de résistance externe et interne au projet, souvent inconnus, qui risquent de compromettre la réalisation des résultats et des objectifs préalablement fixés. Cela ne nous empêchera pas pour autant, de voir loin et haut pour réaliser notre projet auquel nous croyons tous car nous sommes convaincus que le Maroc est en mesure de prétendre qu’il pourrait être au rendez-vous et qu’il parviendra en fin de compte, à gagner le défit puisque, justement, cette politique correspond aux besoin du système éducatif et des enseignants, du royaume et aux objectifs fixés par «la charte nationale de l’éducation et de la formation».



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