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Publié le 10 octobre 2010 Mis à jour le 07 avril 2021

André Martin: "Un enfant n'aurait pas envie de quitter une école qui le ferait grandir"

Deuxième partie de l'entretien avec André Martin. Retrouvez la première partie : André Martin ou la philosophie de la coopération.

On peut collaborer sans coopérer, mais l'inverse n'est pas vrai

Cette philosophie coopérative, peut-elle s'appliquer en éducation, par exemple ? Ou en santé ?

Elle peut s’appliquer à tout. Je m'avance peut-être un peu, mais je soupçonne que quand un problème survient, les personnes les plus qualifiées pour le régler sont celles qui le vivent et qui sont capables d’en parler entre elles, de s’entendre sur des pistes de solution. On appelle ça de la coopération. La distinction qu’il peut y avoir entre la collaboration et la coopération est qu’on peut collaborer sans coopérer, mais pas le contraire. Car la coopération se fonde sur un ensemble de valeurs. Aujourd'hui, on coopère très peu. Les solutions viennent toujours "d'en haut", des experts, de ceux qui décident pour les autres. Pourquoi les solutions ne proviendraient-elles pas d’en bas ?

Et je dis "d'en bas", pas de l'Etat qui est censé veiller au bien de tous ! Regardez le domaine de la santé : aussitôt que j’ai un petit problème, je vais voir le médecin. C’est lui qui va résoudre mon problème alors que dans le fond, le problème initial, c’est moi. Et la logique fait en sorte que je ne suis pas capable de me mettre dans un mode de prévention. Pourquoi le ferais-je ? Mais il est vrai que dans ce domaine, les choses changent un peu, à cause de l'encombrement des services. Les gens sont contraints de se prendre davantage en charge.

Il faudrait que le mouvement s'étende à d'autres secteurs. Est-ce que ça peut s’infiltrer dans d’autres domaines ? J'estime que nos écoles auraient tout intérêt à mettre sur pied des comités de coopération. Je pense même que ça pourrait être une solution majeure au décrochage scolaire. Pourquoi les enfants décrochent de l’école ? Parce qu’on les prend en charge continuellement. Je ne suis pas sûr qu'un enfant aurait envie de quitter une école qui le ferait grandir.

Alors, comment cette philosophie coopérative pourrait-elle s'implanter dans la tête des gens ?

Il faudrait déjà changer les programmes dans les facultés d'administration ! Actuellement, il n'y a pas plus de deux ou trois pages des manuels qui évoquent l'organisation coopérative. Alors que les étudiants n'ont évidemment rien contre !

J'ai l'habitude d'engager l'échange suivant en début d'année, avec les nouveaux étudiants de l'IRECUS : « Souhaitez-vous une société plus libre ?  -Oui ! Souhaitez-vous une société plus égalitaire en droits ? -Oui ! Souhaitez-vous une société plus démocratique ? -Oui ! Solidaire ? -Oui ! Équitable ? -Oui ! Où on vous permet une prise en charge de vous-mêmes, vous prenez en charge votre destin de façon collective ? » Tout le monde dit oui. Personne n’est contre la vertu. Et la dernière question est : « Croyez-vous qu’il y ait des modèles qui fonctionnent de cette manière-là ? » Là, ils ne savent pas quoi répondre. Pourtant, il y a un modèle qui s’en approche philosophiquement, sans pour cela être considéré comme un modèle parfait car à notre époque, les coopératives aussi ont tendance à privilégier le profit à tout prix. Il ne s'agit pas aujourd'hui de tout accepter ou de tout détruire, mais plutôt que se remettre dans une perspective humaine. C'est cela qui plaît aux gens, la coopérative est un modèle profondément humain.

Internet, vecteur de coopération ? A condition de ne pas oublier l'humain...

Et Internet dans tout ça ? Avec ses réseaux sociaux, ses applications de partage, la coopération facile ? N'est-ce pas là une occasion rêvée pour changer les manières de faire ?

En fait, Internet peut être un instrument très intéressant pour unir les gens, mais je ne pense pas qu'on puisse aller plus loin pour le moment. Sur ces réseaux – dont je ne suis pas un expert, c’est une lecture personnelle –, ça me semble être particulièrement émotif, un peu anarchique et difficilement structuré. Ceci étant dit, ça n’enlève pas les grandes vertus que peut avoir cet outil, entre autres celle de rallier beaucoup de gens en très peu de temps. Il faudra voir si la qualité permet aux gens d’avoir un esprit critique sur leurs sociétés. Maintenant, n'oublions pas que l'organisation coopérative exige des contacts, des dialogues, de la démocratie, elle exige un engagement pratique. Ce que n’amène pas nécessairement ce genre de technologie.

Mais certains savent l'utiliser puisamment pour diffuser de l'information. D’ailleurs, l’assemblée générale de Mountain Equipment Co-op, qui est une coopérative pancanadienne de 2 millions et demi de membres, se fait à Vancouver. C’est donc par le Web que l’on peut assister à la rencontre; les élections des administrateurs qui viennent de la base, des membres, se font par Internet. Ça, c’est un exemple très intéressant d’une façon de fonctionner et moi, ce n’est pas parce que je participe via Internet que je ne me sens pas interpellé par la coopérative. En même temps, le danger que je vois est qu’on limite – et je le vois avec mes enfants – notre contact qu’avec l’autre par l’intermédiaire de la machine. Et il n’y a rien de mieux qu’un contact direct pour les activités et l’implication. Je pense qu’il faut inventer une nouvelle forme d'équilibre entre l’utilisation de ces instruments qui sont ceux de l’avenir sans négliger la présence physique, le dialogue humain. Pour moi, le mouvement coopératif sera en mesure de trouver cet équilibre.

Ces moyens sont "nouveaux" dans l'histoire humaine, ne pensez-vous pas que l'humain s'assagira et les utilisera de façon pertinente ?

Oui mais en même temps, dans une question de jeu démocratique entre la liberté et l’égalité, ça se vit au quotidien de la vie réelle. C’est vraiment dans le vécu qu’on est capable de voir ce qu’une personne pense ou souhaite. Mais évidemment, ça reste un point de vue un peu limité, car je n’ai pas une grande spécialisation là-dedans.

L'école de la vie pour un apprentissage de l'éthique

Etes-vous favorable à l'enseignement de la philosophie à l'école ?

Oui, c’est une des clés. Actuellement, l'enseignement de la philosophie commence au niveau du collégial, ce qui est à mes yeux insuffisant. Surtout, il faut avoir en tête que l’éducation ne se limite pas à l’école. L’éducation est un processus continu, c’est un acte d’humanisation, d’élévation, de libération. Ce processus est à l'oeuvre dans toutes nos expériences et dans les relations que l'on a avec les grandes organisations. Si le gouvernement, l'école, et même les coopératives n'agissent pas de façon éthique, la société considèrera que l'éthique n'est pas importante. Jusqu'à ce qu'arrive une crise et qu'on découvre les malversations, la manière dont certains ont abusé les autres. Alors, on entendra dire qu'il "faudrait saupoudrer un peu d'éthique" dans les affaires. On entendra dire aussi "Réglons d'abord les problèmes, on parlera des valeurs après". Quand dans le fond, c’est la révolution « coopernicienne » qu’il faut faire; il faut considérer ces valeurs comme la base elle-même de la gestion et du développement de nos affaires.

Ce n'est pas la peine de vouloir changer le modèle dans lequel on vit en y ajoutant deux pincées d'éthique. Parce qu’il y aura toujours un fin renard qui sera capable de détourner l’affaire. Il y a des modèles aujourd'hui qui sont capables de créer une pression sur le modèle dominant. En fin de compte, j’ai hâte que l’économie crée de l’humain.

Merci beaucoup, André Martin.

Équipe de l'IRECUS (de gauche à droite): Claude-André Guillotte, André Martin, Carole Hébert, Michel Lafleur, Christiane Vilandré, Claude Béland et Ghislain Paradis.

Site officiel de l'IRECUS

Page expliquant le modèle coopératif de la financière Desjardins

Photo du haut : michael.heiss, Flickr, licence CC.


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