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Publié le 17 janvier 2022 Mis à jour le 02 août 2023

Intelligence protectrice : apprendre à prendre soin

Se mettre en service

Affection

« Celui qui, par quelque alchimie sait extraire de son cœur, pour les refondre ensemble, compassion, respect, besoin, patience, regret, surprise et pardon crée cet atome qu'on appelle l'amour ».

Gibran Khalil Gibran Artiste, écrivain, Peintre, Poète (1883 - 1931)

Une facilitatrice militante et engagée, Frédérique , s'installe dans la rue du village, guette les idées et les besoins, soutient les projets, nourrit les porteurs d'initiatives. Elle me dit que nos sociétés manqueraient "d'intelligence protectrice". Je connais ou j'ai entendu parler de nombreuses formes d'intelligences, collective, émotionnelle, artificielle et même de l'intelligence des lieux, mais, pas d'intelligence protectrice. Je me dis «quelle magnifique expression que voilà». Et je cherche le sens qu'il pourrait y avoir derrière ces mots porteurs d'une grande richesse d'évocation. Il est possible d'identifier des éléments de réponse  du côté de la psychologie mais également en s'appuyant sur les ancrages  sociétaux.

Une orientation de l'esprit humain

Une telle forme d'intelligence pourrait être une orientation de l'esprit humain dont le "prendre soin" serait central, peut être rejoint-elle en cela la « théorie du care » qui s’intéresse à la situation des femmes qui prennent soin des autres . Cette fonction jusqu'alors culturellement assignée aux femmes pourrait bien se répandre plus largement et transformer les relations entre tous. Le prendre soin concerne le corps, le bien être psychologique, la sûreté d'être.

C'est probablement le don, l'amour pour autrui la générosité de l'intention, l'hospitalité des idées,  l'ouverture à la nouveauté, la tolérance à la différence qui caractérisent cette intelligence protectrice. Il y a également une part d'instinct en faveur des moins protégés et une considération aux plus fragiles et à leurs situations qui nourrit cette intelligence. Contrairement à ceux qui croient à la seule loi du plus fort, l'humanité est par nature empathique. Sans empathie le petit humain mourrait en quelques heures. Les premiers signes de culture relevés chez l’humain ne sont ni la pierre polie, ni l’invention du feu c’est l’intervention envers son prochain pour le soigner d’une jambe ou d’une côte cassée. Cette empathie nous est consubstantielle. L’intelligence protectrice est-elle une forme d’empathie ?

C'est peut-être du côté de la psychologie positive qu'il est envisageable de trouver des fondements théoriques de cette forme d'intelligence. Il est alors possible de convoquer l'idée de cultiver un «état d'esprit de développement» avec Carol Dweck. Cet état d’esprit s’oppose à un état d’esprit fixiste qui reste ancré dans une vision de la réalité sans changement ni variation.

Il est heureux de découvrir le pouvoir de guérison de la gratitude de Rebecca Shankland, cette gratitude qui nourrit des sentiments positifs chez celui qui la donne et celui qui la reçoit. Il est important de comprendre avec Mathieu Ricard la puissance de la compassion  et celle de l'altruisme, tellement elle alimente le bonheur de chaque jour ou bien encore de mener des enquêtes appréciatives à la façon de David Cooperider et Ron Fry.

Ces enquêtes consistent à comprendre les petites choses qui vont bien quand tout semble aller mal autour, puis de faire grandir ces signaux faibles, comme autant de brins de résilience. Chacune de ces approches à sa façon cherche le plus haut potentiel en l’autre, plutôt que de le noter, le quantifier, le mesurer, le jauger ou le classer en «premier de cordée». L’intelligence protectrice serait une intelligence du non-jugement, de l’accueil inconditionnel de l’autre. C’est une piste à suivre pour construire la résilience sociale d’une société fragmentée, coupée de la nature, divisée en communautés étroites, de plus en plus aveugle aux maux qui ravagent la planète.

Je vois cette intelligence comme une « intelligence sociétale » qui produit de la résilience à un vivre ensemble mal en point. Elle se situerait sur les territoires les plus excentrés, avec beaucoup de pragmatisme et loin des discours généraux qui font perdre leur force aux mots. Elle  s’efforce de redonner ses lettres de noblesse aux pratiques de la mutualisation qui consistent à mettre en commun ce qu’un seul peinerait à réunir pour accomplir quelque chose de plus grand que lui.

C’est l'héritage de la Résistance de cette conscience aigüe qu’il s’agit de lutter contre quelque chose d’abject, d’insidieux qui se glisse plus que sur nos territoires, mais, au cœur de nos esprits et de nos manière de penser le monde. C’est une ode à la liberté dont les solidarités du quotidien sont les vers les plus puissants. Dans sa forme politique c’est une redécouverte de la social-démocratie, que les gestionnaires se sont efforcés de détricoter avec conscience, expliquant politique publique après politique publique que le coût est insupportable. La social-démocratie est une piste à redécouvrir et à préserver sans cesse.

L’intelligence protectrice nous renvoie à la protection de soi-même contre la perte de sens que d’aucuns alimentent dans des visées idéologiques identitaires ou partisanes, à la protection des autres (pensons d’abord aux « premières de corvées »), à la protection de  notre famille, de nos amis, de nos voisins, de nos collègues, mais aussi la masse des inconnus qui font tourner la machine sociale et économique, que l’on croise parfois sans plus oser les regarder ou leur parler et enfin à la protection de la nature dont nous sommes et qui nous abrite.

Une conscience globale

Cette intelligence protectrice enfanterait une conscience globale. Elle nous rappellerait opportunément que nous ne sommes pas mentalement isolés mais «immergés dans un champ mental humain global de" force" et de" cohérence"» (Nelson 2020). Nous le savons intuitivement quand des milliards de personnes ressentent des émotions au regard d’un événement retransmis largement sur écran (jeux olympiques, catastrophes naturelles, nouvel an, etc.). Cette intelligence protectrice se connecte à plus grand que soi parce qu’elle est tournée vers les autres et le monde. En cela elle nous connecte et nous rend plus vivant. Elle cherche les moyens de soulager et d’aider, de construire des temps et des espaces favorables faits de liens, de solutions négociées, de dialogues constructifs.

Des raisons d'apprendre

Cette forme d’intelligence nous interpelle dans les buts mêmes du savoir. À quoi sert-il de savoir quand ce savoir ne permet pas de vivre mieux ensemble, d’infléchir le destin des plus fragiles ou tout du moins de les soulager ? Le but de la formation est-il seulement d’en connaître toujours plus pour évoluer dans sa carrière ou d’agir concrètement sur le monde ? Et si le changement de finalité du savoir plaçait l’action pour la société et sa résilience simultanément comme finalité, moyen et contenu ?

Dans ce cas l’intelligence protectrice serait un incroyable atout. La finalité de l’intervention sociale et de la formation professionnelle devraient désormais être repensées au-delà de la «promotion sociale par le travail», ou de la pitié pour autrui mais dans un but de construction d’alternatives du quotidien qui, mises bout à bout, esquissent le monde de demain. C’est ce que je trouve extraordinaire dans l’initiative minuscule, au regard d’immenses besoins, mais si utile localement de Frédérique et son association Pôle en Pomme dont les pépins essaiment et portent de la joie, de l’activité économique et du lien social dans un territoire laissé à lui-même.

Sources

Nelson, R. (2020). Tous connectés - L'émergence d'une conscience mondiale. Massot éditions
https://www.decitre.fr/livres/tous-connectes-9782290261606.html

Institut Français d'appreciative inquiry https://www.ifai-appreciativeinquiry.com/ 

Shankland, R., & André, C. (2017). Gratitude et bien-être social: mécanismes explicatifs des effets de la gratitude sur le bien-être individuel et collectif. Revue québécoise de psychologie, 38(2), 43-64. https://id.erudit.org/iderudit/1040770ar 

Poles en pomme https://polesenpomme.wixsite.com/polesenpomme/qui-sommes-nous  

Psychologies. Le temps de l'altruisme est arrivée https://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Relationnel/Articles-et-Dossiers/Matthieu-Ricard-Le-temps-de-l-altruisme-est-arrive 

France Culture. Le care : d’une théorie sexiste à un concept politique et féministe https:/ www.franceculture.fr/societe/le-care-dune-theorie-sexiste-a-un-concept-politique-et-feministe#  

Intelligence des lieux 1 / 2 https://www.youtube.com/watch?v=4BRAabJgXMY&list=PLHu_bK2gNpzA810aWmtjlLlvetFlrOr9I 

Intelligence des lieux 2 /2 https://www.youtube.com/watch?v=wuJIbFcjJvg&list=PLHu_bK2gNpzA810aWmtjlLlvetFlrOr9I&index=2   

Terra Femina Premières de corvées https://www.terrafemina.com/article/droits-des-femmes-les-premieres-de-corvee-ont-defile-par-milliers-dans-les-rues_a357348/1  


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