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Publié le 12 janvier 2022 Mis à jour le 12 janvier 2022

Réintroduire l'homme dans sa nature

Quand l'humanité participe du flux vivant sans le dominer

Immensité

Appartenir plutôt que posséder

Parfois des humains se trouvent chassés par la nature comme dans le cas des réfugiés climatiques dépouillés de leurs sols par une montée des eaux. Mais, le sentiment qui dominerait actuellement est celui d’un rééquilibrage dans nos rapports à la nature, accéléré par le dérèglement climatique, et l’abandon des rues des villes lors des confinements sanitaires.

La marque de vêtement « Aigle » a touché les esprits en prétendant «réintroduire l’homme dans la nature», comme s’il s’agissait d’un territoire étranger à conquérir. Le slogan évoque une perte qu’il s’agirait de combler. Il joue des ressorts et des imaginaires d’un Jack London (L’appel de la forêt), d’un Tarzan ou d’un Robinson Crusoé confrontés à la sauvagerie des grands espaces.

Au-delà de la littérature, les religions qui soutiennent nos imaginaires disposent de rapports différents à la nature. La religion catholique a arraché Adam et Ève du jardin d’Éden, faisant de la domination du monde un objectif jusqu’à ce que récemment, le pape François dans une encyclique  « Sur la sauvegarde de la maison commune » ne corrige l’intention couramment admise de supériorité de l’homme sur la nature pour alerter à sa nécessaire sauvegarde, s’appuyant opportunément sur la tradition de Saint François d’Assise.

D’autres religions ont des points de vue diamétralement opposés. Par exemple, Philippe Descola associe homme et nature, dans le cas du totémisme des Aborigènes d’Australie. Pour eux « humains et non-humains possèdent une «ressemblance des intériorités».

Plutôt que de prétendre offrir un nouveau territoire, un de plus, aux humains, en les réintroduisant dans la nature, c’est peut-être en recomposant la manière de concevoir l’appartenance à un même flux d’interaction à toutes choses vivantes et en affirmant que la relation est primordiale sur les éléments que l’homme jouira d’une nature plus sereine. Plus sereine car faite de moins de volonté de se saisir du monde et plus d’attention aux liens entre les hommes et le reste de tout ce qui vit. 

Quand l’individu est extérieur à sa nature

Tout être vivant est un centre d'expérience, un corps interprétant ajusté à un milieu, constellé de significations spécifiques, à son espèce et à son processus d'individuation. Humains, animaux,  insectes découpent du sens dans l'environnement qui les entoure en fonction des perceptions et des affects dont ils sont capables et selon les liaisons chimiques, biologiques, psychiques ou culturelles que leur corps et leurs cerveaux rendent possibles.

Dans cette perspective, Il n'y a pas de vie et de socialité en dehors de possibilités biologiques spécifiques ni de forme biologique qui n'ait été façonnée par son environnement. L’être vivant est en butte à son environnement, en lutte pour s’y adapter et subir ou contrôler.

Ce raisonnement sépare l'individu de sa nature qui est  changeante et en interaction. L'individu est ici appréhendé comme un état extérieur à l’environnement alors même qu’il est systématiquement en devenir. Dès lors, toute approche ou recherche scientifique sur un individu qui délaisse le mouvement et la dynamique changeante des êtres est vouée à être une grossière approximation.

L’homme dans sa nature

La séparation d'un individu de ce qui l'entoure est une abstraction humaine qui ampute du sens mais également qui détruit du sentiment d’appartenance à la nature. Il conduit par exemple à voir un arbre comme un assemblage de feuilles, de tiges et de racines alors que le principe fondamental de l'arbre est d'être avant tout un cycle lié aux saisons et aux multiples soubresauts du vivant. Par le processus de la photosynthèse, l'énergie de la feuille est dans l'arbre. Quand celle-ci tombe au sol elle nourrit l'arbre qui crée de nouvelles feuilles. Une vision statique du monde consiste à décomposer l’arbre en éléments puis à chercher ensuite à les assembler quand bien même le principe vital de l'arbre est d'abord et avant tout fait de relations avec le sol, l’air, la lumière et ce dans une temporalité donnée. Même lorsque l’arbre est décortiqué selon ses fonctions, les liens entre ces dernières sont amputés. 

La limite du découpage

Cette idée de découpage procède de la même différence entre une photographie et un film. La première donne un angle de vue instantané, partial, dépendant du photographe; le second enrichit la partialité en intégrant le temps et ses effets. Il y a toujours la partialité de l’angle de vue de celui qui tourne le film, mais le défilement d'images donne à voir un processus en dynamique, plus riche. Il en est exactement de même pour un être humain, composé de liens et de transformations permanentes.

Un être humain est relation de gènes et de mêmes (équivalent culturels pour les gènes ) avec le milieu qu'il génère tout autant qu'il est généré par lui. Retirer une dimension de l’être humain pour la disséquer permet d’obtenir des résultats précisément faux. Précis parce que l’observation minutieuse à un instant T et sur un tout petit nombre de variables apprend une facette de la situation, faux puisque la caractéristique d’un être humain est d’être entièrement fait de liens.

Conséquence du découpage homme/nature

Dans la vision qui découpe, sépare, analyse, la simplification extrême conduit à une instrumentalisation du vivant et à des démonstrations raisonnables mais tronquées. Le vivant est alors comme dans les anciennes muséographies du XIXème siècle, mis sous formol, étiqueté et finalement voué à être une espèce disparue que le visiteur peut contempler dans la grande galerie de l'évolution. En effet, pas plutôt décrit, l’état observé d’un individu s’est déjà modifié et n’existe plus car l’humain est non seulement lien mais aussi contexte, temps et lieu.

Dans la vision d'un processus en flux, le vivant est partout et l'observateur est bien en peine de le mettre à distance. Dans le même temps qu'il observe, il transforme le sens de ce qu'il voit. La séparation dispose donc d’une fonction de simplification pour comprendre et agir sur le monde pendant que l'acceptation d'être partie prenante du flux intensifie le sens de notre existence. Les conséquences de la séparation peuvent être dommageables. Par exemple, une équipe médicale sera composée d’un spécialiste de l’oncologie, un autre du cœur et le troisième du rein, l’ensemble sous la férule d’un médecin coordonnateur. Chaque spécialiste de l’organe suivi peut se déclarer satisfait quand bien même, la maladie est présente dans tous les interstices et le mal ne cesse de ronger le malade. Relier consomme une énergie considérable.

Un monde de liens

On se souvient de l’œuvre d’Henry David Thoreau (1854) et de son retour à la nature dans « Walden ». L’expérience de vivre d’autres valeurs dans une cabane perdue demeure. Les apprentissages se produisent par une raréfaction de liens sociaux. C’est leur manque qui donne toute sa force à l’expérience. C’est aussi l’explosion des possibilités de se lier, notamment en ligne qui exacerbe la question.

Actuellement ce qui est rediscuté ce sont les façons de se lier au monde. Des pistes sont explorées comme avec l’écobiographie  qui vise à poser un diagnostic sur son appartenance relationnelle à la terre, ou avec le nunchi, cette pratique coréenne sublimant l’intuition qui se centre sur les moindre détails d’un espace pour en sentir l’ambiance par les relations des personnes déjà présentes et les liens avec tous les éléments du «décor» et, bien entendu, avec les réseaux sociaux et internet capables de porter des références sur toutes les situations. 

Si l’on pose l’idée qu’apprendre est opérer des liens de compréhension de soi au monde, il est possible d’envisager que la vague de considération pour le vivant ouvre des perspectives nous faisant évoluer d’une autoformation à une socioformation pour aboutir à une écoformation.


Sources 

Reporterre Ecobiographie pour redécouvrir son appartenance relationnelle à la terre
https://reporterre.net/L-ecobiographie-pour-redecouvrir-son-appartenance-relationnelle-a-la-Terre
 

Psychologie. J’ai testé le nunchi pour améliorer mes relations
https://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Relationnel/Articles-et-Dossiers/J-ai-teste-le-nunchi-pour-ameliorer-mes-relations 

Le Dauphiné. Qu’est ce que le wood, wide web, le réseau mondial des arbres ?
https://www.ledauphine.com/environnement/2021/12/04/qu-est-ce-que-le-wood-wide-web-le-reseau-mondial-des-arbres 

Agrobiosciences. Pour la réintroduction de l’homme dans la nature
https://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/homme_nature_reintroduction_etudiant.pdf   

Aigle https://www.aigle.com/fr/fr  

Notre fumier. Dawkins : les gènes et les mèmes -  https://www.notrefumier.fr/dawkins-les-genes-et-les-memes/  

Sur la sauvegarde de la maison commune - Encyclique pape François 
https://planeteviable.org/wp-content/uploads/2015/11/Encyclique-Pape-Francois.pdf
 


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