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Publié le 07 décembre 2021 Mis à jour le 07 décembre 2021

Linguistique de l’île flottante [Thèse]

Étude de l’émergence et la dérive des termes de la gastronomie française

Une 'île flottante avec palmiers, oiseaux et vagues dans un océan de crème anglaise

Un livre de cuisine, ce n’est pas un livre de dépenses, mais un livre de recettes.

Sacha Guitry – Artiste (1885-1957)

De l’île flottante aux mendiants, de l’amuse-bouche au bain-marie, du cul de poule aux pets-de-nonne, la gastronomie française regorge de termes, aux analogies quelques fois très imagées, invitant les rêveurs en pleine digestion à entrevoir des paysages, des sensations ou encore des personnages. Derrières ces termes quelques fois comiques pouvant faire sourire les enfants et saliver les gourmands se cache en réalité un monde passionnant pour le linguiste un peu curieux.

 En effet, d’où viennent ces termes ? Comment se forment-ils ? Est-ce que ces rapprochements sont motivés ou le simple fruit du hasard ? Que pouvons-nous en apprendre sur la cuisine française ?

C’est ce que se propose d’explorer Philip Igho Qgadagba dans sa thèse de master intitulée « La passivité de la dynamique motivationnelle dans la formation des vocabulaires gastronomiques français ».

Entrée

La mise en bouche de ce travail nous fait découvrir l’émergence, l’évolution et les dérives de la gastronomique française et de son lexique.

Cette thématique permet à l’auteur de nous initier à de nombreux concepts linguistiques comme les différentes motivations des termes gastronomiques à la fois amusantes et peu connues des non-initiés.

Philip Igho Qgadagba par son style soutenu et imagé rend le manuscrit agréable à lire du début jusqu’à la fin.

Forêt Noire

« La cuisine et la gastronomie font partie intégrante de la vie socioculturelle d’un peuple, peu importe le contexte spatio-temporel où il habite. Depuis le Moyen-Âge jusqu’aujourd’hui, la gastronomie française a acquis une notoriété internationale, et est devenue ipso facto une spécificité culturelle. Cette gastronomie a tellement évolué avec les changements sociaux, économiques et politiques qu’elle se révèle sinon unique, du moins créative, et se classe parmi les plus riches et les plus prestigieuses du monde.
Si chaque pays dispose de ses particularités culinaires, qui manifestent son identité intrinsèque, il n’en va pas autrement chez les Français, lesquels vouent un culte aux plats et à la cuisine. C’est une évidence qu’en France, manger reste un rituel du bonheur, et que, de surcroît, tout se fait autour d’une table. Les moments solennels se passent souvent autour des repas et l’abondance des plats fait écho à l’envergure de l’événement. Le plaisir de manger, il n’est point besoin de le rappeler, accompagne les repas et les hôtes. Cette singularité non encore démentie s’assortit de certaines règles de savoir-vivre, que l’on appelle le service à la française.
Les grands chefs français rivalisent de créativité culinaire reconnue régionalement, nationalement et internationalement. La prééminence culinaire française explique pourquoi le comité intergouvernemental de l’UNESCO a nommé le 16 novembre 2006 la gastronomie de la France le patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Comme les faits et gestes des êtres humains s’accompagnent toujours de la création de nouveaux vocabulaires susceptibles de les nommer et d’en déterminer les contours, la gastronomie française ne fait pas figure d’exception. En effet, autant cette gastronomie évoluait dans l’espace et dans le temps, autant sa terminologie — tributaire des emprunts étrangers, des effets de l’évolution des techniques et des styles, des influences religieuses, politiques, culturelles, artistiques, sociales et économiques — se formait, se raffinait, se ramifiait et se remaniait. Ces nouveaux vocabulaires sont bientôt devenus la préoccupation majeure des linguistes et des terminologues qui en étudient la construction morphologique et sémantique.
Motivés par des raisons socioculturelles et historiques, ces linguistes et terminologues cherchent des voies et moyens pour rapprocher les signifiants et les référents. Appelé motivation dans la formation des mots, ce rapprochement se fait à l’aide des éléments existants, historiques ou modernes. Pour réussir leur pari, ces experts s’inspirent de la motivation étymologique et de la motivation empruntée aux langues savantes ou étrangères. En ce qui concerne notamment la formation de nouveaux vocabulaires, ils recourent à la motivation graphique, phonique, symbolique et sémantique (dénotative et connotative).
Par ailleurs, force est de remarquer que la dynamique motivationnelle dans la formation des termes culinaires français n’observe guère une trajectoire monolithique. Alors que dans certains cas, elle se révèle patente, dans d’autres cette dynamique demeure passive. Ce travail se consacre à ce dernier aspect, à savoir la passivité de la dynamique motivationnelle dans la formation de ces vocabulaires gastronomiques. »

Bifteck œuf à cheval

Par ce travail de linguiste, Philip Igho Qgadagba, nous fait découvrir les mécanismes de l’émergence et dérive des termes de la gastronomie française. Les recherches de l’auteur font apparaître un fil conducteur reliant la cuisine française contemporaine à la cuisine gallo-romaine s’enrichissant au cours du Moyen-Âge, de la Renaissance et de l’époque moderne. Les termes gastronomiques ont évolué au cours du temps suivant des principes étymologiques, phoniques, graphiques, sémantiques et culturels.

L’un des résultats de l’analyse morphosémantique semble montrer que l’émergence et l’évolution des termes gastronomiques sont des vestiges d’événements sociaux. Ces termes émergent dans la spécificité de la culture, de la mode, des références, ou encore de la sensibilité d’une région, d’un terroir pour ensuite s’intégrer sur le plan national. L’auteur met ainsi le doigt sur un paradoxe : l’homogénéité à l’échelle nationale de la gastronomie française se nourrit de son hétérogénéité régionale.

La cerise sur le gâteau

Le travail de Philip Igho Qgadagba est un sésame pour comprendre et expliquer les usages sociolinguistiques et pragmatiques en France relatifs aux termes gastronomiques pour les francophones et les francophiles. L’auteur nous invite à nous interroger sur ces mots du quotidien et quelques fois dorés d’Étoiles Michelin qui jonchent nos menus et farcissent nos estomacs. De l’éclair au chocolat au chou à la crème, de la cervelle de canut au homard thermidor, nos appétits et nos esprits n’ont pas fini d’être rassasiés.

Et vous alors, qu’elles sont vos analogies gastronomiques préférées ?

Bonne lecture!

Thèse de master présentée et soutenue le 18 février 2013. Travail réalisé dans le cadre du master d’art en Français de l’université de Regina (Université de Regina) (Regina - Canada).

Sources

Thèse

Philip Igho Agadagba. La passivité de la dynamique motivationnelle dans la formation des vocabulaires gastronomiques français. Sciences de l’information et de la communication. University of Regina, 2014. Français. ⟨tel-01306842⟩

Liens

Page : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01306842
PDF : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01306842/document


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