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Publié le 06 octobre 2021 Mis à jour le 15 octobre 2021

Langage spectaculaire et injonctions du quotidien [Thèse]

Comment nous vivons les écrits ponctuant notre quotidien

Scène de théâtre sur laquelle une marionnette d'un adolescent est manipulée par un nuage de mots en forme de flèche

« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. »

Guy Debord, Écrivain (1931-1994)

Notre environnement du quotidien regorge de messages, de slogans, d’incitations ou d’affirmations. Nous nous retrouvons noyés de messages écrits dans les transports, sur les murs, sur nos écrans et quelques fois sur nous-mêmes. De la publicité à la novlangue, du «nudge» à la propagande, notre conscience et inconscience flirtent ou jonglent avec des mots finement choisis. Cet océan d’injonctions verbales spectaculaires nous invite à nous comporter ou encore à consommer de telle ou telle manière.

Le spectaculaire fait référence à l’essai de Guy Debord « La Société du spectacle ». Debord critique l’aliénation de la société de consommation, des marchandises et leur domination sur la vie des individus. Il propose alors le concept de spectacle, stade ultime du capitalisme, idéologie économique, légitimant l’universalité d’une vision unique de la vie qui s’impose à tous par le biais de manifestations audiovisuelles, bureaucratiques, politiques et économiques.

Le spectacle est essentiel au maintien de la reproduction du pouvoir et de l’aliénation des individus, ce que l’auteur évoque comme « la perte du vivant de la vie ». Il s’agit donc d’un appareil de propagande du capital sur les vies, mais aussi un rapport social entre des personnes médiatisées par des images. Qu’il soit information, propagande ou encore publicité, le spectacle est un modèle socialement dominant de ce que doit être la vie.

Mais alors, comment comprendre ces mots responsables de biens de maux et de frustrations chez les sujets ? De quoi sont-ils fait ? Comment s’organisent-ils ? C’est ce que se propose de nous faire comprendre la linguiste Isabelle Morillon dans sa thèse intitulée « Les Mots et l’esprit : vers une étude linguistique et critique du langage spectaculaire ».

Pourquoi lire cette thèse  

Le sujet de cette thèse fait partie de notre quotidien. L’exploration proposée par l’auteure nous permet de découvrir l’envers du langage spectaculaire nous rendant ainsi peut-être un peu moins naïfs à ce dernier.

En décalage avec les possibles stéréotypes liés à cette discipline, ce travail de recherche nous invite à adopter le point de vue d’un linguiste sur notre quotidien. Les observations de l’auteure ainsi que ses discussions sont transposables au vécu du lecteur qui pourra alors confronter sa propre expérience aux analyses proposées.

Cette exploration de la thématique se fait avec un style à la fois élégant et informel captivant notre intérêt de page en page. Cette thèse permet de faire le point sur différents concepts comme la novlangue, la langue de bois ou encore le langage totalitaire. Le texte est accessible et permet à tout lecteur de comprendre l’ensemble des théories, commentaires, critiques ainsi que la méthode de l’auteure.

Une enseigne à bière

« Tout a commencé le jour où nous avons lu que l’ascenseur était en panne. Pas exactement, en réalité, car d’autres messages nous avaient tout d’abord interpellée. “Affamé ?”, nous demandait-on. Notre bière préférée était née unique. Nous en avions pourtant acheté plusieurs afin de “libérer notre créativité” et “oser la liberté” (sic !).

Dans la rue, sur les écrans, sur les pages des magazines, les formules en grosses lettres s’accumulaient, nous entouraient, jusque sur le sac à provisions où reposaient nos bières nées distinctes. Est-ce en tant que linguiste que nous fûmes frappée de curiosité ou en tant que locutrice ordinaire ? Quoi qu’il en fût, la question des messages écrits dans l’environnement quotidien s’imposait comme objet de recherche. La banalité du phénomène se heurtait à la richesse des questions que celui-ci nous inspirait.

Prêt-à- penser, formatage des esprits, conditionnement, langue de bois… Les mots-clefs fusaient nous laissant désemparée face à cet objet inconnu pourtant si proche et dont il allait falloir dessiner les contours. Slogans ? Figement ? Novlangue ? Ne s’agit-il pas de simple langage publicitaire ? Tous les objets ont droit à une seconde vie.

Si le lien entre langage et libre arbitre était un objet dont le cycle avait pris fin avec le renversement des dictatures, alors, dans la société occidentale contemporaine, la “langue qui poétise et pense à ta place” datait d’un autre âge. Pouvait-on lui redonner une seconde vie à l’époque actuelle, dans le contexte de la France contemporaine ? C’est l’une des questions que nous nous proposons de traiter dans le cadre de cette thèse intitulée Les mots et l’esprit : étude linguistique et critique du langage spectaculaire. »

Découvrir le pot aux roses

Isabelle Morillon accumule par son travail et son analyse de nombreux résultats. L’un des plus intrigants est relatif à la nature des messages écrits du quotidien. Selon l’auteure, ces messages auxquels nous sommes exposés sont un simulacre de parole. Cette notion de parole semble permettre d’exprimer ce qui fait de la novlangue, de la langue de bois et des messages écrits auxquels nous sommes exposés quotidiennement, un langage verbal sans paroles, c’est-à-dire un anti-langage.

L’auteure choisit alors le terme de langage spectaculaire qu’elle définit comme un simulacre de langage où les mots sont bien là, mais sous la forme d’un assemblage au mode de diffusion extraordinaire. La novlangue, la langue de bois, et les messages écrits du quotidien, constituant ce langage spectaculaire, correspondent tous à une manifestation de l’omniprésence de certaines formes et de certains contenus idéologiques.

2084?

Isabelle Morillon, par ses travaux, met en lien direct la novlangue contemporaine aux tentatives de langage totalitaire passées et conclut en nous rappelant « que la volonté de transformer l’humanité n’a jamais cessé de nourrir les ambitions des savants, ambitions qu’accompagne souvent, si ce n’est toujours, la volonté de transformer le langage humain. »

Et vous alors ? Comment subissez-vous le langage spectaculaire ?

Bonne lecture!

Thèse présentée et soutenue le 5 mars 2021. Travail préparé à l’université de Bourgogne au sein de l’école doctorale Lettres, Communication, Langues, Arts (LECLA) : ED 592 (Université Bourgogne Franche-Comté) (Dijon).

Sources

Thèse

Isabelle Morillon. Les mots et l’esprit : vers une étude linguistique et critique du langage spectaculaire. Linguistique. Université Bourgogne Franche-Comté, 2021. Français. ⟨NNT : 2021UBFCH003⟩. ⟨tel-03231994⟩

Liens

Page : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03231994

PDF : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03231994/document


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