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Publié le 22 septembre 2021 Mis à jour le 22 septembre 2021

Influencer son propre avenir : l’agentivité individuelle ou collective pour apprendre

Agentivité, individuelle ou collective, peu importe pourvu que l'apprentissage soit fluide

Discussion

L’agentivité humaine

L’agentivité se décrit comme la « capacité humaine à peser sur son propre avenir ».

C’est en quelque sorte la force motrice interne qui préside à la destinée de chacun. Le mot est un néologisme formé à partir de l’anglais « agency » utilisé dans des théories sociologiques (Giddens, 1984), ou psychologiques (Bandura 2007), neuropsychologie (Frith, 2014), dans celle du développement social (Samman & Santos, 2009), et aussi en éducation (Carré, 2005).

Pour Morin, Therriault et Bader, l’agentivité dispose de plusieurs composantes :

  • La capacité à poser une action, à rendre celle-ci faisable, à être soutenu par un contexte favorable,
  • La possibilité effective de faire des choix parmi plusieurs possibilités,
  • Le passage à l’action,
  • Le contrôle direct et de pouvoir efficace sur cette action permettant d’atteindre des buts fixés, en lien avec des contraintes telles que les choix des autres et les ressources disponibles,
  • La réflexivité d’un agent sur sa propre action,
  • Le sentiment d’efficacité personnelle essentiel pour se sentir responsable de ses actions.

L’agentivité humaine se décline selon qu’elle est individuelle ou collective. L’agentivité collective est une des conditions pour apprendre ensemble à distance.

L’agentivité individuelle

Sen (2010), définit l’agentivité, comme l’habileté d’un individu à agir en fonction de ce qu’il considère comme valable.

L’agentivité individuelle est aussi utilisée par le psychologue Albert Bandura. Pour lui, les individus ne se contentent pas de réagir à des situations mais ils sont actifs et vont au-devant des événements qu’ils provoquent. Ce faisant, ils influencent par eux-mêmes leur comportement futur et les événements qu’ils vivent.

L’agentivité proposée par Bandura est selon Carré  celle d’un « sujet social comme un agent proactif, capable d’auto-organisation, d’autoréflexion et d’autorégulation et non plus façonné par des influences environnementales, sociologiques ou inconscientes qui le dépasseraient ».

L’agentivité est liée à une « puissance d’agir », allant plus loin qu’une réaction aux situations, un conditionnement ou l’effet de structures sociales ou physiques en place. L’agentivité se produit par procuration lorsqu’un tiers est mobilisé pour l’atteinte de ses propres fins.

Bandura distingue également une agentivité collective, celle d’un ensemble d’individus. 

L’agentivité collective

L’agentivité collective se définit comme la « capacité des individus à travailler de concert pour améliorer une situation ».

Elle requiert donc coopération et effort de groupe. Le point de départ est le partage des intentions, puis des connaissances, des habiletés et des ressources. Une entité peut en effet être un agent collectif selon la théorie de List et Pettit (2011), mais sous 3 conditions :

  1. que cette entité ait des états représentationnels à propos de son environnement ; qu'elle enait une idée claire;
  2. qu’elle ait des états motivationnels à propos de comment son environnement devrait être ; 
  3. qu’elle ait la capacité de traiter ses états représentationnels et motivationnels de manière à intervenir dans son environnement lorsque les premiers ne sont pas conformes aux derniers.

Pour Coté-Boudreau,  « ce sont les attitudes individuelles (formulées à propos de leur groupe) qui déterminent les attitudes du groupe. Ce phénomène s’appelle la survenance (supervenience) et permet de rendre compte de la relation entre les deux différents niveaux, celui des individus et celui du groupe ». L’agentivité collective est ici un sous-produit des attitudes individuelles.

L‘agentivité collective opère en lien avec des activités spécifiques. Dans les organisations, elle participe des transformations et surtout des innovations à l’œuvre. C’est pourquoi Engeström et Sannino la qualifie «d’agentivité transformatrice». 

L’agentivité est dite conjointe quand elle mobilise la dimension subjective de la socialité humaine. La recherche interdisciplinaire menée pour l’ANR montre dans ce cas plusieurs résultats :

  1. Une diminution significative du sentiment de contrôle (autoévaluation) en lien avec la diminution de la fluidité de l’action individuelle; 
  2. Une tendance à la diminution du sentiment d’agentivité conjointe lorsque la fluidité de l’action coopérative est également diminuée; 
  3. La présence d'un sentiment de contrôle partagé lorsque les participants sont dans un contexte d’action conjointe

La fluidité renvoie à l’idée d’un écoulement facile de l’action dans toutes les dimensions corporelles psychologiques, affectives, cognitives qui caractérisent l’être humain. La question est alors de garantir cette fluidité.

L’agentivité pour apprendre ensemble

Pour apprendre ensemble, l’agentivité suppose un sentiment d’auto-efficacité qui fait que l’individu ou le collectif anticipe un résultat positif au regard des résultats attendus. L’individu ou le collectif doivent croire dans leur réussite et pour cela ont besoin d’un contrôle sur leurs initiatives d’apprentissage.

Pour Nagels (2009)   « Un individu capable d’agir dispose d’un fort contrôle sur son écosystème d’apprentissage». C’est une des conditions pour qu’il s’engage corporellement, affectivement et cognitivement dans l’apprentissage.

L’agentivité humaine est un moteur essentiel pour agir et apprendre ensemble à distance, l’observation spécifique des situations d’apprentissages à distance montre que selon que l’environnement est imposé, choisi ou construit, l’individu exerce son agentivité avec plus ou moins de facilité : son autodétermination, son autorégulation réactive ou son autorégulation proactive sont plus ou moins sollicitée.

L’apprenant compose en quelque sorte sa propre ingénierie de son environnement d’apprentissage en fonction des conditions qui lui sont faites où qu’il modifie. Construire son environnement personnel d’apprentissage est un moment d’exercice ou de renoncement de sa volonté et de ses possibilités. La rencontre d’un individu et de ses dispositions à apprendre avec un dispositif est alors une négociation de pouvoir et de vouloir apprendre.


Sources 

Carré Philippe, « Bandura : une psychologie pour le XXIe siècle ? », Savoirs, 2004/5 (Hors série), p. 9-50. DOI : 10.3917/savo.hs01.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-savoirs-2004-5-page-9.htm 

Annie Jézégou. L'agentivité humaine: un moteur essentiel pour l'élaboration d'un environnement personnel d'apprentissage. STICEF (Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Éducation et la Formation), ATIEF, 2014, 21. 

Nagels, M. (2009) Accroitre l’auto-efficacité collective en formation infirmière. Quand l’analyse du travail devient une expérience sociale Recherches et Pratiques en Didactique Professionnelle – Premier Colloque International « L’Expérience » RPDP, Eduter et AgroSup Dijon – 2, 3 et 4 décembre 2009 à Dijon https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01864542/document 

Engeström, Y.Sannino, A. (2013). La volition et l’agentivité transformatrice: perspective théorique de l’activité. Revue international du CRIRES: innover dans la tradition de Vygotsky. https://helda.helsinki.fi/bitstream/handle/10138/232696/7_1_14_1_10_20130504_1_.pdf?sequence=1 

Engeström, Y. et Sannino, A. (2010). Studies of expansive learning: Foundations, findings and future challenges. Educational Research Review, 5(1), 1-24.

Morin, É., Therriault, G., & Bader, B. (2019). Le développement du pouvoir agir, l’agentivité et le sentiment d’efficacité personnelle des jeunes face aux problématiques sociales et environnementales: apports conceptuels pour un agir ensemble. Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, (51). https://journals.openedition.org/edso/5821  

Frith, C. D. (2014). Neuropsychologia Action, agency and responsibility. Neuropsychologia, 55, 137-142.

Giddens, A. (1984). The constitution of society : Outline of the theory of structuration, Cambridge: Polity Press.

Samman, E. & Santos, M. E. (2009). Agency and Empowerment : A review of concepts, indicators and empirical evidence. Oxford : (n. é.). https://www.ophi.org.uk/wp-content/uploads/OPHI-RP10a.pdf 

Sen, A. K. (2010). L’idée de justice (traduit par P. Chemla). Paris : Flammarion.
https://www.decitre.fr/ebooks/l-idee-de-justice-9782081392373_9782081392373_1.html

Côté-Boudreau, F. (2013) « Les peuples en tant qu’agents : l'agentivité collective de List et Pettit appliquée aux nations », Ithaque, 12, p. 53-75. URL : http://www.revueithaque.org/fichiers/Ithaque12/Cote_Boudreau.pdf   


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