Les plateformes de visioconférence occupaient une place bien faible en formation à distance avant 2020. Mais elles ont secoué durablement nos modèles pédagogiques. Retour de bâton : le quasi-monopole de la visio a aussi créé une lassitude, opportunément mise en avant par les entreprises spécialisées en formation. De cette lassitude peuvent sans doute émerger un retour aux fondamentaux de la pédagogie, et des innovations qui viennent réenchanter les apprentissages.
C’est en tout cas ce que les exposants du salon eLearningExpo des 8, 9 et 10 septembre 2021 à Paris ont voulu montrer.
Réapprendre à raconter des histoires et à jouer
La narration, pour apporter de l’émotion
Vincent Bourdin de Nell et Associés nous a rappelé bien à propos les bénéfices de la ludification. Avec humour et en s’appuyant sur une expérience pas toujours heureuse de la visio, il n’a pas eu de difficulté à caricaturer le vécu du formateur et de l’apprenant en visio. Caméras éteintes, attention peu soutenue, stress lié à la technique… Nous avons tous connu des anecdotes souvent amusantes ou parfois désastreuses.
Pour réenchanter les formations, il nous propose de retrouver le plaisir des histoires et de la narration. En guise de démonstration, il nous a présenté deux fois la même histoire. La première, à l’oral, en restant froid, factuel, précis et chiffré. Pour la seconde version, il a diffusé une vidéo portée par de l’émotion, une vision subjective, une alternance de points de vue différents, des infographies claires et un vocabulaire abordable. L’histoire racontait la remontée historique de Floria Gueï, qui a commencé un relais 4 x 100 mètres avec un retard de plus de dix mètres, et qui est parvenue à gagner un championnat d’Europe en faisant la course parfaite.
Les ingrédients de la narration sont là : il y a de l’émotion, du suspense, un saupoudrage de connaissances, des témoignages et des changements de focale. Des techniques vieilles comme Homère, mais qui font du bien. On ne peut s’empêcher d’avoir la larme à l’œil devant cette vidéo…
Et si ça ne suffit pas, Vincent Bourdin nous cite David JP Philipps, qui expose la magie du storytelling dans une série de TedX, magie basée sur le « cocktail des anges » !
La ludification
Les méthodes qui s’appuient sur les mécaniques du jeu sont éprouvées, mais surtout, les coûts de développement baissent. Le travail avec le client, la conception du jeu coûtent toujours autant, mais la réalisation est de plus en plus simple et abordable. Finis donc les modules vitrines qui cachaient mal des catalogues de formation plus classique ? Pas encore, puisqu’il faut compter autour de 30 000 euros, parfois bien plus pour développer un module selon l’équipe de My-Serious-Game. Rien de nouveau non plus, mais le résultat reste impressionnant.
Pauline Aspect nous a montré un produit de formation conçu avec Mazars sur la cybersécurité. Les participants utilisaient une application ludique, disponible sur PC et portable. L’environnement du jeu favorise à la fois la collaboration et la compétition, et construit une progression autour d’une histoire. On n’en saura pas beaucoup plus, car le temps a manqué à l’équipe enthousiaste de My-Serious-Game pour nous faire une démonstration. Mais on pu voir le méchant de l’histoire, qui semble né de l’union improbable entre Darth Vador et un aspirateur sans sac.
Réapprenons donc à jouer et à raconter des histoires… Le nouveau défi serait de partager des expériences avec des moyens financiers limités, mais un salon n’est pas le lieu pour impressionner avec quelques bouts de ficelle !
Des plateformes qui n’en sont pas
Les éditeurs de plateforme se joignent au concert qui vient condamner l’ennui des réunions zooms. On oublie ainsi que si tant de formateurs et enseignants se sont rués sur les applications de visio… c’est justement pour éviter l’ennui des plateformes de formation à distance. Des acteurs proposent des solutions inédites, qui existaient déjà depuis quelques années, mais que l’on redécouvre avec intérêt.
Glowbl, pour une expérience plus naturelle et des apprenants qui prennent les commandes
Glowbl permet aux personnes d’interagir via un flux vidéo, de travailler ensemble et de partager des documents. Formulé ainsi, rien de nouveau. Mais ce qui est inédit et favorise l’engagement, c’est que l’application permet de déplacer la bulle qui nous représente, par une photo ou une vidéo. Sur un espace, on fait circuler sa bulle d’une table à l’autre. Et comme chaque table est un lieu de partage, on s’engage spontanément dans des activités collaboratives !
Klaxoon : le bonheur des grandes surfaces
Klaxoon est un des grands gagnants des réunions en grands nombres et de la formation à distance. Nous avons presque tous expérimenté ces espaces où on peut zoomer, trouver des activités collaboratives, se rencontrer et échanger. L’application propose des modèles basés sur les concepts managériaux et de gestion les plus classiques. Klaxoon trace les contributions, les participations, les temps de connexion et permet donc le suivi et la collecte de preuves d’activité. Comme l’application précédente, l’entrée se fait par le mouvement, les activités engageantes et collaboratives. Et ces solutions sont d’un abord plus attractif que beaucoup de plateformes !
Mettre un peu d’ordre !
Accompagner des formateurs qui découvrent la distance
Un autre défi émerge de cette période de pandémie. De très nombreux formateurs ont dû apprendre en accéléré les techniques de la formation à distance. Beaucoup d’entre eux ne baignent ni dans la technique, ni dans la scénarisation… ni dans la pédagogie. Nous retrouvons ici l’entreprise My-Serious-Game, qui comme son nom l’indique est située à Tours, en France. Dans une forme de grand écart avec leur activité précédente, ils commercialisent Edmill une plateforme qui accompagne les enseignants dans la constitution de modules, en posant les bonnes questions tout au long du processus et en suggérant des activités et des situations d'apprentissage.
Un peu d’ordre dans le développement anarchique des solutions en formation à distance
Tandis que les formateurs mettent de l’ordre dans leur formation avec Edmill, Smartch aide les organisations à y voir clair dans le désordre apparemment inextricable de leurs solutions. La formation à distance s’est souvent développée en totale anarchie autour de projets, par étapes, dans des services et des succursales différentes. Aurélie Besnard et Nicolas Chalons confirment qu’ils croisent des entreprises où se côtoient plus de dix plateformes de formation à distance. C’est autant d’interfaces, de systèmes de suivi et de remontée des données. Les stagiaires n’y comprennent rien, et les autres utilisateurs ne s’y retrouvent pas non plus.
Portés par leur enthousiasme et une bonne maîtrise des systèmes techniques, les deux animateurs d’un atelier improvisé nous ont montré comment toutes les briques autour de la gestion des talents et des applications devaient interagir pour produire une expérience de qualité pour les apprenants, et des données pertinentes pour les administrateurs.
Mettre de l’ordre, c’est bien, mais le faire pour tous, c’est mieux ! Smartch s’appuie sur une définition détaillée des profils et un principe clair : tous ces profils doivent s’y retrouver, en particulier l’administratif. On se focalise sur l’expérience des stagiaires, les interactions et la facilité de prise en main pour les formateurs… mais les administratifs font souvent moins l’objet d’attention !
Devenir des organisations apprenantes
Laissons le mot de la fin à Rise Up, plateforme de formation à distance qui figure parmi les leaders. Ils ont eu l’élégance de donner la parole à un client, Akka Technologies, sans lui demander de chanter les louanges de leur outil ! Car c’est d’entreprise apprenante que Thibaud Yven nous a parlé. Akka emploie de nombreux programmeurs. Ils n’attendent pas de cette entreprise qu’elle leur donne du travail. Ils sont quasi certains d’en trouver rapidement ailleurs. Beaucoup de salariés sont directement implantés chez les clients. Ils ne
se sont jamais rendus dans des locaux de l’entreprise. Ces éléments expliquent un turnover important.
Les possibilités de progression et d’apprentissage sont les premiers facteurs de motivation, dans des métiers où les connaissances deviennent obsolètes en moins d’un an. Se former ou mourir pourrait être la devise de l’entreprise. Plus sobrement, la formation est pour eux un levier de compétitivité essentiel.
Favoriser la diffusion des connaissances et des expertises
Appuyés par Rise Up, Thibaud Yven et ses équipes construisent une communauté apprenante, qui peut accéder à des formations et des informations simplement. Ils font appel à des experts internes et mettent à disposition des équipes de nombreuses formations en ligne où les salariés vont spontanément et assez librement. La logique sous-jacente est celle d’un co-investissement, qui peut être vécu très diversement selon les pays où Akka est implanté. Les activités proposées incitent aussi les participants à échanger et à collaborer.
Valoriser les acquis
Dans cette organisation apprenante, on valorise les apprentissages. Les ressources humaines mettent en avant les impacts concrets et intègrent les formations dans l’évaluation des collaborateurs. Les experts internes sont aussi valorisés. Ils participent à des séminaires, sont encouragés à intervenir lors d’événements internes et de conventions, et reçoivent aussi une reconnaissance financière. Les compétences internes sont cartographiées et les ressources humaines portent une attention particulière au développement des compétences. Le plan de formation est animé de manière collective et individuelle.
Après ce tourbillon d’outils et les débats sur la fatigue des visios, Rise up nous a donné un peu de hauteur. Thibaud Yven nous a montré l’importance d’une vision stratégique des compétences, des motivations et des enjeux humains pour une utilisation pertinente des outils. Ils nous ont rappelé aussi tout l'intérêt de l'apprentissage par les pairs.
Illustrations : Frédéric Duriez
RessourcesFloria Gueï — le geste - https://youtu.be/yV0dWCc5biY
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