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Publié le 14 juillet 2021 Mis à jour le 14 juillet 2021

À chacun sa Pierre de Rosette

Déchiffrer la mécanique des langues

Inscription de Beshitun (Iran)

Dans notre société en perpétuel essor informatique et de l’intelligence artificielle, s’intéresse-t-on encore à l’effort mécanique, pourtant à l’origine de tout cela ? Le philosophe allemand Leibniz (1646-1716) disait «Il n'y a point d'art mécanique si petit et si méprisable qui ne puisse fournir quelques observations ou considérations remarquables.», car oui, la mécanique fait partie de notre monde, de notre culture, et même de nos langues.

Certes, il ne s’agit peut-être pas ici de mécanique à proprement parler, celle avec des écrous, des engrenages, d’outils… et pourtant si, mais d’un point de vue linguistique, car les langues, elles aussi, sont régies par une espèce de mécanique propre, avec des règles, des mots qui s’imbriquent pour former des phrases, des phrases qui, agencées les unes aux autres forment des textes qui, à leur tour, une fois amalgamés ont une signification. La mécanique des langues, vous avez dit ? Sortez votre boîte à outils et préparez-vous à découvrir les engrenages multiples qui nous permettent de communiquer !

À chacun sa Pierre de Rosette

Tout amateur des langues connait bien la Pierre de Rosette, un fragment de stèle gravée de l'Égypte antique portant trois versions d'un même texte qui a permis le déchiffrement des hiéroglyphes au XIXᵉ siècle. Mais comment Champollion, l’éminent professeur français, a-t-il réussi ce tour de force ?

Simplement grâce à la présence de deux langues (égyptien ancien et grec ancien) et trois écritures (égyptien en hiéroglyphes, égyptien démotique et alphabet grec). C’est en se basant sur les autres langues et alphabets, alors mieux connus, que la traduction a pu s’effectuer petit à petit. 

Mais la Pierre de Rosette n’est pas unique et les inscriptions de Behistun, au nord-ouest de l’actuel Iran, bien que moins connues, seraient même davantage extraordinaires du point de vue du déchiffrement des langues anciennes.

En effet, selon Claude Rilly, linguistique et archéologue français, « [cette inscription] a permis de démarrer le déchiffrage du vieux perse et de l'akkadien, et de manière générale des écritures cunéiformes ».

Les inscriptions bilingues, ou plus, c’est bien, mais elles ne sont pas toujours infaillibles ! La preuve avec les lamelles de Pyrgi, trois inscriptions sur feuille d'or trouvées en 1964 lors des fouilles d'un temple de l'ancienne Pyrgi, en Italie.

Gravées en étrusque et en phénicien, elles ont davantage embrouillé les archéologues et les linguistes, remettant en question leurs connaissances déjà pourtant établies…

Sans compter les autres clins d’œil bilingues des trouvailles archéologiques, comme l’enseigne Claude Rilly :

« J'ai bien quelques textes de bilingue, mais c'est à mourir de rire... J'ai vu une jarre sur laquelle il est écrit, en démotique, "Vin d'Égypte" et en dessous, en méroïtique, "Ça vient d'Égypte". Cela ne nous emmène pas très loin.

Nous avons même une pierre, "La Pierre d'Abda", qui a été trouvée dans les années 60, avec la fin d'une épitaphe en méroïtique et le début d'une épitaphe en égyptien... On a donc la fin de l'un et le début de l'autre... »

Déchiffrer et décrypter

Les écrits bilingues et plus demeurant rares et pas toujours pertinents, les linguistes procèdent donc autrement quant au mécanisme des langues. « Chaque déchiffrement d'écriture est un cas particulier, mais il y a des constantes », précise Claude Rilly, « d'une part, l'inventaire des signes, d'autre part, l'utilisation du nom propre. Cette dernière est souvent la porte d'entrée d'ailleurs ».

Une bonne méthode serait de compter les signes et d’éliminer les variantes, permettant alors d’identifier à quel type d’alphabet on a affaire : « Une fois les variantes éliminées, si on a entre 20 et 30 signes, on est dans une écriture alphabétique ou alpha syllabique. À partir de 40-50 signes et jusqu'à 80, on est dans une écriture qui note chaque syllabe indépendamment. Lorsqu'on commence à avoir des centaines de signes, c'est qu'on est face à un système qui comporte des logogrammes - ce qu'on appelait avant des idéogrammes - c'est-à-dire des signes utilisés pour noter des mots entiers. »

Une autre option est de travailler à partir des noms propres, c’est ce qu’a fait François Desset, un archéologue français spécialisé dans l’Iran ancien, pour déchiffrer l’élamite linéaire (alphabet utilisé il y a plus de 2500 ans dans l’ancien Iran !), à partir des vases Gunagis, où les noms de souverains et de divinités étaient répétés plusieurs fois sous la forme de serpents, et qui a permis, petit à petit, de déchiffrer le reste de l’écriture. Ce système a d’ailleurs été appliqué pour l’égyptien, l’akkadien ou encore le méroïtique.

Le véritable tour de force, c’est que François Desset a pu entièrement déchiffrer le mécanisme de l’élamite linéaire en se basant uniquement sur 23 textes ! Pour ce qui est du décryptage, la taille du corpus compte, comme il le dit : «L'idéal est d'avoir 10 000 textes, ce qui est finalement souvent le cas. Pour l'étrusque par exemple, on dispose de 12 000 textes, de 10 000 pour le gaulois. Pour ce qui est du méroïtique, on en a environ 2 000, ce qui n'est pas énorme !» 

Et demain ?

Interpréter et déchiffrer les mécanismes et nombreux rouages d’une langue est complexe et délicat, c’est pourquoi les archéologues continuent à se baser sur les méthodes généalogique (les langues de la même famille) et typologique (comme les déclinaisons) pour mener à bien cette mission.

Ceci dit, dans l’avenir, il est fort possible que l’intelligence artificielle puisse aller plus loin que l’homme, et cela a même déjà commencé : certaines IA peuvent d’ores et déjà classifier les mots d'une langue ancienne et opérer des liens entre plusieurs langues. Le linguiste de demain sera-t-il un robot ?


Sources et illustrations

La Pierre de Rosette, Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_de_Rosette, Pixabay, https://pixabay.com/images/id-1958394/

Jean-François Champollion, Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-François_Champollion 

L’inscription de Beshitun, Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Inscription_de_Behistun,

Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bisotun_Iran_Relief_Achamenid_Period.JPG 

Les lamelles de Pyrgi, Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Lamelles_de_Pyrgi, Wikimedia Commons, Sailko, CC BY-SA 4.0

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/29/Lamine_d%27oro_in_lingua_etrusca_e_fenicia_con_dedica_di_un_luogo_sacro_a_pyrgi.jpg


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