« L’esprit d’improvisation est un défi au sens créateur »
Charlie Chaplin (1889-1977)
L’imprévu ponctue le quotidien de nos vies privée et professionnelle. Dans le contexte professionnel, certains d’entre nous arrivent plus ou moins à se préparer à l’inattendu en tentant de le prévoir afin d’y faire face.
Cependant, le futur restant incertain, l’imprévu restera toujours inopiné et c’est alors que nous devons prendre rapidement des décisions. Notre adrénaline monte et commence cette merveilleuse et périlleuse aventure qu’est l’improvisation.
Celle-ci peut se construire consciemment ou inconsciemment sur un vécu ou un apprentissage théorique. Une fois celle-ci terminée, il est possible d’en évaluer la qualité et les effets afin de nous armer pour des expériences futures similaires.
Ce retour d’expérience, sur un moment d’improvisation, semble constituer un mécanisme d’apprentissage qui permet la construction du soi et le développement d’une certaine forme de professionnalisme.
Nous voilà plongés dans le sujet de la thèse de Guillaume Azéma intitulée « L’improvisation selon les enseignants entrant dans le métier. Une approche en anthropologie cognitive » se proposant de comprendre en quoi l’improvisation peut constituer un élément clé dans la construction du soi et le développement professionnel des néo-enseignants.
Pourquoi tenter l’aventure
Cette thèse, par l’ensemble du travail de recherche qu’elle formalise et compile, regorge d’informations et d’observations nous permettant de mieux comprendre la construction de l’identité et de la posture professionnelle d’un néo-enseignant.
Le manuscrit se conforme à une structure académique standard et non moins efficace comportant une introduction, la mise en place de sa problématique, l’étude du cadre théorique et méthodologique, présentation des résultats et discussion pour finir sur une conclusion.
- Dans la partie consacrée à la problématisation, l’auteur justifie l’innovation, l’intérêt et la pertinence de sa question de recherche à l’aide de la présentation de son cadre de recherche.
- Dans la deuxième partie, il développe le cadre théorique et méthodologique de la thématique centrale de ses recherches à partir duquel émergent des hypothèses ainsi que les méthodes pour les tester.
- Dans la troisième, l’auteur expose l’ensemble de ses résultats qu’il enchaîne d’une discussion lui permettant de les confronter avec l’ensemble des connaissances antérieures sur ce sujet.
La trame narrative du texte ainsi que les petites clarifications de l’auteur permettent aux différentes parties et chapitres de s’imbriquer avec logique et fluidité, ce qui nous permet de nous immerger dans ce travail de recherche.
Le style et le ton à la fois authentiques et formels de Guillaume Azéma nous permettent de comprendre l’ensemble de ses travaux, mais aussi de mesurer l’importance de l’improvisation, qui à première vue peut sembler anodine, dans le développement et la professionnalisation des enseignants.
À la volée
« J’apprécie en général de goûter les chemins de traverse. Ils s’ouvrent souvent sous le pas de quelques sauvagines, invitant à la marche lente, attentive, et conduisant en des lieux, fonds de vallée, flancs de courbe ou promontoires, desquels fourbu, égratigné, on peut apprécier le paysage dans une dimension inhabituelle. La présente recherche a consisté à appréhender mon propre métier comme on s’amuserait, en un lieu mille fois visité, à tenter de nouveau de s’y faire surprendre ; comme on aborderait une île, où l’on vit, mais d’une façon qui nous la rende étrangère, inconnue, en risquant un secteur déserté voire déconseillé, où il n’est guère que les pistes des bêtes.
Cette thèse investit plus spécifiquement le travail des néo-enseignants en interaction en classe. Plus précisément, elle tente de décrire et de comprendre l’activité qui, pour eux, porte le nom d’improvisation. Nous soutenons la thèse selon laquelle l’activité improvisationnelle, en ce qu’elle est marquée par le complexe nouveauté-surprise-incertitude, est un temps fort de la dynamique du couplage entre un acteur et son environnement (y compris social), et en tant que tel, un mouvement majeur de construction de soi et de développement professionnel. »
Faire un bœuf
Cette thèse nous permet de constater que l’activité des néo-enseignants vogue entre deux extrêmes qu’elle ne touche jamais : l’improvisation exclusive et l’absence d’improvisation. Par l’entremêlement de la dynamique cognitive, de l’invention, de l’attention, et de la socialisation qu’elle sollicite, l’improvisation semble constituer pour les néo-enseignants un élément clé leur permettant à la fois de faire qu’un avec leur environnement et de construire leur soi et développer leur professionnalisme enseignant.
Guillaume Azéma propose un remodelage « modeste » selon ses mots de la formation des enseignants dans lequel il invite à la continuation et à la promotion d’un travail d’invention reposant sur un principe d’égalité des intelligences des acteurs du couple enseignant ou formateur et apprenant. Ce travail d’invention intégrant l’ensemble de ces acteurs reposerait sur l’accompagnement, l’information, l’éveil, l’inspiration sur une base de confiance et d’exigence.
The show must go on
Les recherches de l’auteur mettent en avant que les processus d’improvisation semblent être impliqués dans le développement tant du soi que du professionnalisme au-delà de la seule population néo-enseignante. Guillaume Azéma propose alors d’explorer la contribution de l’impromptu pour de nombreuses autres professions telles que les professions médicales, artisanales ou paysannes.
Cette thèse nous invite à distinguer, à l’aide d’une analogie musicale, l’improvisation perçue et réelle. Ainsi, une certaine maîtrise de l’acteur peut être considérée comme une improvisation par ses spectateurs tandis que dans d’autres cas l’improvisation réelle peut passer inaperçue aux yeux des derniers. Il est alors intéressant de nous demander comment se réalise ce glissement entre l’improvisation réelle et l’illusion d’improvisation.
Ces travaux montrent également que l’improvisation peut constituer une source d’étonnement vis-à-vis des apprenants alors intrigués par cet hors-piste devenant alors plus attentifs et intéressés aux propos de l’enseignant. Cette hypothèse relative à l’étonnement est confortée maintenant par d’autres travaux académiques présentant l’étonnement comme levier de l’apprentissage et du développement professionnel dans différents corps de métiers.
Nous pouvons alors nous demander quelle est la part d’improvisation qui nous a permis de devenir les professionnels que nous sommes aujourd’hui, mais aussi si nous devons continuer d’employer ces chemins de traverse aux destinations inconnues pour renforcer notre expertise et nos compétences pour les métiers que nous réaliserons demain.
Alors prêt pour l’improvisation ?
Bonne lecture
Thèse présentée et soutenue le 15 décembre 2015. Travail réalisé au sein de l’école doctorale Langues, Littératures, Cultures et Civilisation : ED 58 et de l’unité de recherche du laboratoire interdisciplinaire en Didactique Éducation et Formation : EA 3749. Université Paul Valéry Montpellier 3 (Montpellier, France).
Sources
Guillaume Azéma. L’improvisation selon les enseignants entrant dans le métier : une approche en anthropologie cognitive. Linguistique. Université Paul Valéry — Montpellier III, 2015. Français. ⟨NNT : 2015MON30039⟩. ⟨tel-01689093v2⟩
Lien thèse :
Page : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01689093v2
PDF : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01689093v2/document
Publication de l’auteur sur le même sujet
Guillaume Azéma. Improvisation et travail ordinaire des enseignants entrant dans le métier. Quelle activité ? Quels enjeux ? @ctivités, Association Recherches et Pratiques sur les ACTivités, 2019, ⟨10.4000/activites.3941⟩. ⟨hal-02301061⟩
PDF : http://journals.openedition.org/activites/pdf/3941
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