« Tiens, c’est marrant, tu as remarqué que Céline Dion, quand elle chante, on n’entend pas son accent québécois ? Oui, même chose pour Garou, c’est bizarre, comment ça se fait ? Pourtant, quand ils parlent, ça s’entend bien ! »
Oui, hein, comment ça se fait ? N’avez-vous pas, vous aussi, remarqué que la majorité des chanteuses et chanteurs perdent leur accent d’origine quand il s’agit de chanter, et non plus de parler ? Phénomène étrange, mais pourtant observable. Mais alors, comment l’expliquer ? Est-ce dû à quelque chose de particulier ou est-ce juste un effort fait par l’artiste lors de sa prestation ? Volontaire ou involontaire, phénomène linguistique ou question de choix ? C’est le mystère musical que nous tenterons de percer aujourd’hui…
Une question d’accent
D’abord, mettons les choses au clair. Que nous soyons Parisiens, Québécois, Sénégalais, Réunionnais, Ivoiriens, Tunisiens, Belges, Suisses, Camerounais, Marseillais… bref, réunis sous la barrière de la francophonie, nous avons TOUS un accent. C’est notre perception de l’autre qui fait que nous entendons une musique différente.
L’accent est une intonation et chaque pays, chaque région a le sien propre. En effet, à l’intérieur d’un même pays, plusieurs tonalités différentes pourront être entendues. Prenons le simple exemple de la France où l’accent ne sera pas le même du fait que l’on se trouve en territoire Ch’ti (au Nord) et dans le pays occitan (au sud), et pourtant, c’est bien la même langue, avec d’autres nuances lexicales également, cela va de soi, mais là n’est pas la question !
De même, l’accent québécois, suisse, belge, africain ou des îles sera rapidement identifiable, à la simple écoute de ses locuteurs. Ainsi, on pourra noter que les Parisiens et le Nord de la France parlent très vite ! Certes, ici, il est question de débit, mais cela joue aussi sur l’accent. À l’inverse, en Suisse, on prend son temps… Au Québec, on accentue davantage les accents graphiques quand on parle, c’est-à-dire que la prononciation « authentique » française est davantage respectée par les Canadiens que par les Français eux-mêmes, notamment pour les accents circonflexes, où le « ê » de « fête », par exemple, est particulièrement prononcé ouvert, là où les Français le prononcent comme un accent grave, simplement.
Une question de prosodie
Mais alors, si nous avons tous un accent quand nous parlons, pourquoi celui-ci a tendance à disparaitre et à devenir « standard » quand nous parlons en musique ?
C’est là qu’intervient la prosodie, c’est-à-dire l'ensemble des règles qui concerne l'étude de l'intensité, de la durée des sons et la rythmique. En effet, à l’instar de la parole discursive, la musique répond elle-aussi à ses propres critères de rythme, de durée et de hauteur. En général, quand on chante, on le fait de manière plus lente que quand on parle, la cadence et le débit se trouvent alors aplanis et ces différences qui, normalement, permettent de reconnaitre tel ou tel accent en contexte conversationnel disparaissent alors.
De plus, quand nous chantons, nous devons respecter la mélodie et suivre les intonations et accentuations imposées par le compositeur. Ainsi, quelle que soit l’origine de l’artiste, il ne sera pas trop possible de changer la chanson, outre quelques petites fluctuations au niveau des voyelles, mais qui ne seront pas assez marquées pour être particulièrement soulignées.
Enfin, un dernier élément peut aussi expliquer ce phénomène, c’est celui de la respiration. Certes, il va sans dire que lors d’une prestation musicale, on doit respirer davantage, inspirer plus d’air, ce qui modifie alors notre prononciation aussi.
Résistance
Ceci dit, cette prosodie musicale semble ne pas affecter tout le monde. En effet, certains artistes, conscients de ce phénomène, cherchent justement à passer outre et à imposer leur accent dans leur musique. En ce sens, on pourrait davantage parler d’une prise de position esthétique pour exprimer une sorte de résistance à une neutralité associée à une forme d'assimilation.
Et le rap dans tout ça ? Certes, il y a de la musique, mais les paroles sont davantage énoncées que chantées. Et, indubitablement, la prosodie musicale apparait moins, laissant alors entendre l’accent parlé de l’artiste. Prenons le cas d’une chanson des années 90 qui a fortement marqué l’histoire du rap, en particulier par le caractère celtique de sa musique : La tribu de Dana, du groupe breton Manau. Ici, débit très rapide, typique de l’Ouest de la France et accent breton indubitable !
Finalement, une fois acceptée l’idée que nous avons tous un accent quand nous parlons, il est quand même étonnant de voir que cette différence prosodique, plutôt que phonétique, disparait au moment où nous nous exprimons en chantant, sur un fond musical. On dit que la musique adoucit les mœurs, mais elle semble aplanir aussi les accents !
En tout cas, personnellement, quand je chante dans une langue étrangère, je suis toujours épatée, car ma prononciation semble impeccable alors que pour prononcer exactement les mêmes paroles, mais en contexte de conversation, c’est une tout autre histoire. Quelle injustice ! En ce sens, devrions-nous nous exprimer perpétuellement en chantant ?
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