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Publié le 16 juin 2021 Mis à jour le 16 juin 2021

J'y peux rien c'est mon côté hardcore … [Thèse]

Un regard d'ethnologue sur la mouvance hardcore punk à travers lieux et temps

Illustration du hardcore punk avec Disque vinyle présentant une tête de trojan du studio Trojan de la culture skinhead superposé d'une main lui faisant une crête punk.

J’ai une confession à vous faire… Je suis un skinhead aux cheveux longs. En dehors du fait que cette affirmation reflète une certaine émancipation capillaire de ma part, elle peut aussi vous avoir choqué. En effet, le mouvement skinhead est le plus souvent associé aux hooligans, à l’extrême droite ou aux violences racistes.

Je devrais être gêné de me revendiquer skinhead et je vous comprends. Une image négative s’est peu à peu construite et renforcée avec le temps à coups de faits divers, de films et autres exhausteurs d’idées reçues. Pour moi, être Skinhead ce n’est pas ça, c’est adorer les premiers rythmes reggae apparus en Jamaïque, le dub, le rocksteady et le ska des années 60 à nos jours, c’est danser avec des personnes de tous horizons et sexes… Mais pas seulement. Apparemment, derrière mes clichés au sujet de ce genre, j’aurais des liens d’affiliation avec la culture hardcore punk et c’est ce que nous allons découvrir ensemble.

 L'auteur de cette chronique

Un des mythes fondateurs sur les origines du hardcore punk raconte l’histoire d’une convergence de deux cultures dans les années 60 et 70: la culture punk et la culture skinhead. Ces deux mouvements semblent avoir émergé autour de la même période dans les années 60 à partir des classes ouvrières britanniques et nord-américaines. La culture punk est un genre musical cherchant à préserver la spontanéité, la simplicité des origines du rock en rejetant tous les aspects mercantiles se mettant en place pour ce dernier au cours des années 70.

La culture skinhead elle est naît de la rencontre par affinité musicale et sociale de deux communautés anglaises, les « hard mods » enfants d’ouvriers anglais et des « rudes boys » des ghettos de jeune immigrés jamaïcains.

Cependant, il serait trop réducteur de résumer le hardcore punk au simple mélange de ces deux cultures. Il est fascinant de constater que cette culture hardcore s’est propagée autour du globe, réunissant des personnes de tout horizon en outrepassant les barrières de la langue par simple affinité musicale et culturelle. Il est alors nécessaire de se demander ce qu’est le hardcore et qui sont les hardcore punks. Quels sont leurs mythes fondateurs, leurs codes, leurs valeurs, leurs passions, leurs motivations, leurs ambitions, mais aussi leurs craintes ? Comment cet ensemble parcoure le globe et évolue au cours du temps pour nourrir ce monde aussi riche que brutal ?          

Alain Müller se propose d’aborder ces différentes questions dans sa thèse d’ethnologie intitulée «Worldwide United. Construire le monde du hardcore» dans laquelle il cherche à comprendre les phénomènes circulatoires permettant l’existence du hardcore punk autour du globe.

Pourquoi lire cette thèse

Par sa plume et son style direct, authentique et de qualité, la production d’Alain Müller est une invitation ethnographique à nous plonger au cœur de ce monde et à reconsidérer nos idées reçues sur une subculture musicale liée à certains stéréotypes.

Ce travail qui entremêle sa propre expérience de terrain, des recherches documentaires ainsi que des rencontres, nous permet par sa structure à la trame narrative maîtrisée de comprendre l’histoire, les mythes, les tensions, les enjeux ainsi que les mécanismes de diffusion à l’échelle globale du hardcore punk.

La mise en place d’un glossaire permet à l’auteur de respecter une rigueur et exhaustivité académique sans nous noyer d’informations tout en nous permettant d’appréhender et apprécier toute la profondeur et complexité de son sujet.

Publiée en 2010, l’auteur avait pris l’initiative de créer un site internet permettant au lecteur d’écouter ou de voir les musiques et les vidéos citées tout au long de son exploration ethnographique. Le site ne semble plus être actif, mais une discographie est disponible en fin de document afin de pousser d’un cran notre immersion dans le monde hardcore. 

Alain Müller commence sa thèse d’une manière originale et surprenante. Nous pourrions nous demander comment parler de hardcore punk si nous n’en avons jamais fait l’expérience ? Quoi de mieux que de nous faire vivre avec lui un concert de hardcore ? Voici un extrait de son journal de terrain au Japon, lors duquel, il nous raconte avec un œil d’ethnologue digne de Lévi Strauss, son premier concert de hardcore punk à Yokohama.

Êtes-vous prêts pour le grand saut ?

[…] L’endroit est sombre, mais je perçois tout de même les yeux qui scrutent mon arrivée et me dévisagent. L’ambiance est à la fois pesante et exaltante ; pesante, parce que je me sens « décrypté » sans relâche par cette masse de regards ; ambiance exaltante aussi, parce que je sens l’excitation d’avant concert qui augmente encore un peu plus, une sorte de mélange d’agressivité et d’amusement, et parce que je me réconforte de retrouver des personnes qui semblent partager mon univers.
Je ne suis en rien dépaysé et ai l’impression d’avoir vécu cette situation des milliers de fois auparavant.

Mêmes looks, mêmes dégaines, t-shirts des mêmes groupes américains ou européens, mêmes habitudes dans la façon d’accueillir les nouveaux visages, mélangeant méfiance, défiance, mais aussi curiosité, le rôle que d’habitude, lorsque je suis à un concert en Suisse, j’ai moi-même l’habitude de tenir. Je souris. Ça n’est pas le moment de baisser les yeux. Il faut montrer que l’on fait partie du même monde, que l’on connaît les codes. Mais je porte le bon « uniforme », ce qui signifie que la moitié du chemin est déjà faite.

Le concert ne tarde pas à commencer. Le son saturé des guitares branchées remplit son rôle rassembleur. Tout le monde s’approche de la scène, le pit se crée, disposition typique de l’audience dans l’espace, laissant un cercle central libre pour les performances physiques qui, on l’espère, vont commencer au plus vite. Et au contraire de tout ce j’ai vécu jusqu’alors durant ma première semaine japonaise, ce qui commence ici ne me surprend pas véritablement par sa différence et sa spécificité, mais bien par sa similitude avec ce que je connais. Le style musical joué est bien du hardcore, tel que je le connais ; quant à l’attitude corporelle, je reconnais les mêmes mouvements des musiciens sur scène et surtout, les mêmes mouvements de violent dancing performés par le public, dans le pit qui se crée devant la scène. Je suis à un concert de hardcore, de mon hardcore, ni plus ni moins.

Je décide assez rapidement de danser quelque peu, car je sens les regards curieux : «cet étranger, ce gaijin, est-il vraiment l’un des nôtres ? » semblent-ils se demander. Sous le regard approbateur de mes voisins, je me transforme encore un peu plus en observateur observé. Je semble satisfaire les exigences. Je ne suis d’ailleurs pas le seul gaijin à danser. Un jeune américain, dont je découvrirai plus tard qu’il s’agit en fait d’un GI basé à Yokohama, semble faire partie des meubles. […]

Ce que l’on y apprend…

Le voyage ethnographique d’Alain Müller permet de constater qu’une culture peut être dissociée d’un territoire. Il montre également que devenir hardcore punk se fait pas à pas, sur la base d’un apprentissage d’un ensemble de valeurs, de conventions et références propres à la culture hardcore qui sera ensuite reconnu et légitimé par les pairs.

L’auteur met également en avant un réseau d’échange et de circulation complexe de personnes, d’évènements, de biens et d’informations physiques, humains et numériques permettant la diffusion et l’enrichissement de la culture hardcore punk à l’échelle mondiale. Alain Muller propose alors que cette hyperconnectivité est nécessaire afin de permettre la résistance et l’opposition aux valeurs et conventions en vigueur dans le monde au sens large.

Un nouveau regard sur le monde…

Par la richesse et la qualité de son travail, Alain Müller nous permet d’entrevoir les mécanismes pouvant expliquer l’émergence, la propagation et la diffusion d’un monde dans notre monde. Il nous permet d’oublier certains stéréotypes en nous montrant les valeurs et les tensions d’un mouvement contestataire qui se veut par définition le plus libre, brut et authentique possible.

Ici nous avons découvert que le hardcore punk est un vecteur de cohésion, intégrant des codes, des coutumes et des rites comme le montre l’extrait présenté. Il permet de réunir et rapprocher des audiophiles des quatre coins du monde sans pour autant gommer leur altérité qui entretient et fait la richesse de ce mouvement.

Notre regard sur le monde est souvent dépendant du prisme de nos propres expériences et influences que nous avons accumulé au cours de notre vie. Cela fait que nous transposons facilement notre expérience sur l’autre et son monde.

Cette thèse nous permet de lâcher prise sur nos a priori, d’aller outre la simplicité de nos premières impressions et de cette transposition en adoptant un regard nouveau : celui de l’ethnologue. Ce regard neutre et curieux peut s'appliquer à tous les groupes d’individus que cela soit une classe, une communauté en ligne, ou encore une équipe de travail pour nous permettre d’en identifier les valeurs, les codes ou encore les rites et nous inviter à en discuter ou y réfléchir.

Et vous alors ? Avez-vous un regard d’ethnologue ? Quel est le monde musical qui vous rapproche du monde ?

Pourquoi pas le hardcore punk…

Bonne lecture !

Thèse présentée et soutenue en 2010 à Neuchâtel, pour obtenir le grade de docteur en sciences humaines, dans le cadre de l’école doctorale suisse en anthropologie en partenariat avec l’institut d’ethnologie et la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Neuchâtel (Unine) (Neuchâtel — Suisse).

Sources

Thèse

Müller, Alain. (2010). Worldwide United. Construire le monde du hardcore (Doctoral dissertation, Université de Neuchâtel).

Liens vers la thèse

Page : https://doc.rero.ch/record/20818
PDF : https://doc.rero.ch/record/20818/files/00002172.pdf

Livre/ebook associé au travail de cette thèse

Alain Mueller (2019). Construire le monde du hardcore (p. 257). Seismo.
Lien : https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/24693



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