De la préhistoire à nos jours, en passant par Cléopâtre reine d’Égypte antique et aux Geishas japonaises, le maquillage semble avoir été employé afin de modifier l’apparence de son porteur, indépendamment de son sexe, tantôt pour des raisons culturelles, cultuelles ou simplement esthétiques.
Cette utilisation dont les codes évoluent et se transmutent perpétuellement, à travers temps et lieux, ont abouti à des standards conventionnels sociaux se transformant peu à peu en normes sociales.
Très longtemps associé à la gent féminine, le maquillage, à l’origine un artifice de la féminité, semble s’être transposé socialement, par un jeu à la fois historique et médiatique, sur le concept même de féminité en permettant ainsi la certification de cette dernière.
Quelle est la véracité de cette idée reçue ? Est-il aussi facile de réduire ce concept aussi profond que subtil, la féminité, au simple cosmétique ?
Vous voici plongé au coeur la thématique centrale de la thèse de Anna Loegel intitulée « La perception de la féminité et sa relation au maquillage » dans laquelle l’auteure explore l’hypothèse d’une conception de la féminité multidimensionnelle supposément associée à des variables biologiques, perceptives, psychologiques et sociales.
Pourquoi lire cette thèse
Ce travail de thèse est un bel exemple de collaboration entre le monde de la recherche académique et celui de la recherche privée autour d’un sujet dont l’interdisciplinarité et multidimensionalité, inapparentes à première vue, pourraient en impressionner plus d’un.
L’auteure réussit à structurer et détailler l’ensemble des différents aspects relatifs à sa problématique de départ, sur un ton offrant clarté et intérêt pour les non-initiés de tout genre et horizon.
La structure de cette thèse, respectant un format académique standard, cultive et renforce l’intérêt du lecteur tout au long de l’aventure de l’auteure en mêlant des phases de présentation, d’explication, d’exploration et de discussion.
Extrait
Selon le Trésor de la langue française (1980), l’adjectif féminin dérive historiquement et étymologiquement de femenin « qui a le caractère de la femme ». Ce terme, emprunté au latin classique femininus « féminin, de femme », semble s’être construit en opposition à mâle, masculin ou viril. Féminin se décline tant sur les versants physiques (aspect extérieur tels chair, odeur, voix féminine, toilette féminine, charme, grâce féminine…) que psychologique (tels : esprit, intuition féminine, caractère, âme, cœur, sensibilité, douceur, tendresse…).
Le terme de féminité, quant à lui, apparaît durant le bas Moyen Âge, en 1265, et dérive du latin femina (femme). Il désigne en tant que substantif féminin, l’ensemble des caractères spécifiques, ou considérés comme tels, de la femme.
Selon le Vocabulaire de la psychologie, la féminité désigne l’ensemble des «Caractéristiques différentielles admises de la femme, liées biologiquement au sexe, pour une part, mais, pour une plus grande part, conditionnées par l’influence du milieu sociopolitique et religieux ».
En raison de cette définition, le critère de féminité abordé dans le programme de recherches se différencie, par son approche sociale et culturelle, des critères de l’âge et de la santé perçue.
L’existence d’un stéréotype concernant l’attrait physique « ce qui est beau est bien » (traduction de « what is beautiful is good ») qui permet aux personnes attrayantes d’être avantagées dans différents domaines, a de nombreuses fois été démontré.
Par exemple, lors d’entretiens d’embauche, les candidats attrayants sont jugés plus « recrutables » que les candidats non attrayants, et ce peu importe le type de poste. Mais qu’en est-il des jugements de féminité ? Être perçue plus féminine est-il toujours un avantage ? Dans une société où les femmes atteignent plus difficilement les postes à responsabilité dans les entreprises, et perçoivent un salaire en moyenne inférieur à celui des hommes parce qu’elles sont supposées moins compétentes, il nous semblait que cette question méritait d’être approfondie.
Aussi, dans la continuité du programme de recherche initial de « l’unité perception » de Chanel R&T, nous avons cherché, dans ce travail de thèse, à déterminer le plus précisément possible quelles variables biologiques et psychosociales interviennent dans la perception de la féminité, de quelle manière le maquillage peut les influencer, et quels en sont les effets sur le jugement émis à propos d’une personne.
Ce que l’on y apprend…
Par ses recherches et explorations, Anna Loegel semble mettre en avant que les représentations sociales associent fortement le maquillage à la féminité. Dans le prolongement d’une étude sur le stéréotype « ce dont on a pris soin est bien », l’auteure semble démontrer l’existence d’un contrôle social nourri et entretenu par des normes et des représentations culpabilisantes poussant les femmes à se maquiller en vue d’être féminines, dans laquelle le maquillage est une condition indispensable à l’obtention de jugements de féminité élevés, mais aussi d’une constellation de caractéristiques positives.
La doctorante évoque les rôles partagés de la source du jugement et de la personne qui le reçoit, sans oublier celui du maquillage dans la genèse même de ce jugement tout en rappelant que cet artifice cosmétique n’est qu’une dimension de la multidimensionnalité de ce que l’on appelle « féminité ».
Un fard dans la nuit…
Anna Loegel met ainsi l’accent sur le fait que ses travaux permettent d’établir un constat de la place qu’occupent les femmes dans la société française en 2019, souvent sous le joug d’une forme d’injonction à la féminité sociétale stéréotypée dont le poids influence la présentation et la représentation de soi.
Elle nous permet de nous rappeler que certains standards, normes et certifications peuvent reposer sur des consensus de groupe idéalisés, institutionnalisés, essentiellement subjectifs et le plus souvent intenables tels que la minceur, la jeunesse, la compétence ou l’intelligence.
En d’autres mots : « Nous ne sommes jamais assez bien ».
Derrière le maquillage, nous découvrons donc tout un monde. En nous sensibilisant au thème des standards stéréotypiques, Anna Loegel nous invite à ouvrir les yeux sur les possibles injonctions sociales nous influençant.
Bonne lecture !
Thèse présentée et soutenue le 24 janvier 2019 à Nanterre, dans le cadre de l’école doctorale Sciences du Sport, de la Motricité et du Mouvement Humain (ED 566) et d’un contrat CIFRE, en partenariat avec le Centre de Recherches sur le Sport et le Mouvement (CeRSM), Université Nanterre – Paris X (Nanterre - France) et le Centre de recherche et technologie Chanel Parfum Beauté (Pantin – France).
Sources
Thèse
Anna Loegel. La perception de la féminité et sa relation au maquillage. Psychologie. Université de Nanterre — Paris X, 2019. Français. ⟨tel-02441772⟩
Liens
Page : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02441772
PDF : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02441772/document
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