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Publié le 27 mai 2021 Mis à jour le 27 mai 2021

Les dessous de l’éducation aux sexualités [Thèse]

Controverses et luttes de pouvoir autour des frontières de la vie privée

Message....

« Les fables racontées aux plus petits et le silence opposé aux grands. »

« Je réalise que dans ma famille, comme dans tant d’autres, c’est le silence qui a fait office d’éducation à la sexualité. J’ai le sentiment qu’une même histoire se répète à chaque génération : découvrir seule, comprendre son corps seule. Et surtout ne jamais parler de sexualité. »

En France, avant les années 1970, la sexualité, entendue au sens de la sexualité reproductive hétérosexuelle, était une affaire réservée au cadre de la famille et non un sujet d’éducation publique. Puis, à l’occasion de diverses « affaires » qui ont notamment mis en avant la dimension du plaisir dans la sexualité, elle a commencé à être regardée plus directement par les instances publiques.

En 1973, une première circulaire, dite « Fontanet », a porté « l’information sexuelle » au programme de biologie. À partir de là, des mises à l’épreuve ont contribué à construire une « éducation » aux sexualités socialement validée, mais aussi sans cesse remise en question.

« La parole sur la sexualité est un combat contre les silences des adultes qui ne savent pas ou ne veulent pas parler […]. Et le combat n’est pas le même selon qu’on soit un homme, une femme, une personne trans ; selon qu’on soit hétéro, gay, lesbienne, bisexuel·le, asexuel·le. C’est pourquoi l’éducation sexuelle n’est pas qu’un combat personnel à la découverte de son corps et de sa sexualité : c’est aussi une lutte politique. »

Le positionnement de la recherche

Aurore Le Mat a porté sa recherche sur la dimension politique de l’éducation, avec pour soutiens théoriques la sociologie des controverses et les études de genre. L’éducation aux sexualités s’est construite à partir du silence et au fur et à mesure des controverses qui ont déterminé le statut « public » ou « privé » d’une thématique.

La frontière entre ce qui peut être dit ou de ce qui doit rester du domaine intime fluctue de plusieurs manières : en fonction des époques et, au sein d’une même période, en fonction des intervenants (d’origine plus ou moins catholique) et du public (âge, genre, origine sociale ou culturelle).

« Les sujets qui suscitent un malaise sont ainsi traversés par la frontière public/privé et se retrouvent assignés à rester du côté du privé – c’est-à-dire à rester invisible dans la sphère publique de l’École. »

Déplacer cette frontière fait l’objet de luttes politiques récurrentes, parfois explosives, en particulier sur les sujets donnés par les écrits officiels comme des « points sensibles » : les identités de genre et les orientations sexuelles, et la diversité culturelle et religieuse.

En effet, « sous couvert du droit à l'intimité pour l'homosexualité et du respect des convictions pour les questions religieuses, l'assignation à la sphère privée agit comme un principe d'exclusion qui rend tabou les préoccupations relatives à l'orientation sexuelle et à la religion. »

L’enquête et les sources

Le terrain de recherche présente un paysage varié, composé d’entretiens avec différents acteurs :

  • les ministères (santé et éducation),
  • les plannings familiaux et les associations agréées,
  • Les responsables académiques,
  • les personnels d’établissement.

Dans les conclusions et perspectives, l’autrice expose qu’une enquête sur la réception des discours par les élèves (qui n’ont pas été entendus ici) permettrait d’examiner l’appropriation subjective des structures sociales et la manière dont les normes sont intériorisées.

En plus des entretiens avec les acteurs précités, la chercheuse a réalisé :

  • des observations participantes et non-participantes,
  • une analyse de sources diverses écrites. Elle a ainsi dépouillé les archives du journal Le Monde depuis les années 1960 pour repérer les moments de controverse autour de l’éducation sexuelle à l’école. Cela donne une patine vivante à son propos.

Quand « apprendre à faire l’amour » scandalise les mœurs

On peut ainsi apprendre qu’un tract, appelé par la presse locale le « sexe-tract », a contribué à mettre à l’agenda la question de l’éducation sexuelle dans les écoles. Un an avant la circulaire Fontanet, à une époque où l’éducation sexuelle « à la laïc ou sous le clocher » est en débat chez les catholiques autour de la contraception, le docteur Jean Carpentier publie un tract où il est principalement question de plaisir.

Le tract, titré « Apprenons à faire l’amour », est apporté dans des cours pour y être étudié et discuté, notamment dans le cours de philo de Nicole Mercier qui enseignait à des jeunes filles. On le retrouve dans les pages 98 à 101 de la thèse. L’enseignante est alors inculpée pour « outrages aux bonnes mœurs » ; il y a en France des grèves, des débats, « une multiplication des protagonistes impliqués, et une transformation des enjeux discutés ».

La construction de l’éducation aux sexualités

L’autrice distingue trois séquences :

  1. Les moments de controverse. Ils sont eux-mêmes rythmés en trois temps :
    • Les années 1960-1970 pendant lesquelles se met en place la définition du rôle de l’école en matière d’éducation à la sexualité (hétérosexuelle, à visée reproductive).
    • Les années 1990-2010 avec l’émergence du Sida, les mobilisations contre la promotion du préservatif et contre l’homosexualité, puis l’émergence des thématiques autour des violences sexuelles, sexistes, homophobes.
    • À partir de 2011 et l’émergence des controverses sur le genre.

  2. L’institutionnalisation à partir d’un consensus. Elle s’est faite à partir de l’inscription de l’éducation aux sexualités dans le cadre de la santé sexuelle et dans une visée universaliste.

  3. La neutralité à l’épreuve de la salle de classe, des stéréotypes et des tabous. Les malaises autour de l’imbrication des questions sexuelles et religieuses sont sensibles, et le « privé » devient un principe d’exclusion. Les attitudes des intervenants sont différentes en fonction :
    • Des catégories sociales, de l’âge, du genre. Par exemple, pour les filles, le corps et les règles sont questionnés, quand il s’agit de parler directement de sexualité aux garçons.
    • De l’éthique sexuelle des associations qui interviennent dans les établissements scolaires : où l’ordre essentialiste s’oppose à l’approche sociale des sexualités et du genre, qui envisage l’éducation aux sexualités « comme un moyen de rendre visible les normes pour les questionner ».

    Pour conclure avec les élèves

    On les retrouve en exergue du travail, avec une image qui reprend certaines de leurs questionnements anonymes. Comme celle-ci où, d’une petite écriture fine et précise, une jeune personne questionne :

    « Peut-on faire l’amour dans l’espace ? »

    Source image par Lewisiscrazy — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, Wikipédia.
    https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=66299062

    À lire :

    Aurore Le Mat, Parler de sexualité à l'école : Controverses et luttes de pouvoir autour des frontières de la vie privée, Sciences Politiques, Lille 2, 2018.

    Thèse consultable sur : http://www.theses.fr/2018LIL2D009


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