La politique silencieuse
Combien de fois la personne rebelle et créative n'a pas su trouver sa place dans le monde ! À qui la faute ? Pas d'hésitations et pas de surprises, on aura tous observé qu'il y a bel et bien une politique qui opère, puissante et silencieuse, celle de suivre la tendance majoritaire, question de ne pas se faire bannir du groupe.
De toutes les politiques, celles qui règnent dans le complet silence, s'imposant à tort ou à droit impérativement sont celles à craindre le plus. La raison est claire : tout joue en leur faveur. Puisque cette politique n'est pas écrite, elle ne peut pas ni être contredite, ni démontrée, peu importe le poids évident ressenti, si lourd et si étouffant. Il faudra apprendre à vivre avec et la surpasser, savoir oser se faire entendre au lieu d'être ignoré à la moindre occasion et faire le premier pas. Si personne ne s'enhardit, où est l'évolution porteuse de meilleurs avenirs ?
La débrouillardise des rebelles créatifs
Bien heureusement, on peut toujours compter sur la débrouillardise de la plupart des rebelles créatifs pour avancer là où toute espérance était chassée. Comment sont-ils ? Où se cachent-ils et elles? Ils ne sont pas vraiment éloignés. Ils sont en nous-mêmes. C'est tout simplement une question d'écoute et d'entraînement pour ouvrir grande la porte pour que notre rebelle créatif se montre puisque si nous ne décidons pas notre chemin de vie, qui le fera à notre place ?
Arrive un jour fait d'une nouvelle énergie, allure et force. C'est le jour où l'on ressent que notre aventure de vie ne sera pas comme celle des autres, mais la nôtre pour le meilleur et pour le pire. C'est drôle parce que finalement ce qui nous fait peur est de loin beaucoup mieux que suivre le cours du fleuve dominant lorsque l'on sait que ce n'est pas fait pour nous. C'est comme ouvrir grand la fenêtre et se rendre compte que tout y est plus beau et en accord avec nos valeurs les plus chéries. Désormais, le vent peut souffler à la vitesse qu'il le souhaitera mais nous tiendrons pour de bon, sûrs de notre chemin, car cette nouvelle voie nous sera porteuse d'un meilleur vivre et va permettre que d'autres à leur tour s'alignent et deviennent eux-mêmes, distincts et uniques.
Comment sont ces politiques silencieuses ?
J'ai souhaité parler d'une politique silencieuse mais il y en a vraiment de toutes les tailles et couleurs. Vous les connaissez, elles prennent des noms différents selon les pays et les croyances de chaque pays. Quel est leur modus operandi ? Vous les reconnaîtrez tout de suite, car elles opèrent en s'additionnant les unes aux autres, comme ça elles gagnent de plus en plus de terrain. Le seul remède : s'instruire, toujours s'instruire dans une éducation de qualité et dans la vraie vie et en chérissant nos origines et les mots que l'on utilise.
C'est comme décider le regard, la voix et le pas que nous souhaitons dorénavant avoir. Et cela se produit, le son est enfin émis et vous le savez bien ça fait un énorme changement. Après notre son, d'autres sons émettent aussi pour la première fois dans la bonne direction, celle de politiques qui respectent et épanouissent leurs citoyens dans leur diversité, plus de place pour quelconque prison ! Enfin ce qui était un espoir est devenu une réalité. Et la lueur que ça fait est très belle, comme tout ce qui se doit d'être !
Parlons du silence
Comme évoqué par Denis Barbet et Jean-Paul Honoré :
« Le silence est généralement défini par la négative ou l’absence, opposé à la parole» – « fait de ne pas parler, de rester sans parler ; de ne pas exprimer son opinion, de ne pas répondre », etc». – ou au bruit – « absence de bruit, d’agitation ; interruption de son », etc. (Le Petit Robert, 1982, p. 1814).
Il est souvent associé au vide et à l’inertie. Pour autant, le silence n’est pas nécessairement dépourvu de sens. Il est d’abord diversement perçu selon les époques et les cultures. Selon le principe « Qui ne dit mot consent », mais peut aussi traduire le refus ou la désapprobation. Le silence est donc valorisé ou déprécié en fonction des circonstances : il en est en effet où il convient, voire il est impératif de parler, et d’autres où il est préférable ou recommandé de se taire.
[...] la langue française regorge d’expressions relatives au silence révélatrices d'ambigüités :
- silence complice
- silence coupable
- étrange silence
- silence radio
- passer sous silence
Face à de tels problèmes, dossiers ou événements, s’exprimer est ressenti comme une nécessité ou un devoir, ce que consacrent des expressions comme «on ne peut pas rester silencieux». Ces expressions renvoient dans la plupart des cas à des protestations diffuses contre la passivité, la lâcheté, le manque de transparence, la culture du secret, la rétention d’information. Elles visent ceux qui devraient s’exprimer pour soutenir ceux qui « souffrent en silence ». L’objectif est de dénoncer l’exaction, le crime, le génocide, la dictature, l’injustice ou encore la censure, lorsque la société est « réduite au silence » ou « mise sous silence » (Puccinelli-Orlandi, 1996). »
Quelles sont les relectures du silence dans l'histoire ?
Anny Dayan Rosenmann dans Entendre la voix du témoin nous prévient sur les silences et nous signale l'importance d'accueillir la voix de chacun :
« Dans Les naufragés et les rescapés, Primo Levi écrit que l'histoire entière du « Reich millénaire » peut être « relue comme une guerre contre la mémoire ». Elle peut être aussi relue comme une guerre contre la parole de l'autre. Le « Je ne veux pas que tu sois », qu'analyse Robert Antelme se traduisant par un « Je ne veux pas que tu parles, que tu sois un être doué de parole ».
Le processus qui vise à exclure la victime du genre humain, implique l'exclusion de ce partage d'humanité que constitue la parole. L'un des premiers éléments d'initiation des déportés consiste à comprendre qu'on ne leur parle plus comme à des êtres humains, qu'on ne s'adresse plus à eux comme à des individus mais comme à une masse terrorisée à laquelle sont transmis et aboyés des ordres. Corollairement, il leur faut comprendre qu'ils ne sont plus censés accéder au libre usage de la parole, de leur parole. Très vite, ils s'aperçoivent, à leurs dépens, qu'il n'y a pas de dialogue possible, pas de parole à adresser à leurs gardiens et à leurs maitres.
[...] le film de Lanzmann, Shoah, opère un tournant irréversible dans la transmission de la catastrophe et dans notre rapport aux victimes. Il met en œuvre un choix, fondamental, qui consiste à donner la parole aux témoins-rescapés, à l'exclusion de tout document. Il choisit la voix contre l'image, et l'aléatoire processus de la reviviscence contre l'évidence figée de l'image d'archives. Il met en œuvre une démarche d'individuation qui consiste à entendre les témoins un par un, à respecter le caractère unique de chaque récit, de chaque rythme, de chaque voix, tout en les enchâssant dans une structure polyphonique qui fait alors de tous ces récits un long récit collectif, qui est celui de l'extermination. »
Place à la voix et à la parole poétique
Pour la paix entre les peuples, brisons les silences assourdissants par cette belle proposition de la part de Raouf Reddik :
« Il n’existe pas de plus sûr chemin pour aller à la rencontre de l’autre et de sa différence que de faire l’épreuve de sa parole poétique, et cela à partir de la sienne propre. Il n’existe pas de voie plus royale en vue de consacrer la paix entre les peuples que de laisser résonner en harmonie les pèlerinages que, à l’intérieur de chaque langue, et à l’épreuve les unes des autres, les paroles poétiques mènent en mémoire de leur premier surgissement.
Pourquoi ? Parce que la parole poétique mûrit, elle aussi. En mûrissant, elle apprend que ce qui fait la joie de son retour et de son pèlerinage, ce n’est pas la découverte, sans cesse renouvelée, de son pouvoir de «faire monde», de tirer du néant des choses qui accèdent à l’être par la puissance des mots : ce qu’il y a d’originaire en elle, c’est certes un miracle, mais un miracle qui ouvre sur une présence. »
Pensons aux graines semées en nous par des personnes et des choix de vie courageux et engagés d'idéaux possibles résultant en une meilleure qualité de vie pour tous, que leur exemple et courage ne tombent pas dans l'oubli qu'ils continuent à être générateurs de sociétés et politiques plus justes où le silence ne sera plus jamais une arme contre nos libertés individuelles et collectives.
Grand merci au romancier, poète, dramaturge et traducteur Manuel de Pedrolo pour son héritage qui se caractérise par sa ferme conviction que la personne écrivant doit être engagée avec la société où elle habite se compromettant à la transformer à partir de ses œuvres. Et si notre rôle n'était donc autre que celui de rendre possible la transformation dans tous les domaines et surtout dans le domaine politique et humanitaire ?
Image par Café de Pixabay
Références :
BARBET, D. , HONORÉ, J. (2013). Ce que se taire veut dire. Expressions et usages politiques du silence. OpenEdition Journals.
URL : https://journals.openedition.org/mots/21448?lang=en
DAYAN ROSENMANN, A. Entendre la voix du témoin. (2016). Persée.
URL : https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1998_num_56_1_2362
FERRER TRILL, X. Manuel de Pedrolo: Literature as intellectual engagement.
URL : https://ddd.uab.cat/pub/jocih/jocih_a2017m10n11/jocih_a2017m10d11p107iENG.pdf
Oser prendre le risque de suivre sa voie.
URL : https://www.actionco.fr/Thematique/methodologie-1246/fiche-outils-10181/La-reconversion-professionnelle-324369.htm
SEDDICK, R. La poésie en questions. Silence et parole originaire. La Presse de Tunisie. (2020).
URL: https://lapresse.tn/76044/la-poesie-en-questions-silence-et-parole-originaire/
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