La force de l'appel pour apprendre

Les formes de l’appel

L’appel de fonds est une réclamation d’argent, l’appel en justice est une contestation de la chose jugée, l’appel aux couleurs fait flotter des symboles, l’appel à Dieu est de l’ordre de la vocation, l’appel d’offre est la mise sur le marché d’un besoin à satisfaire moyennant un budget, l’appel de ses partisans est, pour un parti politique, une demande de se rallier à des idées ou un programme d’actions.  

Mais il est d’autres formes d’appels.

Le hurlement du loup qui communique avec sa meute, le chant des baleines perceptible à des dizaines de kilomètres par ses congénères, le cri du coq qui salue le soleil levant, tous ces appels de la nature nous touchent en profondeur et font résonner notre instinct, toujours en vigilance, de ce qui se produit autour de nous et en nous. Jack London, en écrivant son roman initiatique « L’appel de la forêt », avait perçu comment se détache d’une vie monotone et bien rangée un quelque chose de sauvage, d’infiniment libre qui se cache en chaque créature vivante. C’est la métaphore du chien Buck vivant dans une maison confortable amené à survivre dans le froid glacé du Klondike à l’époque de la ruée vers l’or, un autre appel, plus matérialiste celui-ci.

Lorsque j’écrivais un article sur la « pédagogie des défis », je ne percevais pas à quel point un appel juste et authentique pouvait toucher d’autres au-delà du simple amusement à relever ce dit défi, ou du seul appel à projets. Ce sont les circonstances et l’incarnation de celui qui prononce l’appel qui en font toute la puissance et produisent l’envie irrépressible de celui qui l’entend de tout laisser et d’y répondre séance tenante. Et si réussir un appel était un savoir ou bien une posture, comment cela pourrait-t-il s’apprendre sans être un de ces éléments de langage dont les dirigeants ont le secret et qui ne mobilisent plus que quelques-uns de leurs partisans ?

Quels sont les appels qui nous touchent ?

Les grands leaders ressentent quelque chose au fond d’eux et lancent des appels pour émouvoir les foules dans le sens de la cause qu’ils considèrent comme juste. L’appel du 18 juin du Général de Gaulle est connu en France pour avoir marqué le signal de la résistance aux armées allemandes, l’appel de l’abbé Pierre pour les pauvres à la faveur d’un hiver rigoureux est encore en mémoire, l’appel à la paix, l’appel aux dons quand ils sont incarnés nous touchent et nous poussent à agir. 

Un appel est une connexion parfaite entre celui qui l'émet et celui qui le reçoit sinon ce n'est qu'un bruit qui se perd dans l'univers sonore. Dès lors les deux partenaires sont branchés sur la même longueur d'onde. Ils ont une résonance  commune qui les unit. C'est comme une corde invisible qui relie appeleur et appelé.

C'est comme une vocation enfouie qui n'attendrait qu'un déclencheur pour activer une chaîne de conséquences  insoupçonnées au moment de l'appel. L'appel suppose donc qu'il y ait réponse. Lancer un appel sans un minimum de semblables en proximité de valeurs pour l'entendre est voué à l'échec.

Y a-t-il des appels qui nous poussent à apprendre ? 

Probablement que les causes qui résonnent avec nos aspirations nous conduisent à mener des investigations poussées pour répondre à l’appel et, in fine, à nous lancer dans un apprentissage. Le film « Les 7 mercenaires / Les 7 samouraïs », décrit un petit village attaqué par des brigands qui pillent sans vergogne en faisant régner la terreur. L’appel au secours des villageois, produit un élan de sympathie à leur encontre mais également, un contre appel, des mercenaires ou des ronins, qui viennent à leur secours, les encouragent et leur rétorquent «Commencez par vous aider vous-même». Et voilà les villageois appelés à apprendre le maniement des armes pour se battre avec dignité. Jamais ils n’auraient imaginé que la solution de leur appel était en eux-mêmes, puisqu’ils étaient justement désespérés par leur situation.  La cause et l’appel sont liés. 

Les causes les plus profondes, les questions les plus authentiques se transforment en appels à la condition d’une parfaite cohérence entre celui ou celle qui lance l’appel et son message. Les appels caritatifs nous touchent-ils encore quand ils prennent la forme de campagnes marketing qui n’ont rien à envier aux vendeurs de sodas ou de lessives ? Ils s’inscrivent dans la recherche d’une part d’audience.

L’appel d’une Greta Thumberg, à l’inverse, a touché une génération de jeunes qui s’est jeté à corps perdu dans la compréhension du devenir climatique de la planète et a appris à argumenter, présenter des idées, débattre et convaincre. Et c’est sur le champ de son manque de cohérence que ses détracteurs sont venus la défier. 

Les appels à apprendre

Régulièrement et dans de nombreux pays du monde, un ministre de l’éducation nationale appelle les enseignants, les élèves ou bien les parents d’élèves à se comporter de telle ou telle manière, à utiliser telle méthode, à faire preuve de plus de sollicitude envers des minorités ou des camarades en difficulté, et régulièrement l’appel rencontre un succès mitigé. Bien souvent parce que ce n’est pas vraiment un appel mais une directive d’une personne éloignée du plus concret de l’objet de l’appel. Le ministre se préoccupe de faire avancer sa politique publique mais trop rarement il cherche à discerner les motivations individuelles et les motifs possibles d’engagement. 

Maintenir son identité

Réussir un appel tient d’une compréhension plus fine d’une sociologie de l’engagement. En matière de pédagogie Kaddouri identifie les motifs identitaires. Pour lui un engagement se décline sous  forme d’une valeur, d’une contrainte ou bien d’un amorçage. La valeur correspond à une liberté de choix, la volonté ses actions en direction de ses idéaux, la contrainte correspond à la personne  prise dans une situation d’où il lui est impossible de s’extraire sans perte de sa position, de son statut ou de ses ressources. Quant à l’amorçage c’est la situation ou l’individu entame un chemin, se prête au jeu et s’engage chemin faisant. Pour Kaddouri, c’est la résolution des tensions identitaires qui se dessinent à l’occasion des activités sociales qui favorisent l’engagement. L’engagement permet de conserver et maintenir son identité de la faire évoluer. 

Quand un trouble identitaire survient, des écarts importants entre les croyances individuelles et les situations vécues, alors il y a un terreau favorable à l’appel et une réponse d’engagement possible en face. Susciter des conduits d’engagement dans l’apprentissage nécessite de mieux connaître les publics auquel est adressé l’appel et de nourrir le sens que l’apprentissage dans la construction des identités en composition.

Sources 

Géo L’appel du 18 juin le refus de la défaite https://www.geo.fr/histoire/lappel-du-18-juin-le-refus-de-la-defaite-202238  

Littérature – L’appel de la forêt résumé du livre de Jack London https://www.litte-ratures.fr/lappel-de-la-foret-resume-du-livre-de-jack-london/  

Cristol, D (2019) La pédagogie des défis territoriaux - le design appliqué aux politiques publiques : retours d'expérience et perspectives pour demain. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02290122/file/La%20p%C3%A9dagogie%20des%20d%C3%A9fis.pdf  

Gori, R. (2009). L'appel des appels: pour une insurrection des consciences. Mille et une nuits.

Kaddouri, M. (2011). Motifs identitaires des formes d'engagement en formation. Savoirs, 1(1), 69-86. https://doi.org/10.3917/savo.025.0069 

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