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Publié le 25 mai 2021 Mis à jour le 27 mai 2021

Vers de nouvelles humanités : rencontre avec nos jumeaux numériques

Disruption. De quoi le futur sera-t-il fait ?

Réseau apparenté à la voute étoilée

Entre raison et intuition

Inlassablement nous consultons les augures, les parques, les diseuses de bonne aventure, les astrologues, le tarot et aujourd’hui les « big datas »  pour savoir de quoi le futur sera fait.  Le futur est difficile à prévoir surtout quand cela concerne l’avenir affirme l’humoriste. Il est possible désormais de connaître un peu mieux les tendances en croisant des données systématiquement et en opérant des recoupements spontanés, en combinant la force de calcul et les sauts intuitifs propres aux humains, en faisant se croiser la pensée matérielle et technique et la philosophie. 

Le dur technologique : que dit l’oracle internet ?

Les Google Analytics sont des sources de données inépuisables même si parfois on peut en tirer des déductions stupides car expliquer se distingue de comprendre comme nous l’enseigne Dilthey. Quelle conclusion tirez vous du fait que le mot le plus saisi sur le moteur de recherche de Google dans toutes les langues et partout sur la terre est le mot « Pourquoi ».

J’attendais le mot «Covid», mais non, «Pourquoi» l’emporte. Pour ma part j’en déduis un besoin de se questionner sur le sens, comme si la connexion à soi, forcée par une expérience planétaire de confinement, avait créé un déclic. Pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi faisons nous ce que nous faisons ?  En résumé voilà une invitation à se repenser qui se dégage massivement et de façon sociétale et transversale à toutes nos activités humaines.

L’analyse d’Accenture est que progressivement nous passons d’une logique du « Bring your own device » (Apportez vos propres appareils) à « Bring your own environement » (Apportez votre propre environnement). Le numérique n’est plus simplement une couche de technologie en plus, sur ses savoirs, ses gestes métiers, ses fonctionnalités et usages mais ce sont les façons de se lier et de générer son écosystème d’action qui est touché. Le moi se fait « technologue », tellement les accès aux techniques numériques se sont simplifiés.

L’une des conséquences est la poursuite du rêve humain de se projeter toujours plus loin hors de lui-même, de jouer avec la lumière. La caverne de Platon est désormais un monde en miroir. Nous sommes en capacité de produire des « jumeaux numériques » c’est-à-dire des représentations digitalisées d'entités du monde réel. Tout passe dans ce copier-coller géant du monde analogique vers le monde numérique.

Des IA sont capables de modéliser des flux de données et de les rationaliser. Des entreprises connectent massivement des jumeaux numériques entre eux pour créer des modèles de cycles de vie de produit ou de chaîne d’approvisionnement, pour tester des hypothèses et anticiper sur la réaction de système complexe. Ces entreprises ne conçoivent plus leur développement stratégique sans cette dimension numérique et à cet égard, le covid a été un accélérateur des mutations digitales. Les technologies et la capacité des entreprises de les absorber deviennent le cœur des préoccupations tous métiers confondus.

Dans le même mouvement la crise semble réveiller les collectifs avec des appétences pour passer du «Je» au «Nous», l’une des réponses pour réduire l’incertitude. Les nouveaux modèles d'affaires intègrent cette tendance et s’appuient pour cela sur les bases de données distribuées et explorent les possibilités des chaines de blocs.

Gartner a une lecture différente. Pour ce cabinet la tendance est celle d’une « internet des comportements » (Internet of Behavior IoB), à partir des poussières numériques captées d’une variété de sources (traces de navigation, achat en ligne, reconnaissance faciale), il s’agit d’influencer les comportements de futurs consommateurs, électeurs, prescripteurs, décideurs etc. ce qui n’est pas sans poser des questions éthiques.

Analyser et croiser les expériences des clients, des collaborateurs, des utilisateurs et pourquoi pas des expériences d’apprenants (j’ajoute cela à la liste de Gartner) permettrait de décrire « l’expérience totale » et de cerner un peu plus l’identité et les comportements des internautes. Ce « flicage » des comportements pose la question du respect de la vie privée et des algorithmes et situations d’usage qui la favorise. Une manière de répondre possible réside dans des nuages (clouds) distribués géographiquement au plus proche des utilisateurs. Du reste la distribution est le maitre mot  d’opérations réalisées en tout lieu, tout à la fois par les clients et par les employés, et ce quels que soit la technologie, l’espace et le temps investi.

La distribution permet également un meilleur partage des initiatives de celui qui détient l’information la plus pertinente. La distribution des informations, mais aussi des systèmes de décision offre aux organisations un grand niveau d’agilité. Face à des processus trop rigides c’est l’implication sur le terrain en réponse immédiate à une demande de proximité qui se dessine. Cette implication va de pair avec la montée en savoir faire des fonctions et des usages des IA et d’une hyper automatisation de toutes les tâches qui peuvent l’être, charge aux individus de cultiver des savoir-faire distinctifs et à forte valeur ajoutée.

Les « nouvelles technologies » s’imposent à nous comme des évidences, de façon pervasive elles colonisent notre mental, et s’immiscent jusque dans la transformation de nos connexions neuronales et de nos terminaisons nerveuses. Cette dimension technologique est bien plus qu’un outil ou une technique en plus, c’est une mutation de nos humanités en humanité numérique.

La substance de cette humanité mute sous l’effort d’une alchimie de fibre, de lumière et de métaux rares, toute composantes de notre appareillage (écran, téléphone, ordinateur). Deux visions sont toutefois perceptibles plaçant les enjeux sur la prise de potentiel par l’individu (Accenture), ou bien par une poursuite du contrôle des individus par les organisations (Gartner). L’intelligence augmentée qui se met en place avec l’automatisation des tâches routinières bénéficiera-t-elle à tous ou sera-t-elle un nouvel avatar de la domination sur autrui ? 

Le mou sociétal : La prise de conscience ontologique 

En 2020, 41% de la planète a moins de 25 ans, cette génération qui n’a connu qu’internet devient majoritaire, plus que tout autre humain cette fraction de l’humanité s’interroge sur le sens de sa vie qui se construit. Le prisme technologique pose des questions éthiques d’autant plus forte qu’elles s’expriment à un moment unique de l’humanité.

Des faits sans équivalents, uniques surgissent dans l’histoire comme venus de nulle part : effondrement écologique massif, réchauffement climatique où que l’on se situe sur la planète, crise sanitaire et émotionnelle transfrontalière, montée des populismes. Même une démocratie réputée solide comme celle des USA voit son capitole envahi par une meute. C’est le moment du « jamais vu ».  Voilà les éclairs de conscience qui traversent des intellectuels, des philosophes et des juristes :

  • Pankaj Mishra diagnostique la faillite du modèle libéral.
  • Hartmut Rosa voit poindre un espoir derrière le ralentissement des sociétés confinées : c’est possible de ralentir !
  • Martha Nussbaum interprète l’ambiance comme une éthique de la colère contemporaine. Cette colère qui pourrait bien être un moteur de l’action pour corriger les injustices laissées en plan.  
  • Nadia Yala Kisukidi observe la joie africaine quoi qu’il se passe.
  • Paul Sebillotte  a une lecture anticapitaliste des pandémies.
  • Michael Walzer, Olúf, Táíwò et Liam Kofi Bright sont en controverse sur le racisme du capitalisme.
  • Bruno Latour en appelle à un atterrissage qui passe par une mutation écologique, avec la nécessité de réinventer la bonne vie, et même l’état et ses fonctions. Sous contrainte les États ont su trouver des ressources quand bien même ils affirmaient être au bord du gouffre financier. 
  • Mireille Delmas-Marty en appelle à une nouvelle conception de la souveraineté et un dépassement des communautés nationales trop frileuses et incapables de protéger des peuples ou des territoires (Amazonie).
  • Maurizio Ferraris nous alerte sur la sincérité de nos engagements, s’agit-il de sauver la planète ou de nous extirper nous-mêmes du chaos ?
  • Eva Illouz, dénonce à travers des mouvements #BlackLivesMatter et #MeToo la « vulnérabilité des corps » des minorités, afro-américains et féminins.
  • Pankaj Mishra montre « La faillite du modèle libéral » et la réponse de la Chine, « le plus formidable représentant du décisionnisme étatique », irrespectueux des droits humains mais toujours plus puissant. Il en appelle à plus d’humilité.

Ces événements travaillaient déjà la terre et les hommes mais ils semblent accélérer les mutations à l’œuvre et leurs effets s’intensifient. C’est le rapport au temps et la perception que chacun se fait de ce qui se passe qui en modifie la lecture.

C’est la nature de l’altérité qui se modifie qui nous frotte les uns aux autres dans nos croyances. C’est le pouvoir des émotions humaines qui se saisit de nous. Ce sont tous nos ancrages et nos projections de ce que signifie être humain qui est touché partout sur la planète. 

Le tendre et le ferme

Si l’on croise le « dur technologique » et le « mou sociétal » les lignes de bascule opèrent sur des notions qui deviennent centrales :

  • la proximité est un besoin révélé par la pandémie qui a imposé une distanciation physique (maladroitement nommée distanciation, sociale), la redécouverte des liens et des espaces de proximités est un fruit de la crise;
  • le pourquoi et le sens, l’appel à des valeurs de simplicité, de bien-être, d’authenticité (gare au dupeurs et aux adeptes du « whashing »);
  • les identités et les altérités posent la question de ce qui fait communauté, du sens du voyage (cf le “wandermust” ou l’envie irrepressible de voyager après en avoir longtemps été privé);
  • les façons d’envisager tous les rapports à soi, aux mondes, au temps aux ressources aux états nations sont en recomposition car le bien être mental est désormais mieux valorisé. 

Ces thèmes clés s’imposent mais sont diffractés par l’univers numérique qui semble capter toute l’attention. Il est bon de se rappeler cette maxime de Confucius, pour mettre le numérique à sa juste place et garder au cœur les enjeux essentiels.  

« Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt »

Il nous reste donc à apprendre à se tenir debout souriant dans la tempête et à inventer ensemble nos humanités numériques.

Sources

Google trends tendance 2020  «Pourquoi»  https://trends.google.fr/trends/yis/2020/FR/ 

Rédacteur.com Tendance marketing 2021  https://www.redacteur.com/blog/tendance-content-marketing-2021/  

Comarketing News – 6 tendances qui impactent nos modes de consommation https://comarketing-news.fr/infographie-6-tendances-qui-impactent-nos-modes-de-consommation/ 

Forbes https://www.forbes.fr/technologie/technologies-deux-tendances-a-ne-pas-manquer-en-2021/ 

Journal du net 5 grabdes tendances à suivre de près pour anticiper la fin de l’année et bien débuter 2021  https://www.journaldunet.com/ebusiness/publicite/1493677-5-grandes-tendances-a-suivre-de-pres-pour-anticiper-la-fin-de-l-annee-et-bien-debuter-2021/ 

Tom Travel 9 tendances technologiques à suivre en 2021  https://www.tom.travel/2021/01/19/9-tendances-technologiques-a-suivre-en-2021/

Philomag 21 penseurs pour 2021 https://www.philomag.com/articles/21-penseurs-pour-2021    

Forbes Technologies 2 tendances à ne pas manquer en 2021 https://www.forbes.fr/technologie/technologies-deux-tendances-a-ne-pas-manquer-en-2021/

Comarketing Infographie 6 tendances qui impactent nos modes de consommation 


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