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Publié le 19 mai 2021 Mis à jour le 19 mai 2021

Voir sans voir [Thèse]

Ou le pouvoir de notre imagerie mentale visuelle

Yeux clots d'un sujet en cours d'imagerie mentale visuelle

Nous avons tous perdu quelque chose au moins une fois dans notre vie. Dès lors, nous cherchons à droite puis à gauche, mais rien n’y fait : l’objet reste introuvable. C’est toujours dans ces moments-là qu’une personne vous pose la question fatidique : « Que faisais-tu la dernière fois que tu l’as vue ? » C’est alors que la magie opère, nous fermons nos yeux et dans un voyage intérieur immobile nous reconstruisons la scène.

Quelle étrange idée que de fermer les yeux pour mieux voir ! Et pourtant, cela n’est qu’un aperçu du travail de doctorat de Maryam Fourtassi. Sa thèse intitulée « Étude des mouvements oculaires au cours de l’imagerie mentale visuelle, chez les sujets sains et chez ceux atteints d’une négligence représentationnelle ou d’une hémianopsie latérale homonyme » se propose d’étudier nos représentations mentales visuelles en mesurant les mouvements de nos yeux.

Pourquoi y jeter un œil

Ne soyez pas effrayé par les neurosciences, sous cette discipline se dissimule une ribambelle de sujets passionnants comme celui de Maryam Fourtassi. Dans son introduction elle vous offrira les bases pour comprendre son travail par une revue abordable des travaux relatifs à son sujet de recherche (imagerie mentale visuelle, mouvements oculaires et contexte pathologique).

Une fois armée de ces connaissances, l’auteure vous invite à découvrir dans la deuxième partie de son manuscrit, son quadruplé d'articles de recherche réalisé et publié lors de sa thèse. Dans la troisième partie, Maryam Fourtassi propose de mettre en perspective l’ensemble de ses travaux entre eux et avec ceux de ses pairs. Le style du texte est à la fois clair et élégant. La trame narrative de cette thèse est cohérente et le travail de recherche théorique et expérimental permet au lecteur d’en apprendre beaucoup sur un phénomène qui peut sembler anodin à première vue.

Voir cela à la chandelle

 « Essayez de répondre à la question suivante : “Quelle ville est située plus à l’Est de Paris, Lyon ou Grenoble ?”. Pour ce faire, vous allez très probablement imaginer la carte de France, et y situer les deux villes avant de pouvoir juger mentalement les distances et donner une réponse.

Cette capacité à former des images mentales d’objets ou de scènes à partir de sa mémoire, est une activité cognitive très utile qui nous permet de résoudre des problématiques courantes de la vie quotidienne. Par exemple, quand on veut choisir des rideaux pour son salon, le premier réflexe est de se rappeler une image de ce salon qu’on “regarde dans sa tête” avec un “œil interne” afin de vérifier si les rideaux préférés s’intègrent ou non au décor. De la même façon, quand on ne retrouve pas ses clés, une fois devant la porte du bureau et avant de retourner les chercher, on essaie d’abord de se remémorer la scène du petit déjeuner, et de la scanner mentalement à la recherche de l’image des clés laissés dans un endroit inhabituel.    

Étant donné son rôle majeur dans plusieurs activités cognitives (rappel de souvenir, élaboration de stratégies dans une tâche spatiale, calcul mental… etc.), l’imagerie mentale, suscite beaucoup d’intérêt dans les courants de recherche contemporains qui essaient d’identifier les substratums anatomiques lui servant de support et les processus physiologiques à la base de son fonctionnement.

Dans ce cadre, l’utilisation de modèles pathologiques avec des lésions neurologiques précises s’avère parfois très utile, notamment quand ils affichent des perturbations du phénomène étudié (Négligence représentationnelle). En effet, d’une part, l’étude des déficits présentés par ces patients permet aux chercheurs de mieux comprendre les mécanismes physiologiques dont la perturbation est à l’origine de ces déficits. D’autre part, toute avancée dans la compréhension des processus neuronaux impliqués offre aux cliniciens une meilleure approche de la cause derrière le handicap du patient, et par conséquent ouvre la voie vers une éventuelle thérapie.

Pendant l’imagerie mentale visuelle, nos yeux bougent de la même façon qu’ils le feraient si on était en train de regarder une scène réelle. Ainsi, ces mouvements rapides des yeux qu’on appelle “saccades” vont adopter des directions horizontales ; quand on juge l’éloignement des villes à l’Est de Paris, ou des directions verticales ; quand on apprécie la longueur adéquate des rideaux pour la fenêtre du salon. […] »

En mettre plein la vue

Les travaux de Maryam Fourtassi ont permis de caractériser les processus d’imagerie mentale visuelle.

Ainsi, chez les sujets sains, l’auteure révèle que cette dernière est créée de manière séquentielle et fragmentée, mais aussi que sa corrélation significative constitue une signature de l’utilisation de l’imagerie visuelle. La spatialité de l’imagerie mentale est maintenue chez certains sujets avec le regard fixe et se manifeste sous la forme de microsaccades du mouvement oculaire.

L’auteur montre que des contextes neurologiques spécifiques comme celui de la Négligence Spatiale Unilatérale (NSU) et celui de l’Hémianopsie Latérale Homonyme (HLH) peuvent altérer les processus d’imagerie mentale visuelle des sujets de manière distincte.

Les sujets présentant une NSU ne présentent aucuns troubles ophtalmologiques ou du traitement visuel de l’information, cependant une lésion neurologique affecte leurs capacités à percevoir et conscientiser un côté de leur champ de vision et de leurs souvenirs. Cette pathologie peut donner lieu à des situations étonnantes dans lesquelles le patient ne mange qu’un côté de son assiette ou ne tourne que dans une direction pour se déplacer. Les résultats de cette thèse semblent montrer que la capacité de représentation mentale visuelle de ces patients est perturbée dans l’ensemble du champ de vision.

Les sujets présentant une HLH présentent une perte de la vue dans une moitié (gauche ou droite) du champ visuel en raison d’une lésion au niveau du chiasme optique du cortex visuel limitant le traitement de l’information. Les résultats semblent montrer que la représentation mentale chez ces patients est spatialement cohérente et que cette dernière est décalée dans la partie visible de leurs champs de vision.

La thèse de Maryam Fourtassi conforte le modèle d’imagerie de Kosslyn, issu de la psychologie cognitive, selon lequel les représentations mentales visuelles partagent des propriétés avec les images réelles (formes, couleurs et relations spatiales) et permettent d’émettre des prédictions pour une situation donnée en la simulant mentalement, sur la base de notre expérience, et en nous donnant la possibilité de nous déplacer mentalement dans le temps et l’espace dans ces dernières.

 Ces travaux sur les représentations mentales visuelles que nous nous faisons, peuvent nous permettre de mieux comprendre les processus mentaux offrant aux plus imaginatifs d’entre nous le pouvoir déconstruire et explorer des mondes imaginaires. Nous pouvons nous demander si cette capacité de notre cerveau peut s’améliorer, s’entraîner ou encore si elle peut être stimulée afin de nous projeter dans des environnements simulés indépendants de notre expérience passée…

Bonne lecture...  et bonne représentation mentale !

Thèse présentée et soutenue le 16 décembre 2016. Travail réalisé au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) ; CNRS : l’UMR 5292 ; INSERM : U1028 et au sein de l’école doctorale Neurosciences et Cognition (NSCo) : ED 476 ; Université Claude Bernard Lyon 1 ; Université de Lyon (Lyon France).

Sources

Maryam Fourtassi. Étude des mouvements oculaires au cours de l’imagerie mentale visuelle, chez les sujets sains et chez ceux atteints d’une négligence représentationnelle ou d’une hémianopsie latérale homonyme. Neurosciences. Université de Lyon, 2016. Français. ⟨NNT : 2016LYSE1287⟩. ⟨tel-01616846⟩

Lien thèse :

Page : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01616846

PDF : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01616846/document



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