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Publié le 12 mai 2021 Mis à jour le 12 mai 2021

La prison et la formation professionnelle [Thèse]

Clés de compréhension des apprentissages incarcérés

Prison

« […] Petite, lorsqu’elle rendait visite à sa sœur qui habitait en face d’une prison pour femmes, elle s’était dit qu’un jour, elle irait voir pourquoi on enferme des personnes. »

Pour Michel Foucault dans Surveiller et Punir, en prison, il s’agit de « rendre les individus à la fois dociles et utiles ».

« Finalement, qui sait quoi à propos des prisons ? »

Si la thèse de Corinne Manceau s’est attachée aux prisons françaises avec leurs spécificités historiques et organisationnelles, elle peut aussi questionner, partout où des humains ont été mis à l’écart par leur société, la manière dont la formation professionnelle se « débrouille » pour répondre à l’écologie locale de la prison.

L’incarcération

Les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (Space) donnent une tendance à la baisse du nombre de personnes détenues en Europe. La France est à rebours de ce qui se passe dans le reste de l’Europe en matière d’incarcération, avec notamment une surpopulation structurelle et une politique de nouvelles constructions.

Au moment de la thèse, 70 000 personnes étaient incarcérées en France pour une durée moyenne de 10 mois dans des établissements de catégories différentes :

  • les établissements pour peines : qui reçoivent des détenus qui purgent une peine. La peine est lourde dans les maisons centrales (plus de 10 ans « à perpèt »), plus légère dans les centres de détention (supérieure à deux ans) ;
  • les maisons d’arrêt : qui reçoivent des personnes mises en examen, en attente de jugement, des personnes condamnées en attente d’affectation, ou même condamnées à moins de deux ans. Ce sont des lieux où se rencontrent des individus présumés innocents et des délinquants ;
  • les centres pénitentiaires : qui comprennent au moins deux types de détention (maison d’arrêt et centre de détention par exemple) ;
  • les quartiers ou les centres de semi-liberté : qui reçoivent la nuit et le week-end des détenus qui travaillent en journée à l’extérieur et dont la peine touche à sa fin (maximum deux ans).

L’autrice présente une fresque de l’emprisonnement à partir de laquelle on saisit les articulations avec les événements historiques, à commencer par les suites de la Révolution française avec la suppression de la torture dans les prisons (elle restera encore pour les guerres et les colonies), et la mise en place de peines proportionnées.

Un siècle après, la population carcérale est encore largement analphabète et la question se pose de la capacité des détenus de changer. La société oscille entre l’idée qu’ils sont nés délinquants et la certitude qu’ils peuvent s’amender. Le contrepoint de cette capacité à changer peut à l’inverse constituer un danger : l’historienne Michelle Perrot a ainsi avancé l’hypothèse que l’instruction des condamnés avait été limitée pour cette raison.

La formation professionnelle

« Les maisons centrales furent pendant longtemps de grandes manufactures textiles, avec des femmes à la filature, des hommes au tissage et des enfants qui rattachaient les fils », décrit Christian Carlier, historien.

Les quelques détenus qui recevaient un enseignement quotidien le suivaient dans le meilleur des cas après une journée de travail de 12 à 14 heures.

La Libération marque l’histoire contemporaine de la formation. Elle vient soutenir les besoins de la reconstruction du pays (les détenus appelés à se former sont choisis en fonction de leur capacité de réussite). Elle commence à être pensée comme une nécessité structurelle.

On a vu qu’il y avait plusieurs catégories d’établissements en fonction du statut du prisonnier. Ces différents établissements ouvrent à des possibilités de formation professionnelle : en maison centrale, la dimension de sécurité et d’occupation des détenus prédomine, alors que dans les centres de détention, la formation professionnelle est orientée vers la resocialisation des personnes détenues.

La répartition irrégulière sur le territoire de ces établissements a des conséquences en matière de bassin d’emploi et de connexions avec les centres d’attache familiaux et sociaux des détenus.

Par ailleurs, les formations professionnelles s’inscrivent dans une modalité ambivalente propre à l’incarcération, qui est à la fois un espace punitif, tourné vers le passé, et un espace de réinsertion, tourné vers l’avenir.

La capacité de réinsertion reste à modérer car la plupart des détenus n’a jamais travaillé (officiellement), dispose d’un faible niveau scolaire et est en dessous du seuil de la pauvreté (60 %). 61 % des sortants sont réincarcérés dans les 5 ans.

La forme de la prison n’autorise pas dans son état actuel de résoudre de manière harmonieuse cette ambivalence, c’est-à-dire de remettre en mouvement ce qui est figé : on pourrait imaginer un parcours carcéral et de formation construit d’établissement en établissement, avec de moins en moins de contraintes.

« À l’instar du parcours carcéral […], le parcours de formation semble être lui aussi figé, commun à toute la population carcérale. »

Conditions et contraintes

Sous une apparente diversité, l’offre de formation est en fait plus limitée. Les formations les plus données sont : agent d’hygiène et de propreté, logistique, agent d’entretien du bâtiment, espaces verts / horticulture, restauration, soudure / métallerie, peinture. Parmi les répondants de l’enquête, certains avaient suivi une formation préalable en prison, sans qu’il y ait de lien entre les deux (plomberie après cuisine par exemple).

Pour les apprenants, se former revient à sortir de cellule, à faire quelque chose, c’est aussi un moyen d’obtenir des grâces, d’être payé, de travailler dans le domaine choisi, d’apprendre. Il reste que certaines choses ne sont pas possibles à mettre en place : comme « la partie sur les échafaudages » dans la formation de peintre – impossible d’échafauder son plan d’évasion… alors qu’il sera toujours possible de repeindre le réfectoire.

« L’apprentissage d’un métier […] doit avant tout passer par la pratique. Or, il n’est pas toujours possible de pratiquer. La formation professionnelle en prison appelle donc un changement d’approche didactique et pédagogique. »

« Les personnes détenues sont privées de la rencontre avec le métier (qui s’effectue au sein de l’entreprise). »

Il y a également des enjeux de marché à plusieurs niveaux :

  • À celui des appels d’offres engagés par les institutions, qui posent à la fois les questions et orientent les réponses auxquelles doivent se soumettre les organismes de formation (dont les salariés sont aussi bien souvent en contrat précaire).
  • À celui du développement des partenariats entre les prisons et les entreprises dans le cadre de structures expérimentales de « responsabilisation et réinsertion par l’emploi ». Dans la suite des filatures-maisons centrales évoquées plus haut, 350 entreprises françaises font appel au travail des détenus, payés 40 % du salaire minimum et pour l’heure sans réel contrat de travail.

En conclusion

« Ce travail nous a permis, notamment à la lumière des théories de la transposition institutionnelle et ensuite de la transposition didactique, de mettre en lumière les conditions extrêmes des formations mises en œuvre par les formateurs opérant un détournement de l’attention des enjeux didactiques attendus (apprendre un métier) pour viser des enjeux sociétaux de plusieurs ordres […]. »

« L’issue de ce travail, dont la méthodologie s’appuie sur une enquête par entretiens et par questionnaire, témoigne de l’incongruité de vouloir reproduire en prison ce qui se passe dans le monde libre et invite à repenser l’organisation didactique de la formation professionnelle afin que celle-ci soit plus efficace au regard de la mission de réinsertion de la prison à laquelle elle concoure. »

Source image : Pixabay – nonmisvegliate

À lire :

Corinne Manceau, « La formation professionnelle en prison : la transposition institutionnelle et l'environnement didactique en question », Sciences de l'éducation, Aix Marseille, 2019.
Thèse consultable sur : https://www.theses.fr/2019AIXM0488

Références :

Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe :

https://www.coe.int/fr/web/portal/-/europe-s-imprisonment-rate-continues-to-fall-council-of-europe-s-annual-penal-statistics

Population carcérale, la France à contre courant de l’Europe :

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/08/population-carcerale-la-france-a-contre-courant-de-l-europe_6076075_3224.html

Les détenus bénéficieront d'un contrat de travail :

https://www.ouest-france.fr/societe/prison/les-detenus-remuneres-beneficieront-bientot-d-un-contrat-de-travail-7180666

Développement du numérique en détention :

https://transformations-droit.com/webinaire-retour-d-experience-faire-evoluer-des-outils-de-service-public


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