Les habitants des villes densément peuplées ont déjà fait l’expérience de personnes qui leur rentrent littéralement dedans dans un couloir de métro. Dans les films, ça fait des histoires romantiques et dans la vie réelle, ça fait surtout des bleus et des pensées pas toujours tendres !
Les personnes qui fréquentent au quotidien des adolescents – parents, enseignants – constatent de même qu’à certains moments, leur corps (le cerveau en fait partie) semble leur échapper dans une mue qui les dépasse.
Mais concrètement, comment se passent « en interne » les moments où notre schéma corporel change ? Quand nous sommes bébés, à l’adolescence, quand un accident ou une maladie nous transforme ? Et comment nous parvenons toujours, tant bien que mal, à répondre au monde dans une motricité adaptée – en majorité.
La recherche
La thèse d’Aurélie Fontan questionne cette partie « interne » et porte la lumière sur la manière dont « le cerveau en développement va gérer la construction et l’adaptation de[s] représentations du corps ».
Son travail est une trilogie bilingue qui aborde :
- Dans un premier mouvement, francophone, la manière dont les représentations internes se forment à partir de la perception de l’action, les bases neuronales et la construction du schéma corporel, puis le développement cérébral et les bases neuronales du schéma corporel.
- Suivant cet état de l’art, le deuxième mouvement, anglophone, est consacré à trois études qui explorent via des imageries cérébrales les liens entre des comportements et des activités du cerveau.
- La troisième étape, francophone également, est consacrée aux discussions et à la conclusion.
Le miroir du monde
Les neurones miroirs ont été mis en évidence dans les années 1990 d’abord chez les singes. Ils permettent aux humains (aux singes et à d’autres espèces) la transformation d’une action observée en action de l’observateur. La perception de l’autre et la perception de soi sont liées au système sensorimoteur de celui qui perçoit. Ces neurones miroirs sont aussi des réseaux neuronaux construits et réactualisés au sein du système nerveux central. Ils font l’objet d’une grande plasticité et adaptabilité.
Dans un miroir se joue l’image. Cette image du corps concerne ce qui touche à son état morphologique. Il s’agit d’une image mentale et psychologique que nous avons de notre corps. Le schéma corporel est, lui, une représentation dynamique du corps « concernant la configuration du corps qui peut être utilisée pour planifier et exécuter un mouvement ». Il est mis à jour par l’intégration régulière de nouvelles informations multisensorielles, internes et externes, produites lors de nos mouvements.
« La proprioception* reste l’information sensorielle essentielle pour percevoir son propre corps engagé dans l’action : les informations proprioceptives sont transmises au système nerveux central grâce à la présence de mécanorécepteurs présents au niveau des articulations, des jonctions musculotendineuse et des muscles permettant alors de situer le corps dans l’espace. »
Pour illustrer en connectant à du vécu : vous souvenez-vous de votre dernière posture de yoga de « chien la tête en bas » (अधोमुखश्वानासन Adho Mukha Śvānāsana) ? À tenter de comprendre ce qui se joue dans les articulations, les jonctions, les muscles, et comment la posture fait chemin progressivement dans votre corps ?
* Proprioception : « Perception qu’a [une personne] de son propre corps, par les
sensations kinesthésiques et posturales en relation avec la situation du
corps par rapport à l'intensité de l'attraction terrestre. » CNRTL.
Des bases neuronales
Le schéma corporel repose sur l’interaction fonctionnelle de trois réseaux impliqués dans l’intégration des informations sensorielles :
- Le réseau sensorimoteur : ces régions spécialisées (sensorielles, moteur) sont interconnectées dans le but de contrôler l’action.
- Le système spécialisé du cortex pariétal postérieur : il localise la position des membres, associe les représentations internes de l’action pour construire une représentation cohérente du corps dans l’action.
- Le réseau frontopariétal : il permet un accès conscient aux représentations internes et ouvre à la prise de décision (dominance hémisphérique droite).
IRM
Les régions sensorielles et motrices sont très rapidement
proches dans leur structure de leur niveau adulte. Les régions à plus
haut niveau cognitif connaissent d’importants remaniements à
l’adolescence.
Il s’agit d’une période critique du développement
humain dans laquelle il y a une surproduction synaptique, qui prend fin
une fois la puberté achevée. C’est une période de maturation corticale
et de remaniements : la matière grise se développe dans certaines zones
du cerveau et diminue dans d’autres.
« Le
développement de la matière grise depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte
rapporte une maturation touchant en premier lieu les aires
sensorimotrices puis les régions associatives de plus haut niveau en
passant par les cortex pariétaux dorsaux et terminant sa course par le
cortex préfrontal. »
Du point de vue fonctionnel, les
enfants ont des connexions intrafonctionnelles plus importantes, donc
des informations qui se connectent à courte distance. Les processus
cognitifs complexes se développent dans des connexions à longue
distance, au sein de connexions interfonctionnelles.
Le développement du schéma corporel
Le couplage perception-action est opérationnel dès la naissance, il est d’abord accessible par le visuel. Des expériences ont placé des bébés dans des « chambres mobiles », c’est-à-dire des chambres reconstituées, dont les murs bougent très lentement. Les bébés, précédemment immobiles, compensent par un mouvement d’équilibrage (oscillation posturale).
Le système miroir fonctionne précocement. Dans ce cadre, l’intégration visuelle et tactile est précoce et fonctionnelle, tandis que les mécanismes responsables de la perception spatiale du corps reposant sur les informations proprioceptives se développent plus tard.
Il reste encore quelque chose de cette connexion au visuel quand, toujours en yoga, on se laisse aller à faire vraiment l’arbre en fermant les yeux et en se laissant osciller sous l’effet d’un vent imaginaire.
« La construction du schéma corporel présenterait donc un développement séquentiel sous-tendu par l’utilisation des informations sensorielles. »
Pour conclure
« L’ensemble des travaux de cette thèse révèle une mise
en place précoce et une maturation tardive des bases neuronales du
schéma corporel. […] La construction d’une représentation stable
reposant sur l’intégration multisensorielle est fonctionnelle dès 7 ans
mais poursuit sa maturation au cours de l’adolescence. »
Source image : Pixabay – Maike und Björn Bröskamp.
À lire :
Aurélie Fontan, La construction du schéma corporel dans un cerveau en développement, Neurosciences, Aix Marseille Université, 2017.
Thèse consultable sur : https://www.theses.fr/2017AIXM0162
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